Serge Magdeleine, DG Crédit Agricole Alpes Provence : « Nous devons aider les territoires à être souverains d’un point de vue économique »

EPISODE 3 - Implanté sur un territoire au profil particulier puisqu’il rassemble trois départements très différents – les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et les Hautes-Alpes – l’établissement bancaire met principalement l’innovation au centre de ses réflexions stratégiques, que celles-ci concernent le client ou l’organisation interne. Une innovation voulue par son directeur général, qui entend appliquer au monde bancaire les codes des entreprises digitales, un sujet qu’il connaît bien pour l’avoir traité à l’échelle du groupe avant de revenir, il y a un peu plus de douze mois dans le Sud. Et si l’innovation n’est pas que technologique, l’objectif c’est bien de disrupter, pour faire évoluer les mentalités… et la croissance.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Un an après le début de la crise, quel regard portez-vous sur le contexte économique global ?

SERGE MAGDELEINE - Avant la crise, le monde était en train de se démultilatéraliser. Avant 2019 c'est la sortie des Etats-Unis de l'OMS, d'Israël de l'Unesco, la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Et ce que se passe-t-il post-Covid ? Le Brexit est une réalité, la Chine et les Etats-Unis sont encore plus en train de se chamailler. Et vraiment, c'est une petite lueur, depuis quelques jours, Joe Biden reparle de multilatéralisme. Mais globalement, le monde qui se démultilaterralisait avant la crise, se démultilatéralise encore plus après le Covid.

Le deuxième axe, c'est la dette mondiale. On se disait tous en 2019 on est sur une dette mondiale trop importante. En 2019, la dette mondiale représente 322% du PIB mondial c'est-à-dire dette des Etats, dette des entreprises, dette des particuliers. Post-Covid, post injection dans l'économie de liquidités pour faire face à la crise, on monte à 432% dans les pays occidentaux. On était sur un monde leveragé en dette. Il l'est encore plus.

Le troisième axe, un monde drivé par les majors de la technologie. On parlait des GAFAM, on parlait même de les démanteler, car ultra-puissants. Et que ce passe-t-il après ? C'est encore plus le cas. On a tous eu besoin de digital. Qui a en sorti vainqueurs ? Les vendeurs de pelles et de pioches du digital. Les vendeurs de cloud, d'applications et donc les GAFAM. Le 31 /12/ 2019, la capitalisation de Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, totalisait 4 300 milliards de dollars. Huit mois plus tard, cette capitalisation atteint 7 600 milliards de dollars. Ce qui signifie que pendant la crise la plus grave de l'Histoire, ces 5 firmes ont augmenté leur valeur de 77%. Et donc, ce que je dis, on s'achemine vers un monde post-Covid, plus fragmenté, plus leveragé en dette et plus en emprise de la techno.

Comment définissez-vous votre stratégie, en tenant compte de ce contexte ?

Quand je regarde ma banque coopérative je me dis quelle est la place d'une coopérative qui prône les valeurs de solidarité dans un monde qui aime à se diviser ? Quelle est la place d'une banque dont la mission est de faire du financement, donc de créer de la dette, dans un monde qui devra se désendetter ? Quelle est la place d'une banque avec un réseau d'agences constitué d'hommes et de femmes, de chair et d'os, dans un monde qui veut se digitaliser ? Nous sommes presque devenus anachroniques dans un monde post-Covid. Mais nous sommes encore plus d'actualité dans ce monde-là, paradoxalement. Car plus le monde va se fragmenter, plus on aura besoin de cette solidarité qui est la vertu cardinale de la coopérative. Plus le monde va se financiariser, plus on a besoin de banques qui prêtent pour financer l'économie réelle.  Plus le monde devient digital, plus on a besoin de rapports humains. Demain, on pourrait se poser la question de nous Boursoramaiser.  Non, au contraire, oui il faut être capable de faire du à distance, mais on a besoin de relations humaines, de contact, d'être le psychologue de nos clients, de se faire tirer la cravate quand on n'est pas pro. Je trouve qu'au contraire une caisse régionale, en l'occurrence le Crédit Agricole Alpes Provence, est pile dans l'axe de ce que le contexte économique et sociétal va vouloir aujourd'hui. Nous avons un vrai rôle à jouer.

