Thierry Jacquinod : "La technologie nous permet de faire des sauts de service importants"

Améliorer l’expérience voyageur, répondre aux défis de la numérisation, s’inscrire dans l’économie d’énergie…. Pour faire face aux enjeux contemporains, la SNCF fait évoluer ses gares. Gare & Connexions Grand Sud, la branche de l’entreprise ferroviaire chargée du foncier en PACA et Occitanie, est précurseuse des innovations qui seront déployées dans la France. Comme l'explique son directeur.
(Crédits : Ange Porteno/La Tribune)

La Tribune - En quoi consiste le projet "Smart & Station" développé par la SNCF ?

Thierry Jacquinod : C'est un système, mais aussi une organisation. Il y a un an et demi, nous avons senti le besoin de mieux connaître le fonctionnement de l'ensemble de nos équipements dans nos gares pour mieux les exploiter. Notre ambition est d'avoir des gares où nous sommes capables de savoir ce qui fonctionne ou dysfonctionne et d'avoir une réactivité en temps réel. Si par exemple le hall de la gare Saint-Charles à Marseille s'éteint, et bien cela envoie immédiatement une alarme au centre opérationnel qui lui permet de réagir avant même que quelqu'un ne s'en rende compte. Nous pouvons anticiper un dysfonctionnement et réarmer l'éclairage ou appeler des équipes techniques si nécessaire. Cela permet également de simplifier et d'automatiser la gestion de la gare en ouvrant les bâtiments quand il n'y a pas d'agent. Dans ces cas, la surveillance devrait se faire via des photos rafales, un dispositif plus conforme à nos besoins et plus simple à mettre en place légalement que la vidéo.

Cette automatisation signifie donc moins de personnel dans les gares ?

Non, nous demandons désormais aux agents en gare d'avoir une attention particulière aux voyageurs, à leurs émotions et à la perception client. Il y a peu d'intérêt à envoyer un humain vérifier qu'un ascenseur fonctionne si on appuie sur le bouton, en revanche, il y a un grand intérêt à envoyer un agent aller voir ce qu'un voyageur peut penser du service qui lui est offert et comment l'améliorer. "Smart & Station", c'est être capable d'être plus proche de nos voyageurs sans forcément être plus nombreux puisqu'il y a des contraintes économiques évidentes qui font que ça ne sera pas le cas.

Où en est le développement de ces "Smart & Station" et quel est son impact financier ?

Ce dispositif s'étend sur les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie. Aujourd'hui nous avons 9 gares concernées avec Aix-en-Provence TGV, Avignon TGV, Saint-Charles, Aubagne, Nice Riquier, Cannes, Lézignan, Colomiers et Lunel. Il y en aura trois supplémentaires d'ici la fin de l'année et l'objectif est d'aller crescendo puisque cela se fait lors des opérations de rénovation, ce qui présente un coût peu élevé. Par exemple, les systèmes électriques qui historiquement sur une grande gare nécessitent une dépense de plusieurs centaines milliers d'euros en représentent maintenant plusieurs dizaines de milliers, c'est très frugal à l'échelle des coûts de fonctionnement, rénovation, entretien de nos bâtiments publics. Par ailleurs, beaucoup d'équipements sont déjà équipés de capteurs, le choix que nous avons fait c'est de les connecter entre eux.

Quel est le lien entre "Smart & Station" et Aix-en-Provence TGV devenu laboratoire national des innovations en gare ?

La satisfaction des voyageurs se fait sur deux leviers : la dette et le don. La dette, c'est ce qui empêche de voir les nouveautés parce qu'elles ne fonctionnent pas bien ou sont désagréables. La frontière entre l'un et l'autre est évidemment assez floue, les choses passent rapidement de l'un à l'autre : il y a trois ans, mettre des prises dans une salle d'attente nous étions dans le don, c'était quelque chose de nouveau, maintenant s'il n'y en a pas, nous sommes dans la dette. Le digital a accéléré le cycle de vie des services et il faut aller toujours plus vite. Aixploration nous apprend à fonctionner extrêmement vite et ajoute un module énergétique. "Smart & Station" efface les dysfonctionnements ce qui rend plus visible le don. Ces évolutions pourront s'étendre à toutes les gares de France avec certainement une vingtaine de centres opérationnels qui auront en pilotage une centaine de gares. Maintenant nous passons à l'exploitation des systèmes, la phase de test a déjà eu lieu. Nous nous donnons quatre mois pour passer au module industrialisable.

