“Il faut penser le brevet comme une arme stratégique” (Cabinet Hautier)

A l’origine d’une étude faisant le lien entre la propriété intellectuelle et la levée de fonds, les cabinets de conseils Hautier et In Extenso Croissance, basés à Nice, cherchent à démythifier le brevet et à l’inclure dans la palette stratégique du dirigeant en tant qu’élément de différenciation et marqueur de confiance pour les investisseurs.
(Crédits : DR)

Y a t-il une relation de cause à effet entre le succès d'une opération d'augmentation de capital et la mise en place d'une politique de protection intellectuelle ? C'est à cette question que se sont intéressés les cabinets de conseils azuréens Hautier et In Extenso Croissance. Spécialiste de la propriété industrielle pour l'un, de l'accompagnement au développement des entreprises pour l'autre, ils ont analysé et croisé les bases de données liées aux brevets d'une part, aux levées de fonds réalisées en 2019 et 2020 de l'autre, pour donner une lecture plus objective et quantitative à cette problématique. Dont la réponse, on s'en doute, "n'est évidemment pas binaire", comme le souligne en préambule Noémie Keller, directrice PACA pour In Extension croissance.

Disparités sectorielles

Les chiffres d'abord. Sur la période observée, 1.413 entreprises françaises ont levé des fonds. Parmi elles, 233 détiennent 5.466 brevets, soit 5% de tous les brevets détenus actuellement par les PME hexagonales. C'est dire le poids que pèse dans le paysage des brevets français ce petit échantillon d'entreprises innovantes, qui ne représente par ailleurs que 17% du panel étudié. Un chiffre sous-évalué, préviennent les auteurs de l'étude, car ne prenant pas en compte les premiers dépôts de brevets effectués à partir de juillet 2019. Mais un chiffre qui demeure faible. La faute, peut-être, à une époque pas si lointaine où le brevet perdit en considération, en réaction à la période techno-push du début des années 2000 et l'émergence des incubateurs Allègre. La faute, aussi, à de fortes disparités sectorielles.

"Il y a des secteurs qui échappent au brevet, indique Nicolas Hautier, dirigeant du Cabinet Hautier, notamment ceux qui ont trait à l'usage dans le numérique comme les plateformes d'e-commerce, de média et de réseaux sociaux". Lesquelles ont particulièrement performé lors du cru 2019-2020. "Nous constatons en effet une sur représentation des dossiers numériques quand paradoxalement les secteurs de la santé et des cleantechs, gros consommateurs de brevets, ont beaucoup souffert de la crise sanitaire", poursuit Noémie Keller. Qui parle volontiers "d'effets de cycles", voire de "bulle et de niveaux de valorisation hors seuil" que le marché devrait corriger en revenant notamment "à des critères plus objectifs d'analyse". Parmi lesquels les brevets, ou plus largement la propriété intellectuelle, jugés comme de véritables "éléments de différenciation."

Marqueurs de confiance

"Ce sont des marqueurs pour les investisseurs." Des marqueurs de confiance qui auraient, selon l'étude, des impacts positifs sur les chances et la valorisation de la levée de fonds pour les start-ups en phase d'amorçage, "ce qui semble assez normal au regard du cycle de l'entreprise qui n'a pas ou peu de chiffre d'affaires et donc pas grand-chose d'autres à valoriser que sa propriété intellectuelle", analyse Thibault Marmonier, conseiller au sein du Cabinet Hautier. "Nous retrouvons aussi du brevet dans les levées de capital risque dans les secteurs d'activité très technologiques, continue-t-il. En revanche, pour les grosses levées de fonds type capital développement, hormis les entreprises qui ont une assise stratégique sur une techno forte, ce sont les métriques financières que les investisseurs vont regarder." A cet égard, la maturité de l'entreprise joue sur l'importance de la propriété intellectuelle.

Autre variable identifiée, la provenance des investisseurs. "Leur profil compte, avance Nicolas Hautier. Le Français aura une appétence pour les brevets plus mesurée que les Anglo-Saxons, bien plus agressifs là-dessus. De même, des investisseurs qui ont été auparavant d'anciens ingénieurs ou scientifiques du domaine attendront les brevets, contrairement aux purs financiers qui donneront la priorité aux indicateurs économiques".

Un actif valorisable

Surtout, insistent-ils, le dirigeant doit avoir une stratégie en propriété intellectuelle qu'il peut expliquer. Dans un sens comme dans l'autre. "Si l'entreprise ne dépose pas de brevet, elle doit être capable de l'expliquer, même si elle est positionnée dans les domaines éloignés de la brevetabilité". L'inverse est évidemment vrai. "La politique de propriété industrielle doit être vue et présentée comme une arme stratégique qu'il s'agit de défendre et de faire vivre sur le long cours afin qu'elle ne reste pas une dépense mais un actif valorisable auprès des clients et parties prenantes". Par ailleurs, renchérit Noémie Keller, "le brevet est aussi un marqueur vis-à-vis de l'état de l'art. On le voit bien dans le cadre des dossiers CIR. Cela oblige la jeune entreprise à entrer dans un formalisme et dans une façon de présenter sa stratégie R&D qui peut avoir des effets positifs en cascade sur différents dispositifs. Au-delà du seul brevet."

Reste la question du prix. Le coût en vaut-il la chandelle ? A cet égard, l'étude chiffre à 2% du montant levé le budget consacré à la politique brevet, soit en moyenne 35.000 euros chaque année. "C'est un aspect important, admet Nicolas Hautier, et des aides publiques existent pour accompagner les entreprises. Celles-ci peuvent également mettre en place une stratégie permettant de repousser les coûts dans le temps afin de ne pas être pénalisées en attendant les premiers tours de table".

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