« L’Europe doit s’armer d’un programme de financement pour soutenir la numérisation de son économie » (Véronique Torner, présidente Numeum)

Présente à Marseille à l’occasion d’un tour de France qu’a entamé le syndicat de l’écosystème numérique, sa présidente depuis un an insiste sur l’enjeu européen pour un secteur qui doit être plus ambitieux pour rattraper son retard et véritablement peser sur l’échiquier mondial. Ce qui passe par la constitution collégiale d’un programme de financement suffisamment ambitieux pour permettre à l’Europe de compter face aux Etats-Unis et à l’Asie.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous appelez les dirigeants et chefs d'entreprises à considérer le numérique comme un réel pilier stratégique. Cela n'est-il donc pas encore le cas ?

VÉRONIQUE TORNER - Jusqu'à présent, le numérique, dans une entreprise, était le sujet du DSI. Or le DSI n'est pas toujours membre du Comex. Cela signifiait que le numérique n'était pas considéré comme un sujet stratégique. Cela a évolué, les différentes ruptures technologiques de ces dernières années ont accéléré la prise de conscience et l'émergence de l'IA générative a clairement bousculé les codes. Et si le numérique est un sujet stratégique, c'est parce que l'on ne pourra pas opérer la réindustrialisation en France sans le numérique or la réindustrialisation en France va reposer sur deux piliers, le numérique et la transition environnementale. Et la transition environnementale ne se fera pas sans le numérique. Le numérique devient donc un sujet stratégique. L'IA générative bouscule l'emploi, les compétences et cela nous le remarquons quelques que soient les tailles d'entreprises.

Les élections européennes qui se sont tenues le 9 juin, sont souvent l'occasion d'évoquer une Europe de la défense, de l'énergie... Existe-t-il une Europe du numérique ?

Le numérique est aussi un sujet de cette élection. Nous avons besoin d'une Europe forte sur le numérique. Nous avons challengé les différents candidats français aux élections européennes auxquels nous avons fait une série de propositions afin que celles-ci soient soumises à la Commission.

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Quelles sont ces propositions ?

Nous partons d'un constat de décrochage européen par rapport aux Etats-Unis et à l'Asie. Le PIB de l'Europe est de 30% inférieur à celui des Etats-Unis alors que l'Europe est 25% plus nombreuse. L'une des raisons qui explique cette situation est un problème de productivité, lequel est dû à un retard sur la numérisation de notre économie. Il est donc important d'accélérer la numérisation de notre économie et pour cela - pour faire en sorte, également, que l'Europe soit souveraine - il faut faire émerger de grands champions du numérique en Europe.

Cela vous semble-t-il vraiment réalisable ?

Tout à fait, cela nous semble possible. Nous avons de nombreux atouts en Europe. Le point faible est le financement. L'Europe doit s'armer d'un programme de financement pour soutenir cette numérisation de l'économie, d'une part et d'autre part, pour faire émerger les grands champions dont nous avons besoin. Cela fait partie des propositions que nous avons formulé. Certes, Emmanuel Macron a aussi cette vision d'investissement, mais on ne peut pas raisonner uniquement à l'échelle de la France. Quand on compare les montants d'investissement de la France à l'échelle de l'Europe, cela est ridicule. C'est l'Europe qui doit consolider cet effort de financement pour pouvoir jouer sur l'échiquier mondial.

En termes de réglementation, notamment concernant l'IA, celle-ci est européenne...

Il est vrai que ces dernières années l'Europe a été impactante sur la réglementation et c'était nécessaire, car pour que l'Europe existe, il faut qu'il ait un marché commun. Donc le fait, qu'à un moment donné, elle se soit intéressée à la réglementation était nécessaire. Il est vrai aussi qu'en peu de temps, il y a eu beaucoup de réglementations. Or, la déclinaison opérationnelle, c'est-à-dire l'appropriation par les entreprises, est lourd et cela coûte de l'argent. Par exemple, l'IA Act, selon une étude qui a été menée au niveau européen, montre que pour une mise en conformité des entreprises de 50 salariés, le coût s'élève à 300.000 euros. Et l'IA Act, c'est l'une des réglementations... L'écosystème du numérique a tendance à dire que si la réglementation est nécessaire, ne serait-ce que pour tous les acteurs européens disposent des mêmes règles du jeu et que la concurrence soit équitable, néanmoins la mise en conformité de la réglementation est difficile à mettre en application et peu, du coup, créer une concurrence avec d'autres acteurs qui n'ont pas ces sujets de mise en conformité. Nous rentrons dans une nouvelle ère pour l'Europe. L'Europe doit être plus pragmatique sur la dimension économique et avoir une politique industrielle. D'autant que l'Europe sait faire cela. Notamment dans l'univers du spatial, on sait faire de grands programmes à l'échelle mondiale. Il n'y a pas de raisons que l'Europe ne puisse pas le faire sur le sujet du numérique.

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Le numérique étant très transverse, cela pose des enjeux concernant la formation...

