Dans le Sud, les infrastructures au cœur des enjeux du fret ferroviaire

Facteur d'attractivité et de décarbonation, le fret ferroviaire est désormais perçu comme un rouage essentiel du développement économique. À condition de proposer des infrastructures compétitives aux entreprises et industriels.
(Crédits : Reuters)

« Combien y-a-t-il de chargeurs dans la salle ? Combien utilisent le fret ferroviaire ? », interroge Jean-François Lagane, chargé des projets ferroviaires chez Nestlé Waters et membre de l'association des utilisateurs de transports de Fret (A.U.T.F). Sur les quatre personnes à lever la main pour la première question, un seul la baisse sur la deuxième. « C'est à vous que je vais m'adresser », sourit Jean-François Lagane à ce représentant de Daher. L'échange incarne l'objectif de Regio Fret, un forum organisé par SNCF Réseau et la chambre de commerce et d'industrie régionale pour promouvoir le rail auprès des industriels.

Pour schématiser, le fret ferroviaire régional part de Marseille-Fos, où se trouvent les industries et l'arrivée de trafic par bateaux, pour partir vers l'hinterland ou zone de chalandise. La plus prometteuse économiquement se trouve dans le Nord vers l'Île-de-France et l'Ouest de l'Europe. Une idée assez simple sur le papier, mais qui sur le terrain se traduit par de nombreux acteurs à accorder. La seule introduction de Regio Fret en réunit huit : SNCF Réseau pour les voies, la Région comme autorité régulatrice de transport, les CCI, l'État via la Dreal ou MeRS (l'axe Rhône-Saône), les professionnels du transport combiné, le Port et, enfin, les financeurs. Tous soulignent l'importance de travailler ensemble pour aborder le sujet dans son ensemble.

« Faire les bons investissements aux bons endroits »

Le développement du report modal, c'est-à-dire la part de trafic de marchandises qui prend le train ou le fleuve plutôt que la route, est l'un des grands objectifs du gouvernement. Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) prévoit pour le transport terrestre de marchandises de passer de 50 millions de tonnes de CO2 émis en 2019 à 30 millions de tonnes d'ici 2030.

SGPE marchandises

Un plan qui passe par le doublement du report modal. Ce qui peut paraître très ambitieux au regard des dernières années. « Depuis 30 ans nous n'arrivons pas à développer le fret ferroviaire, il faut faire les bons investissements aux bons endroits », reconnaît Antoine Bellot-Comte, chargé de mission territorialisation de la décarbonation des secteurs émetteurs de GES, lors du colloque planification écologique des transports mené par l'Observatoire régional des transports Provence Alpes Côte d'Azur.

Inciter les chargeurs passera donc par l'amélioration des infrastructures. « Les chargeurs ont besoin d'un réseau moderne qui permette une bonne capacité, des gabarits suffisants, des terminaux et des embranchements », résume Alexandre Gallo, PDG de Deutsche Bahn Cargo. Dans les Bouches-du-Rhône, la gare de triage de Miramas - où passe 15% du trafic national - et le terminal Ouest Provence (TOP) de la plateforme CléSud symbolisent ces réorientations financières.

Projets locaux et au-delà

Le port de Marseille-Fos, avec ses 20% de part modale, incarne bien ces attentes. Il entame d'importants travaux sur les bassins Ouest pour relier le faisceau de deux terminaux. Sur les bassins Est, où le ferroviaire ne représente que 10%, les travaux sont plus complexes car en ville. La réouverture attendue d'un accès vers le terminal de Mourepiane dans le quartier de l'Estaque inquiète le président de l'Union maritime et fluviale Jakob Sidenius : « Le délai de la fermeture de la gare de triage du Canet est très ferme, mais ceux pour la solution de remplacement (en partie à Mourepiane, NDLR) et son timing sont plus flous, il ne faut pas qu'il y ait un trou ». L'enquête publique doit démarrer en cette fin d'année.

Autre sujet, celui du gabarit des tunnels qui limite aujourd'hui les gabarits des remorques pouvant partir de Marseille. Une étude sur le sujet vient de débuter. Ces exemples montrent des projets locaux, mais l'hinterland s'étend par définition bien au-delà de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. « Quand un goulot d'étranglement est résolu, il faut aller au prochain », sourit Jakob Sidenius évoquant le contournement ferroviaire de Lyon au Sud, pour éviter les embouteillages dans la capitale des Gaules, qui n'a toujours pas de tracé ni de calendrier.

De la carotte financière au bâton ?

Tous ces besoins de nouvelles infrastructures ou de modernisation vont devoir trouver des financements. « Ce n'est pas facile de prendre le chemin de la transition écologique car elle coûte, et dans des périodes délicates, il faut beaucoup de conviction et d'accompagnement », pointe Eric Brassart de la CCI d'Arles qui opère sur le port commercial de la ville. « En Allemagne, un péage routier facture en fonction de la pollution de l'air, de la pollution sonore, ainsi que l'usure des routes. Cela rapporte 8,3 milliards d'euros sur les 8,9 milliards d'euros nécessaires à l'investissement pour le fret ferroviaire », illustre Alexandre Gallo.

Pour les entreprises, les incitations économiques de l'Etat pour choisir le fer existent déjà. Une politique de la carotte qui pourrait bientôt laisser place à celle du bâton. « Quand Bercy va commencer à taxer, cela va faire mal et il n'y aura pas de place pour tout le monde », alerte Mathieu Gleize, directeur général de MedLink Ports, une association de promotion commerciale de l'axe Rhône-Saône.

L'Europe va d'ailleurs bientôt commencer à durcir le ton avec, à partir de janvier, l'application de la corporate sustainability reporting directive, dite CSRD, votée en juin. Elle impose aux entreprises de publier un rapport extra-financier annuel qui intègre les aspects liés à l'environnement, le social et la bonne gouvernance. Des critères qui peuvent ensuite avoir un impact direct sur d'éventuelles sanctions ou taxes, mais aussi sur des difficultés à obtenir des financements auprès de certains organismes.

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Commentaire 1
à écrit le 16/11/2023 à 19:33
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On peut, techniquement et administrativement, construire une offre globalement performante. Celle ci ne se développera que si elle n'est pas à la merci des oukases de quelques "potentats" syndicalistes. J'ai trop vu des chargeurs, échaudés par les ...

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