« Les maladies rares posent la question de la médecine de demain et de son modèle économique » - Philippe Berta (généticien)

ENTRETIEN - D’abord il y a cet adjectif, rare, si peu approprié à ces 7.000 pathologies qui touchent quelque 300 millions de personnes dans le monde, 30 millions en Europe et plus de 3 millions en France. Dont 80% sont des enfants. Des maladies dites rares donc, bien que multiples, fréquentes et, prises collectivement, numériquement imposantes, qui vont faire l’objet d’un quatrième Plan national visant à toujours mieux organiser et structurer les réponses, notamment en termes de diagnostic et de prise en charge. Invité ce 11 avril à Sophia Antipolis par Eurobiomed, dans le cadre du cycle de conférences Biorezo, le généticien (et député MoDem) Philippe Berta revient pour La Tribune sur les enjeux majeurs que révèlent ces maladies rares. Où il est question de déclassement, de la faiblesse de la culture scientifique, de la place du public et du privé mais aussi d’innovations et d’espoirs thérapeutiques… à condition d’en trouver le modèle économique.
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LA TRIBUNE - Depuis 2004 et la désignation des maladies rares comme l'une des cinq priorités de santé publique, trois Plans nationaux maladies rares (PNMR) ont été lancés pour mieux accompagner les 3 millions de personnes atteintes de ces pathologies en France à travers, notamment, la structuration de filières. Le dernier s'achève cette année. Quid du quatrième et quels seront ses enjeux ?

PHILIPPE BERTA - Le PNMR 4 a bien été confirmé par le ministère de la Santé et des Solidarité et celui de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Il devrait être formalisé et présenté lors de la prochaine journée des maladies rares, le 29 février 2024, elle-même une journée rare. Quant à ses enjeux, il s'agit de poursuivre et d'améliorer toujours plus la dynamique instaurée par les trois premiers plans, à savoir faciliter l'accès au diagnostic et au soin, assurer une prise en charge de qualité, promouvoir la recherche, développer la formation et susciter, en particulier du côté industriel, la production de médicaments orphelins. Or, je remarque et je regrette que parmi ceux qui prendront la plume pour rédiger le PNMR 4, on ne compte ni représentant des patients, qui sont de véritables experts, ni représentant d'industriels, sans qui il me semble difficile de parler médicaments.

Comment l'expliquez-vous ?

Il y a, dans notre pays, une difficulté à vivre la relation publique-privée. Dans nos métiers plus particulièrement, nous nous sommes aperçus au fil des décennies que le public était le meilleur compétiteur du privé, notamment sur la question de la répartition des tâches. Prenons l'exemple du séquençage ADN, selon moi impératif pour réduire l'errance en termes de diagnostic mais dont les coûts d'investissement, de fonctionnement et de changement technologique sont importants. Est-ce vraiment le rôle de l'hôpital ? Il existe de très belles entreprises en France, qui ont de très belles plateformes de séquençage, avec qui nous aurions pu négocier cette partie-là et ainsi permettre à l'hôpital de concentrer le tir sur les services hospitaliers en les renforçant humainement sur les sujets de la bio-informatique et des conseils génétiques. Cela ne s'est pas fait, et c'est bien dommage car donner l'apanage au public ne contribue en rien au développement industriel. Avec les conséquences que l'on a vu lors de la crise de la Covid. Pas de masque, pas de système de prélèvement, pas d'appareil PCR, pas de kit PCR, pas de congélateur adapté... Depuis les années 80, nous nous sommes déshabillés de tous les outils, y compris de production, nécessaires à la progression de la biologie dans ce pays. Résultat : nous sommes en situation de dépendance, une situation souvent liée au fait que nous n'avons pas su aider les entreprises au bon moment ou nous les avons laissé en concurrence directe avec le public.

Le plan France 2030 et son volet innovation en santé, dont l'objectif est de redonner à la France le leadership en la matière, ne peut-il pas être une réponse à cette problématique industrielle ?

Je ne sais pas si ce plan sera une réponse, il matérialise en tout cas une volonté, donc une prise de conscience. Toutefois, le problème n'est pas que purement budgétaire. Il est aussi culturel. Réindustrialiser la France ne peut se faire que si nous avons les acteurs en face, et au regard de l'appétence que suscitent auprès de nos jeunes les métiers scientifiques, techniques, industriels, voire sanitaires, nous pouvons être inquiets. La culture scientifique se perd. Il faut savoir qu'au bout de la chaîne, les big pharma ne font que développer les résultats de la recherche fondamentale, or les classements parlent d'eux-mêmes. En termes de publications, tout secteur confondu, la France arrive douzième sur quinze selon l'Observatoire scientifique et technique (OST). Et si l'on se focalise sur les maladies rares et le soin, la production de biothérapie française ne pèse que 4% au niveau mondial.

Les industriels s'intéressent-ils au sujet des maladies rares ?

Très clairement, oui. Les biotechs comme les big pharma. Le repositionnement de Sanofi il y a deux ans sur l'immunologie, l'oncologie et les maladies rares, l'illustre.

Comment expliquez-vous ce repositionnement ?

Le fait, d'abord, que la recherche en thérapie génique donne enfin des résultats. Aujourd'hui, il y a des pathologies numériquement importantes comme la mucoviscidose pour lesquelles il se passe des choses concrètes. Et c'est tout l'intérêt des maladies rares. Ce sont des catalyseurs d'innovation, des défricheurs dans la mesure où toutes les questions qui se posent autour des maladies rares sont celles qui se poseront demain pour toutes les autres grandes pathologies, notamment en termes de médecine personnalisée et de modèle économique.

C'est-à-dire ?

Comment notre système de santé pourra-t-il prendre en charge un médicament biologique beaucoup, beaucoup plus cher qu'un médicament chimique ? On parle pour certaines pathologies du million d'euros par injection ! La question est donc posée et fait l'objet d'un comité interministériel mis en place à Matignon à la fin de l'année 2022. C'est une bonne nouvelle si l'on veut éviter une médecine à deux vitesses. Il existe en effet des propositions, à l'image de l'échelonnement des remboursements conditionnels qui comme son nom l'indique permet à un médicament orphelin d'obtenir une autorisation de mise sur le marché accélérée dont le maintien est conditionné aux résultats observés sur les patients. Sur ce volet économique comme sur d'autres, la maladie rare est intéressante tant vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique que vis-à-vis des autorités du pays.

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Commentaires 2
à écrit le 13/04/2023 à 11:03
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Ah, vivre absolument, quitte à trainer des tares incurables. Un choix difficile quand on est parent et que le dépistage prénatal est réalisé, entre absolument vouloir une progéniture et choisir si celle-ci doit subir des dommages alors qu'elle n'a ri...

à écrit le 13/04/2023 à 9:22
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comme disait mon medecin ' si je veux te trouver des maladies, il me suffit de chercher'......le pb est plutot de savoir en quoi ca empehce de vivre, et a quel cout.....pour le developpement des medicaments, je suggere plutot au bon peuple de gauche ...

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