« Impact France est le Medef du 21ème siècle » (Pascal Demurger)

Il assure que le mouvement – qu’il co-préside aux côtés de Julia Faure, la créatrice de Loom – est le Medef du 21ème siècle et que les entreprises engagées voient leurs performances être supérieures à celles hésitant encore à prendre le train de la transition écologique. Convaincu qu’écologie et économie ne s’opposent pas toujours, le dirigeant de la Maif plaide pour un dividende écologique, initiative que la mutuelle a mis en place. Présent à Marseille ces 15 et 16 septembre, Pascal Demurger rappelle aussi que la France, sur l’échiquier européen, doit montrer l’exemple.
(Crédits : Quentin Chevrier)

LA TRIBUNE - La crise sanitaire, les modifications climatiques qui se succèdent ont participé à une prise de conscience globale sur les enjeux des transitions. Aujourd'hui, la notion d'impact semble plutôt transverse dans l'économie française, des PME aux grands groupes. Demain, un mouvement comme Impact France aura-t-il encore nécessité d'exister ? Vous dites vouloir être une alternative au Medef...

PASCAL DEMURGER - Si votre prédiction est que demain tout le monde sera chez Impact France, je souscris complètement ! Concernant le Medef, nous ne cherchons pas à nous comparer. Ce que je sais, c'est que nous sommes le Medef du 21ème siècle. Nous adressons des sujets du 21ème siècle et pas seulement des sujets classiques, de baisse de charges, de moins de réglementation, de moins de contraintes... Je comprends l'importance de ces sujets, je suis patron d'entreprise et moi aussi je suis content lorsque j'ai moins de contraintes et moins de charges. Mais ce ne sont pas cela, les vrais sujets du 21ème siècle. Les vrais sujets, qu'ils soient économiques, écologiques ou sociaux, c'est Impact France qui les aborde. Et qui aborde la question, importante pour moi, du rôle de l'entreprise dans leurs résolutions. Étant le Medef du 21ème siècle, tant mieux si Impact France devient le représentant majoritaire, si ce n'est exclusif, des entreprises françaises.

On a beaucoup parlé, post-Covid, d'une écologie qui ne s'oppose à l'économie. Faut-il donc accepter des marges moins importantes, une réglementation très contraignante, parce que c'est bon pour la planète ? C'est un changement d'état d'esprit...

Je suis complètement d'accord avec le fait qu'économie et écologie ne s'opposent pas nécessairement. Effectivement, je pense que les entreprises, et les actionnaires des entreprises, se réveillent, prennent conscience que l'on ne peut pas continuer sur le même mode de fonctionnement, continuer à demander des rendements à 15% ou 20%, on ne peut pas continuer à creuser les inégalités entre le capital et le travail, car c'est cela le vrai sujet. 70% d'augmentation des dividendes en dix ans, quand les salaires n'ont augmenté que de 20%, c'est bien un sujet d'inégalité entre les facteurs de production que sont d'un côté le capital et de l'autre, le travail. Il y a une forme de modération, de sobriété pourrait-on dire, qu'il faut que tout le monde intègre dans la manière de diriger une entreprise, de conduire une entreprise, demain. Cependant, nous savons que cette modération, nous l'obtiendrons spontanément chez certains dirigeants mais nous ne l'obtiendrons pas de beaucoup dirigeants qui ne voient que leurs intérêts propres ou ceux de leurs entreprises et se moquent des impacts de leurs activités. La deuxième lame, c'est donc l'incitation. Qu'arrivons-nous à mettre en place, comme politiques publiques, comme fiscalité, comme règles étatiques pour, non pas contraindre, mais inciter et faire en sorte que les entreprises trouvent un intérêt à modifier leurs comportements. Par exemple, si demain, les aides publiques qui sont distribuées aux entreprises - on parle de 150 milliards d'euros par an - sont conditionnées à des efforts en matière d'écologie, cela sera incitatif. Si demain, on ne permet pas l'accès à la commande publique à des entreprises qui ne font pas d'efforts sur le plan social ou sur le plan écologique - on parle de 200 milliards d'euros par an de commande publique - ce sera efficace, cela obligera les entreprises désireuses d'accéder à la commande publique, à se bouger. Si demain, on utilise la fiscalité pour modifier les comportements, si par exemple le taux d'imposition sur les sociétés ou la TVA sont modulés en fonction du comportement de l'entreprise, cela incitera les entreprises à se bouger... A défaut de penser que tous les dirigeants auront une prise de conscience et comprendront qu'ils doivent être un peu plus modérés dans leurs attentes, leurs manières de faire... je crois à l'incitation. Et puis si l'incitation ne fonctionne pas, c'est là où, de temps en temps, il faut de la contrainte. Je n'y suis pas favorable. Ce que je dis aux dirigeants c'est « essayez juste, non pas de considérer la planète ou de devenir solidaires, mais considérez votre intérêt ». S'ils ne le font pas eux-mêmes, il y a aura, demain, des politiques contraignantes.

Est-ce que cela explique les difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises, dans de très nombreux secteurs ?

