Quelle feuille de route pour la Friche Belle de Mai ?

A la veille de ses trente ans, ce tiers-lieu est devenu une institution largement reconnue à l’échelle nationale voire mondiale. Après une première phase de constructions et de transformations, l’heure est à la stabilisation avec l’arrivée d’Alban Corbier-Labasse comme directeur général de la Société coopérative d'intérêt collectif (Scic) Ce qui passe par un plus fort ancrage sur le territoire, par une solidification de son économie, ainsi que par des passerelles vers l’international, Méditerranée et Afrique en premier lieu.
(Crédits : DR)

Drôle d'objet que la Friche de la Belle de mai, située dans le quartier éponyme. Enlacée entre des rails, un accélérateur de startup, un centre de vacances et un Pôle Emploi dont la file d'attente peine à désemplir, elle est faite d'un enchevêtrement de bâtiments qui ne se ressemblent pas. Certains sont faits de briques, d'autres de béton. Un style industriel orné de graffitis, d'autocollants, d'affichettes avec, ci et là, quelques oasis de verdure. On y trouve un restaurant, une librairie, des studios d'enregistrement, des radios locales, des expositions, un skate-parc, des terrains de sport, des jeux pour enfants ou encore un marché paysan hebdomadaire.

« Si t'as compris la Friche, c'est qu'on t'a mal expliqué », aimait à répéter Philippe Foulquié qui l'a fondée en 1992.

Une utopie devenue institution

A l'époque, l'ambition est de faire de cette ancienne manufacture de tabac un lieu de liberté créative. Un lieu qui mettrait l'artiste au cœur de la Cité. Et inversement. Un endroit où art et société se nourriraient l'un l'autre, sans borne. Sa force : la diversité des espaces proposés, source d'une créativité illimitée.

La Friche accueille ainsi une série d'événements. La première Rave-party marseillaise. Des nuits de lecture de poèmes. Des colloques internationaux. Le festival Marsatac. En 2013, alors que Marseille est sacrée capitale européenne de la culture, le lieu figure parmi les cinq sites remarquables de la ville.

Sous la houlette d'Alain Arnaudet, elle grandit, grossit, se transforme. Pour devenir non plus seulement un lieu d'utopie et de liberté, mais une institution de la région, dotée d'une notoriété internationale.

En 2021, après dix années de services comme Directeur général, Alan Arnaudet quitte ses fonctions. Son successeur : Alban Corbier-Labasse. Originaire du Sud-Ouest, il travaille depuis trente ans dans le domaine de la culture. Parmi ses faits d'armes : la direction de l'Institut Français de Casablanca. Si son prédécesseur était, selon ses termes, « un bâtisseur », lui se pose plutôt en fortificateur. « L'idée c'est de stabiliser le projet et de se projeter sur les dix ans à venir » résume-t-il.

Être un acteur économique et social du territoire

Pour ce faire, il est question de s'enraciner davantage dans l'écosystème local. A commencer par le quartier, la Belle de mai, marqué par d'importants enjeux sociaux. Ici, plus d'un habitant sur deux (53,4%) vit sous le seuil de pauvreté, soit 25 000 personnes. Des chiffres qui datent d'avant la crise sanitaire, qui n'a bien sûr fait qu'empirer la situation.

De par sa volonté d'intégrer la culture à la Cité, la Friche s'intéresse nécessairement à ces enjeux. D'où son choix de compter parmi ses 70 résidents des structures de l'Économie sociale et solidaire. Pour l'heure, elles ne sont que deux : l'incubateur Intermade qui accompagne les créateurs d'entreprises solidaires et sociales ; et Emmaüs Connect, qui lutte contre l'illectronisme (incapacité à utiliser les outils numériques). « Ces acteurs nous apportent un nouveau regard sur les pratiques du territoire ». D'autres structures de ce type à venir ? Pas pour l'instant faute de places disponibles. Mais pourquoi pas lorsque certains résidents partiront. « Quand des espaces se libéreront, nous souhaitons privilégier des candidats qui ont un projet pour la Friche. Qui se posent comme des acteurs citoyens du territoire ».

Mais vouloir apporter quelque chose au territoire est une chose. Reste à le mesurer. Ce à quoi s'attelle depuis la rentrée un chercheur en résidence sur place. « L'enjeu est de montrer que la Friche est non seulement un lieu culturel mais aussi un poumon économique qui irrigue le quartier ». Que ce soit au travers de l'emploi - le lieu fait vivre 400 personnes même si toutes ne viennent pas du quartier -, ou de l'activité économique générée pour les commerces alentours.

Si les résultats prouvent des externalités significatives, ils permettront de peser davantage face aux pouvoir publics qui financent à 60 % la Friche (Ville de Marseille en premier lieu, puis Région, État et Département).

Solidifier le modèle économique et s'ouvrir davantage aux entreprises

« Nos subventions n'ont pas augmenté depuis 2013. En parallèle, la facture d'électricité a augmenté de 20 % entre 2018 et 2019 », pour atteindre un montant annuel de 400.000 euros. Plus ou moins anciens, les bâtiments nécessitent par ailleurs un entretien coûteux. « Pour maintenir le bâtiment en l'état d'ici dix ans, il faudra dépenser chaque année 600.000 euros ».


D'où la nécessité de diversifier les sources de financement. Au delà de la participation aux frais versée par chaque résident, la Friche est alimentée par des mécènes et développe une activité de location d'espaces à destination des entreprises. Activité qui représente pour l'heure 25 à 30 % du budget total de 7,9 millions d'euros. « Récemment on a accueilli Leroy Merlin. Et prochainement, nous aurons l'Association nationale des DRH »

Mais Alban Corbier-Labasse voudrait aller plus loin. « Il nous faudrait un club de mécènes, avec de grandes entreprises du territoires qui souhaiteraient s'engager dans le cadre de leur politique RSE ». Il s'agirait alors d'avancer ensemble sur des enjeux d'attractivité du territoire, de formation et d'éducation.

Autre défi qui attend la Friche : sa transition énergétique. Pour des raisons de responsabilité environnementale mais aussi par nécessité économique. « Les espaces les plus anciens, en béton, sont extrêmement poreux et énergivores. L'été, il y fait très chaud, l'hiver très froid. Il faut faire quelque chose si l'on veut que le lieu reste vivable d'ici dix ans ». D'où le recours à des cabinets d'étude spécialisés, auquel s'ajoute la conduite d'un groupe de travail, La Friche verte, porté par la Scic et des résidents, qui cherche à mener des actions collectives pour verdir et rafraîchir le lieu au moyen d'arbres ou de jardins partagés.

Cap sur le sud

Plus ancrée sur son territoire, plus solide économiquement, plus verte, la Friche aspire aussi à s'ouvrir sur la Méditerranée. « Nous voulons faire de ce lieu une plateforme de coopération internationale ». Une coopération qui porterait sur divers sujets tels que la culture bien sûr, mais aussi sur la formation professionnelle. « Cela pourrait s'inscrire dans de grands programmes d'aide des bailleurs internationaux ou de l'Agence française de développement ». Des discussions sont en cours avec le Campus AFD à Marseille. Pour faire de cette Friche un phare de la culture méditerranéenne et africaine.

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