Pourquoi être devenu partenaire fondateur de thecamp ?

D'abord parce qu'il s'agit d'un lien de rencontre absolument extraordinaire où la qualité des échanges, notamment avec les autres partenaires fondateurs, nous permet de progresser plus vite dans la modernité en découvrant de nouvelles méthodes de co-innovation et d'agilité. Ensuite, parce que l'approche de thecamp est assez humaniste avec une idée de développement durable, cela me plaisait beaucoup. Ce n'est pas faire de la technologie pour de la technologie, mais comment projeter les hommes et les femmes dans un monde plus 21ème siècle et les préparer à cela.

Tous ces investissements ne sont-ils pas éloignés des besoins des voyageurs en gare ?

Le projet a commencé par une enquête clientèle basée sur le ressenti des voyageurs, c'est le fondement de tout, je suis jugé sur la satisfaction des clients en gare. Nos mesures d'émotions ont par exemple montré que les annonces au haut-parleur étaient un facteur de stress et de difficultés. En voulant faire bien en donnant de l'information, en fait, nous en donnions trop. Aujourd'hui, nous n'entendons plus que des annonces sur des situations perturbées, c'est ce que nous appelons "Gare Sereine", nous l'avons fait à Aix TGV et c'est désormais déployé dans presque toutes les 3 300 gares de France. Le voyage c'est aussi l'expérience en gare, depuis que nous avons fait Aixploration, la gare d'Aix TGV a gagné en point de satisfaction, cela y participe directement ou indirectement, il y a une vraie complémentarité. La technologie nous permet de faire des sauts de service important.

Peut-on imaginer que cela débouche sur des nouveaux revenus pour les gares ?

C'est plutôt une vraie source d'économie. Avec Aixploration, nous apprenons beaucoup de choses tous les jours. Entre novembre et mai nous avons collecté beaucoup de données sur notre consommation électrique, notre capacité de production avec les ombrières photovoltaïques, ce que les voitures électriques sur le parking nous apportent comme énergie... Nous commençons maintenant à exploiter ces informations. Cela nous a notamment permis de voir que notre consommation électrique est moindre et plus linéaire que ce que nous pensions. Nous estimions nos besoins à 4 mégawatts de capacité photovoltaïque, quand les pré-études refaites début juillet montrent que nous avons besoin d'un peu plus d'1 MW. Nous nous apercevons aussi que les voyageurs arrivent avec des voitures électriques chargées, nous pensions qu'elles étaient déchargées. C'est extrêmement intéressant à deux titres : parce que le déploiement des voitures électriques qui devrait être croissant sur la zone ne va pas déséquilibrer le système tel qu'il est en train d'être monté. Et pour le "Vehicule to Grid" développé avec thecamp, à savoir comment utiliser les capacités de batteries des voitures pour assurer l'autonomie énergétique du site, sera plus simple car nous pourrons utiliser les voitures plus facilement. Une expédition va débuter fin septembre avec des véhicules SNCF.

L'un des gros projets de la région concerne la gare Saint-Charles à Marseille, où en est-il ?

Nous sommes suspendus à la décision de la ministre et du gouvernement, il s'agit d'un projet étatique de 6 milliards d'euros dans le cadre d'une ligne nouvelle entre Gênes et Barcelone, c'est au projet de loi d'orientation des mobilités de programmer ou non ces investissements. Indépendamment de ce grand projet, nous avons des évolutions en quasi-permanence sur la gare de Marseille Saint-Charles avec par exemple la construction d'ici juillet 2019 d'un nouveau centre opérationnel d'exploitation pour les trains avec l'objectif d'avoir une organisation plus efficace. L'ambition est double : avoir des trains encore plus à l'heure et une information voyageur exemplaire.

Est-ce que l'annulation de l'extension de la gare aurait un impact sur son modèle économique ?

Le projet comporte bien évidemment un volet services et commerces très important, nous pourrions passer de 3 000 m2 de commerce à 10 ou 15 000 m2. Aujourd'hui, la moitié des revenus d'une gare provient du transport ferré et l'autre de l'immobilier, les commerçants étant une partie importante. C'est un modèle confirmé par la loi du pacte ferroviaire, y compris concernant la péréquation nationale. Tant que la loi n'est pas modifiée, cela ne changera pas.

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