En effet, il existe un sujet sur le financement mais aussi sur la formation. Qui doit également être appréhendée à l'échelle européenne. Il existe d'ailleurs un sujet sur la recherche, qui, aux Etats-Unis atteint 770 milliards de dollars. En Europe, le budget qui lui est consacré c'est 380 milliards de dollars. Soit quasiment deux fois moins. Cela démontre bien que le numérique est un enjeu géopolitique, de souveraineté, de sécurité, économique. Car l'appropriation de l'IA permet de réaliser des gains de productivité. C'est aussi un sujet social, car cela ramène aux problématiques de formation et de compétences. C'est également un sujet sociétal car cela pose des questions d'éthique. Et, de même, c'est un sujet environnemental, car le numérique a une empreinte, mais par ailleurs c'est un énorme levier pour réussir la transition environnementale. Parce qu'il est géopolitique, économique, social, sociétal, environnemental... le numérique, c'est forcément un sujet stratégique, de premier plan.

Vous êtes présidente de Numeum depuis un an. Vous axez votre stratégie notamment vers les territoires...

Nous avons engagé, au sein de Numeum, un projet de transformation, presque même de métamorphose avec trois grandes priorités, les régions, les compétences et le numérique responsable. Les régions, c'est un axe indispensable. 90% des décisions se prennent dans les territoires. Si nous voulons que la France soit une grande nation de l'innovation et du numérique, il faut que ça se passe au sein des territoires, des régions. D'où le Numeum Tour que nous avons engagé dans plusieurs régions de France. Pour réussir à faire de la France une grande nation de l'innovation numérique, nous devons faire jeu collectif, créer une équipe de France du numérique. L'écosystème français est très diversifié, très pluriel. C'est très bien sauf que parfois chacun reste dans son coin. Or ce dont on a besoin aujourd'hui, c'est d'être impactant, c'est de passer à l'échelle. C'est pour cela que nous avons mis en place plusieurs dispositifs dont un dispositif autour de l'emploi, avec les Régions et France Travail, qui offre un parcours individualisé. Et le taux de réussite est de 80%. Nous devons déployer plus largement ce dispositif. Comme Planet Tech Care qui travaille sur le sujet numérique et environnemental et qui a réuni plus de 1.000 signataires. Mon obsession, c'est ce jeu collectif.

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Pour en revenir à l'Europe, échangez-vous avec vos homologues d'autres pays, européens et hors Europe, afin d'avoir des actions concertées ?

Numeum est membre de Digital Europe et nous discutons avec nos homologues en Allemagne, en Belgique, en Suède, en Italie, en Espagne... A l'occasion des élections européennes, nous avons fait des propositions entre organisations professionnelles, au niveau européen. Comme il existe le G7 il existe le Tech 7, auquel Numeum participe. Nous sommes très présents dans les discussions européennes comme internationales. Nous avons également un regard particulier pour l'Afrique, avec des échanges qu'il faut davantage structurer. Nous avons beaucoup d'échanges avec le Canada, notamment sur la thématique des femmes dans la tech.

On reproche - et on regrette justement - le peu de féminisation du secteur du numérique... S'il n'y a probablement pas une solution miracle, quelles sont pour vous les actions prioritaires à activer. Est-ce une question de génération, les petites filles aujourd'hui, baignant dans un monde très numérique, viendront-elles plus facilement vers ces métiers ?

C'est une bonne question. J'aimerais que ça soit une question de génération et que le problème soit derrière nous. Mais je n'en suis pas si sûre parce que je pense que y'a quand même un décalage entre l'usage du numérique et les compétences qui font le numérique. Aujourd'hui, l'Europe n'est pas un très bon élève, comparé au Maghreb, à la Tunisie, par exemple. Ce sujet est prioritaire. Il existe des initiatives comme la fondation Femmes@Numérique, présidée par Elisabeth Moreno, le programme TechPourToutes, lancé par Elisabeth Borne. Numeum dispose également de son propre programme, Nova in Tech, qui ne vient pas refaire la même chose, mais qui vient compléter les dispositifs cités. Nous croyons beaucoup à la reconversion, par exemple. Puis nous avons un projet ambitieux, que nous voudrions porter avec l'équipe de France du numérique, qui serait de créer une énorme campagne nationale qui s'adresse aux parents, aux jeunes et aux professeurs... Une campagne qui parle au cœur. Nous pensons que cela pourrait être un game changer. Le numérique est un secteur attractif, c'est un secteur qui change le monde.

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Commentaires 3
à écrit le 15/06/2024 à 7:14
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L'UE n'est qu'une armée de financements mais de paradis fiscaux, or quand l'argent va partout quelque part il ne va nulle part ailleurs.

à écrit le 14/06/2024 à 18:01
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Numériser une économie inexistante en pensant la relancer ressemble à un serpent se mordant la queue ! ;-)

à écrit le 14/06/2024 à 15:26
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Il y en a assez de ce numérique, une véritable religion, qui consommerait 10% de la consommation électrique mondiale.. Les priorités actuelles sont cette immigration non maitrisée et cette dette hors de contrôle..

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