Comment, avec quels moyens, quelle vision ?

N'oublions pas que les conséquences de la crise sanitaire ne sont pas terminées. Nous sommes anesthésiés par de l'argent public, mais quand on va sortir des urgences économiques, il va falloir un soin de suite où il va y avoir quelques blessés, voire morts. On doit continuer à soutenir l'économie de notre territoire. Mais on ne va pas faire que cela. On va accompagner nos clients dans leurs transitions. Dont la transition digitale, car ce que la crise a montré, c'est que ceux qui ont réussi cette transition s'en sortent beaucoup mieux que ceux qui n'étaient pas du tout préparés. Il est aussi question de la transition climatique et environnementale et, là encore, l'épisode de gel récent, démontre que les exploitations qui étaient très bien préparées s'en sortent mieux que celles qui étaient bien moins préparées. Et puis il y a la transition de souveraineté. Je pense qu'il faut aider les territoires à être plus souverains d'un point de vue sanitaire, d'un point de vue alimentaire et d'un point de vue économique.

Le digital est un enjeu notamment pour les PME...

Sur la transition digitale, il y a 3 axes sur lesquels nous devons accompagner nos clients. Le premier est que tous nos clients doivent tous être capables de faire du e-commerce. Pour faire du e-commerce, on a besoin de quelques actifs que certains n'ont pas. On a besoin d'un site web, d'un système de commande de catalogue en ligne, d'un système de paiement sécurisé et d'un système de logistique-livraison. Nous avons une stratégie pour accompagner nos clients, notamment les commerçants, les artisans... de les accompagner non seulement en financement, mais aussi en conseil. Leur donner une solution plug and play pour faire du e-commerce. Le deuxième point est que nous allons accompagner nos clients sur la gestion de leurs données, on va les accompagner en conseils et en financement pour qu'elles aient des infrastructures résilientes, sécurisées, confidentielles et qui leur permette d'un point de vue business ou d'un point de vue réduction de leurs charges, gérer tout ce que la data peut leur apporter.

Le troisième axe c'est la cybersécurité. Les attaques concernent aussi désormais les PME. Il faut que nous allions sur le terrain de la cybersécurité. Faire de la pédagogie, faire du diagnostic, et peut-être même que l'on modifiera nos décisions d'investissement en fonction du diagnostic qu'on fera ou de ce que le client fera ou ne fera pas pour protéger sa sécurité digitale. Entre 2015 et 2019, les incidents de cybersécurité ont progressé de 70%. De mars en juillet 2020, ils ont progressé de 250%. Nous montons une offre de cybersécurité dédiée. Nous en sommes à avantager les entreprises qui ont un temps d'avance sur la cybersécurité. Nous devons nous-même, Crédit Agricole Alpes Provence, être exemplaires. Nous avons lancé un grand plan digitalisation.

La question environnementale joue-t-elle sur votre façon d'aborder le financement et l'accompagnement ?