Si les entreprises n'arrivent pas à recruter, elles ne doivent pas s'en étonner. Demain, si les clients boycottent leurs produits ou délaissent leurs marques, au bénéfice de marques plus engagées, il ne faut pas s'étonner. La société est en train de changer.

La Maif, que vous dirigez également, a mis en place un dividende écologique. Est-ce une façon de conjuguer écologie et économie ?

Le dividende écologique s'inscrit dans la continuité de ce qui a déjà été mis en place. Nous nous sommes dit que nous pouvions encore aller plus loin et consacrer une partie de nos résultats à la planète et en particulier à la biodiversité qui est un peu le parent pauvre de la mobilisation écologique. Certaines entreprises commencent à mettre en place des actions concernant le dérègement climatique mais très peu en faveur de la biodiversité. Notre conviction - et notre expérience - est que plus on s'engage en faveur de la planète ou en faveur du social, plus on crée de performances. La croissance de la Maif n'a jamais été aussi élevée que ces dernières années. Et cela est totalement corrélé à l'image de la marque, laquelle repose sur le fait que la Maif est une entreprise engagée, et que cela se sait. L'engagement crée de la performance et on a voulu bouler la boucle. La performance se mesure par le résultat, si l'engagement crée de la performance donc on consacre une partie de notre performance à nos engagements. C'est un cercle vertueux qui se met en place.

Tout cela ramène au rapport au travail, qui a beaucoup évolué surtout en période post-Covid. Comment adapter cette mutation et redonner du sens au travail.

Je me réjouis de ce mouvement, si de plus en plus de salariés cherchent du sens dans leur entreprise, ont un niveau d'exigence vis-à-vis de leur employeur qui est infiniment plus élevé pour l'environnement, la société ou la nature, je ne peux que m'en réjouir car c'est un ferment de changement. Comment faire dans ce contexte ? Aujourd'hui, on ne peut attirer et fidéliser des talents que si on arrive à leur démontrer que leur travail sert une cause, et cela au niveau général de l'entreprise comme au niveau de leur travail personnel. On ne peut pas motiver des salariés si on ne peut pas leur démontrer le lien extrêmement fort et direct entre leur contribution personnelle et l'œuvre collective de l'entreprise dans son ensemble. C'est heureux que le sens recherché dans leur contribution soit lié à l'engagement et au bien commun.

Évidemment, aujourd'hui on ne peut demander aux salariés de travailler dans les mêmes conditions de relations qu'hier. On n'est plus dans l'exécution d'une tâche par crainte d'être sanctionné. Cela ne fonctionne plus. On obtient des salariés qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes que si on leur accorde le plus de confiance possible.

Marseille, où vous vous rendez ces prochains jours, multiplie les projets industriels décarbonés. Sur la souveraineté industrielle, on a beaucoup évoqué le fait d'y apporter une réponse européenne. En termes d'industrie décarbonée, d'impact positif et à l'échelle européenne, la France est-elle un bon élève ?

Oui la France est un bon élève, mais nous devons aller plus loin car on nous ne sommes pas dans la trajectoire des Accords de Paris. Je crois au caractère d'exemplarité d'un pays comme la France. La France demeure une référence morale et quand on est une référence morale on a une responsabilité plus grande. Si on n'a pas un comportement irréprochable, cela veut dire qu'on ouvre la porte à tous ceux qui font n'importe quoi. La France a un rôle particulier d'exemplarité à assumer.

Vous souhaitez faire de la France le premier pays à impact positif. De quelle façon y parvient-on ?

Bruno Le Maire a repris la formule en disant vouloir que la France soit le premier pays décarboné d'Europe. C'est devenu, manifestement, son ambition et ça me ravit.

Comment fait-on ? On essaie de convaincre le plus grand nombre possible d'entreprises que c'est indispensable, que c'est possible et que c'est rentable. Et on convainc les pouvoirs publics qu'ils doivent créer le cadre réglementaire et fiscal le plus incitatif possible pour que les entreprises s'engagent. Si on fait les deux, on a gagné la bataille.

A quel horizon fixez-vous cet objectif ?

Le plus vite possible. On avance. J'ai été élu depuis trois mois à la présidence d'Impact France et on n'imagine pas à quel point ça bouge, combien d'entreprises, de toutes tailles, se renseignent, ont envie de venir. Des responsables politiques aussi. Une mutation est en train de se produire dans la société et donc dans les entreprises.

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Commentaires 3
à écrit le 15/09/2023 à 15:41
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Tout cela est bien beau, et effectivement les enjeux d'image sont importants pour les entreprises, mais objectivement, le monde ne sera pas sauvé parce que la France réduit ses émissions. USA, Chine, Inde, et demain Egypte et Nigéria continuent de p...

à écrit le 15/09/2023 à 14:59
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Les acteurs financiers comme la MAIF mélangent un peu tout (les investisseurs et les assurés, les profits et la solidarité, leurs clients et leurs salariés) ce qui leur permet de tenir ce type de discours. Ils stigmatisent (à raison) les investisseur...

à écrit le 15/09/2023 à 8:16
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Montrer 'exemple oui c'est sûr mais sans nous désavantager économiquement vis à vis des autres pays du monde et donc en imposant un protectionnisme économique écologique. Parce que sinon le peu d'activité économique que nous avons finira de se faire ...

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