“Il va falloir encore du temps pour que la culture d’entreprise s’installe définitivement au sein de l’université” (Stéphanie Godier, RUE)

Si au cours des dix dernières années la recherche académique s’est nettement rapprochée du monde économique, encouragée entre autres par les labellisations d’excellence IDEX, les relations entre les laboratoires publics et les entreprises restent encore insuffisantes, handicapés par des images d’Epinal difficiles à effacer. Si un large mouvement allant des labos à l’entreprise relève encore de l’utopie, chaque initiative individuelle pousse un peu plus à lever les verrous.
(Crédits : DR)

La diffusion de la recherche dans l'économie et la société figure parmi les grands enjeux définis par la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Dix articles y sont consacrés (sur un total de 48) afin de faciliter davantage les passerelles public-privé et densifier les liens avec l'entreprise. L'objectif à 10 ans : la création de 500 start-ups de haute technologie chaque année (contre 170 aujourd'hui). Un vœu pieux ? "Les chercheurs sont dans une dynamique de chercheurs, et les travaux, en dehors du domaine du numérique, sont globalement très fondamentaux. Ils s'inscrivent aux portes de la science et ne sont pas toujours transférables vers l'entreprise. C'est même rarement le cas", explique Stéphanie Godier. Astrophysicienne, docteure en sciences de l'univers, cette ancienne chercheuse a lancé en 2014, via son association Recherche et Avenir, le dispositif RUE qui vise à favoriser l'innovation dans les PME et TPE à travers la mise en place de collaborations avec les laboratoires publics. En six ans, 150 diplômés ont ainsi franchi le pas, un pied dans l'entreprise, l'autre au labo. Une petite révolution née sur les terres azuréennes qui se déploie désormais sur la région Sud. Avec détermination. "On s'attaque à une culture ancestrale de la connaissance universitaire très franco-française où la recherche académique est perçue comme le Graal, une espèce de noblesse au service de la connaissance pour la connaissance et qui, par dichotomie, voit l'entreprise comme le mal incarné aux orientations purement financières. C'est peut-être vrai pour certains grands comptes, mais il y a tellement de choses à faire avec les petites et moyennes entreprises. Or, ces clichés sont longs à déconstruire", analyse Stéphanie Godier.

Une image voilée du privé

"Il se dit beaucoup de choses sur le monde de l'entreprise dans les labos, relève Stella Bitchebe. On y perdrait une certaine liberté ou on y serait cantonné à faire des travaux d'ingénierie". Doctorante au laboratoire d'Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia Antipolis (I3S), elle fait partie des 35 chercheuses distinguées par le prix Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science France 2021 décerné début octobre par la Fondation L'Oréal, l'Unesco et l'Académie des Sciences. Originaire du Cameroun, elle est arrivée en France pour un stage de fin d'études, licenciée en mathématiques, diplôme d'ingénieur de l'école polytechnique de Yaoundé en poche. Sa thèse porte sur l'Amélioration matérielle pour la virtualisation. L'idée à terme étant de réduire l'empreinte carbone des data centers tout en améliorant leur sécurité à travers notamment une nouvelle technologie de processeurs. "Ce sont des travaux plus pratiques que fondamentaux", admet-elle, ce qui explique peut-être sa curiosité pour le monde de l'entreprise qu'elle entend rejoindre, "au moins en stage", histoire de se faire une opinion, elle qui n'a "connu que le monde académique". "L'entreprise m'intéresse dans la mesure où elle se place dans le domaine de la recherche et de l'innovation. Je pense qu'on a une image voilée du privé, la plupart des grandes entreprises technologiques ont des pôles R&D sur lesquelles elles s'appuient pour développer leurs produits".

Une histoire d'individus

En fait, reprend Stéphanie Godier, "au-delà des initiatives structurantes comme la labellisation d'excellence IDEX qui incite les chercheurs à se rapprocher du monde économique, c'est avant tout une histoire d'individus qui en entraînent d'autres. L'évolution des mentalités ne pourra se faire qu'ainsi". En témoigne la post-doctorante Melpomeni Dimopoulou, elle aussi rattachée au laboratoire I3S et elle aussi récompensée par le prix Jeunes Talents pour les Femmes et la Science France 2021. Elle, et son directeur de thèse, sont engagés dans un projet de pré-maturation accompagné par la SATT Sud-Est, qui vise à créer une start-up innovante consacrée au stockage des données numériques sur l'ADN synthétique à partir de ses travaux de recherche dédiés au codage quaternaire. Ceux-ci ont été encadrés par le directeur de recherche Marc Antonini, le même qui en 2013 a co-fondé la jeune pousse Cintoo, basée à Sophia Antipolis et spécialisée dans la numérisation 3D. "Il y a des chercheurs qui jouent le jeu, ils ont compris l'avantage de s'ouvrir au monde économique pour leur recherche, mais aussi pour le territoire, souligne Stéphanie Godier. Toutefois, plusieurs générations de chercheurs-enseignants seront nécessaires avant que la culture d'entreprise ne s'installe définitivement au sein de l'université". Une culture qui a son importance car, rappelle-t-elle, "il faut avoir conscience qu'en moyenne, par domaine, il y a 10 postes de recherche pour 150 candidats. Ce qui veut dire que 140 personnes restent sur le carreau, elles arrivent sans plan B sur le marché du travail. Et à choisir, les entreprises préfèrent bien souvent prendre des ingénieurs que des docteurs." Là-aussi une question de mentalité !

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