Accompagner nos clients sur la transition environnementale et climatique signifie financer leurs investissements pour les rendre plus environnementalement friendly. Notamment en s'appuyant beaucoup sur le plan France Relance. Le sujet climatique est important car on s'aperçoit, selon les différents scénarios du GIEC, que à horizon 2050, le climat est soit catastrophique, soit très catastrophique. Mais 2050 c'est dans 29 ans. Or, on conçoit aujourd'hui des crédits qui vont avoir comme échéance, après 2050. Donc on commence à se dire, n'y aura-t-il pas un problème de remboursement, un jour, à cause de cela ? Donc nous sommes obligés d'être sensibilisés à ça. On veut accompagner nos clients, essentiellement les agriculteurs, sur la protection des aléas climatiques. Soit sur des nouvelles méthodes pour exploiter la terre, soit par de l'innovation technologique. Nous allons fédérer des startups sur ce sujet. Plus globalement on va accompagner les souverainetés, alimentaire, pédagogique, sanitaire de notre territoire en faisant du financement certes pour les clients dans le domaine de la santé, de l'agriculture, de la formation mais aussi en finançant des infrastructures, pour permettre au territoire d'accueillir des gens qui soignent mieux, qui nourrissent la planète ou qui enseignent.

Vous vous intéressez beaucoup aux startups. Le Village by CA, installé à thecamp, n'a pas connu le succès escompté.

Le CAAP a échoué à fédérer les startups comme d'autres caisses l'ont fait, dans les Village by CA, par exemple. Nous avons installé un Village by CA a thecamp, aujourd'hui c'est mitigé. On veut faire une saison 2, où nous voulons attirer les startups sur les sujets de transition digitale, environnementale, de souveraineté. On ne peut pas être l'incubateur de tout le monde. Ensuite favoriser grâce à nos compétences, à nos relations avec nos clients, les startups pour leur donner du business. Car les startups n'ont pas besoin de capital, elles ont besoin de chiffre d'affaires. Nous allons mettre en place un système pour que nos startups soient en lien avec nos clients afin qu'elles fassent du chiffre d'affaires.

Le monde bancaire change d'un point de vue client. Change-t-il aussi d'un point de vue organisation interne ?

Comme toute entreprise on est un peu silotés. Nous allons impulser les rites et les codes de l'agile. Cela signifie être frugal en tout. On va fabriquer un produit minimum viable, pour produire rapidement quelque chose d'imparfait plutôt que de produire quelque chose de parfait mais long dans le temps. On travaille en mode squad. Je veux un conseiller, un client, un designer d'expérience, on met des gens de l'informatique, des gens du métier. On met ces 8, 10 personnes ensemble, autour de la squad, on leur donne 3 semaines au lieu de 6 mois, et ainsi est conçu un produit minimum viable. Nous avons déjà expérimenté cela notamment sur un processus de réaménagement de crédit, qui marche très bien. J'ai monté une direction de la transformation de l'expérience collaborateur et de l'expérience client dans le but d'améliorer l'expérience que l'on donne à nos clients quand ils nous utilisent, mais aussi de nos collaborateurs à qui on a souvent complexifié les choses et qui en ont assez de nos processus compliqués. On part d'eux et on construit les processus autour d'eux. Un collaborateur, dès lors qu'on lui facilite les choses, est ultra-productif. Et un client, quand il est content, il nous recommande. Ce sont les codes de l'agile et des entreprises digitales. Nous ne faisons pas de la tech, nous faisons de la banque, mais nous utilisons les mêmes codes que les entreprises de la tech pour fabriquer nos outils.

N'est-ce pas un discours qui devrait être porté auprès des jeunes ? Les métiers bancaires sont pas forcément correctement perçus.

En effet, dans un contexte où les emplois pour les jeunes ne sont pas nombreux, nous avons cependant un peu de mal à recruter. On est perçus comme ne donnant peu d'autonomie aux personnes que l'on recrute, travaillant avec des outils archaïques, dans des situations très hiérarchiques avec des structures pyramidales. Il faut que l'on inverse cela. Et faire savoir aux jeunes qui entrent chez nous qu'ils ont une vraie autonomie, dans un cadre donné, qu'ils travaillent avec des outils agiles et avec un processus de maïeutique, de fabrication des offres, qui est en équipe. Notre banque doit agir chaque jour dans l'intérêt de ses clients et dans l'intérêt de la société. C'est notre mantra.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 29/05/2021 à 10:23
Signaler
Thank you

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.