Réindustrialisation : les ETI, atout de l'acceptabilité des territoires ?

Si la réindustrialisation est appelée des vœux de tous, perçue désormais comme un élément de la souveraineté française, l’installation d’unités industrielles ne provoque pas toujours le même engouement, comme l’a illustré récemment l’exemple de Bridor et du groupe Le Duff, obligé d’abandonner son projet d’usine à Rennes. Ni grands groupes, ni PME, les entreprises de taille intermédiaire, souvent familiales et à 40% industrielles, sont fortement impliquées dans leur territoire. Une proximité qui peut se révéler un atout dès lors qu’il est question de favoriser une acceptabilité souvent ténue.
(Crédits : DR)

La réindustrialisation, devenue priorité nationale suite aux conséquences de la crise sanitaire, est un mouvement en marche, encouragé par un Plan Relance spécifique et un France 2030 doté de 54 milliards d'euros pour 5 ans. Un desiderata sur le papier, concrétisé dans les faits, la France comptant 280 usines de plus depuis 2021. Preuve que la réindustrialisation, c'est possible. Quand elle n'est pas empêchée...

Car qui dit réindustrialisation, dit usines. Et le mot, plus que le projet lui-même parfois, fait peur. Réindustrialiser oui, accepter l'implantation d'une unité à côté de chez soi... ne provoque pas forcément le même engouement, ainsi que les récents exemples récents l'ont montré. La réindustrialisation n'est pas un sujet nouveau pour les industriels mais le momentum post-crise s'est révélé favorable, jouant une sorte d'accélération à un mouvement déjà engagé. Entre difficultés d'approvisionnement, hausse des coûts, volonté du consommateur d'un Made in France voire d'un Made in Europe, réinstaller des usines sur le sol français semblait donc aller de soi. Ce que Corinne Molina, vice-présidente du groupe Mäder, fabricant de peintures et de résines industrielles, originaire des Hauts-de-France résume en une phrase : « mieux vaut maîtriser son destin ».

Elle est belle, mon usine !

Sauf que « les intérêts ne sont pas toujours convergents, entre la volonté des industriels, la volonté des élus, les groupes d'intérêts, les riverains... », détaille Axel Rebaudieres, Directeur Général de KPMG, qui a consacré un débat lors de la dernière Rencontre des Entrepreneurs de France, fin août, au sujet de la réindustrialisation et de l'adhésion des territoires. L'adhésion des territoires qui ne va donc pas forcément de soi.

Si la récente mésaventure de Bridor sert quelque peu d'étendard, d'autres exemples existent sur le territoire, comme celui du fabricant de peinture Sathys, sous-traitant d'Airbus Helicopters, qui a dû revoir son projet d'usine 4.0 pour cause de classement Seveso niveau 1. Le poids des mots... versus l'opportunité de création de richesse et de développement d'une activité historique pour le département, la région et la France.

De fait, Corinne Molina le dit, « nos usines ne sont pas neutres. Si on veut garder des usines, nous devons travailler pour qu'elles soient de plus en plus acceptées ».

Comprendre faire en sorte qu'elles soient irréprochables notamment d'un point de vue réglementaire, d'autant plus quand l'entreprise évolue dans un domaine risqué. Chez Mäder, on investit dans le sprinklage (arrosage automatique d'eau sous la pression d'une forte chaleur, NDLR). « Il y a eu les affaires AZF, Lubrizol... Donc nous avons une grosse pression des assurances pour équiper le site », raconte Corinne Molina. Un équipement qui exige des investissements conséquents et la vice-présidente du fabricant de peintures d'en profiter pour souligner la frilosité des assureurs... à assurer.

Et puis il faut aussi expliquer à quoi sert l'usine... et l'industrie. Démystifier... « Il est important d'expliquer ce qu'il se passe dans nos usines, elles sont souvent des sites très fermés, donc perçues comme des endroits mystères. Il est essentiel de rappeler l'importance de l'industrie dans le quotidien ».

Le support de l'écosystème

En Bretagne, chez Clément Quéguinier, on estime que l'industriel doit apporter sa pierre à l'édifice de l'acceptabilité. Expliquer le projet, détailler sa vision. « C'est aussi à nous d'avoir une vision nouvelle et vertueuse. Sur l'une de nos récentes implantations nous avons réfléchi avec la commune. Nous devons faire en sorte que le projet soit plus acceptable, plus adapté, plus vertueux, moins consommateur d'énergie. Cela permet de faire que le projet soit plus acceptable », estime le président de l'ETI française.

Mais il faut aussi savoir abandonner ou rebrousser chemin.

Ce qu'explique Pierre Ippolito, le directeur général du groupe Ippolito originaire de Villeneuve-Loubet, près de Nice. « Un grand groupe, une ETI, une PME seules vont être ciblées par un collectif minoritaire et on va arriver dans un débat politique. Or lorsqu'on arrive dans un débat politique, on a quasiment perdu ». Chez Quéguinier on a, par exemple, réorganisé le plan de déploiement d'une usine face à l'opposition des riverains.

Pour autant, les ETI ont une autre corde à leur arc, celle d'être suffisamment impliquées dans le territoire pour avoir l'opportunité d'expliquer le projet en proximité.

« L'ETI, via ses engagements sociétaux sur le territoire - dans le sport, dans la culture, dans l'emploi, dans la formation - va pouvoir peser un peu plus sur les pouvoirs publics et l'état d'esprit général, pas forcément sur les collectivités », poursuit celui qui est aussi président de l'UPE06. Et qui le dit clairement : entrepreneurs, institutions doivent faire équipe. Regarder ensemble dans la même direction. « Arriver avec une approche pédagogique un peu à 360°. Dire que ce n'est pas pour tel filière, telle filiale ou telle entreprise, mais que c'est une approche globale, qui permet de créer de l'emploi et la capacité d'investir sur ce territoire avec des revenus qui sont de ce territoire pour ce territoire ».

Jouer l'esprit d'équipe avec l'ensemble des industries - pas uniquement les industries historiques - sert la cause. Chimie et numérique, même combat, estime Pierre Ippolito.

L'acceptabilité, ça se travaille, avant, pendant et après. La réglementation, qui dès 2024 va faire appliquer les critères CSRD, oblige à une industrie plus propre et les industriels à communiquer leurs informations RSE. Ce qui en fait un autre vecteur de réassurance. Demain, l'usine, un amour qui ne sera plus contrarié ?

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