Consécration du droit à vivre dans un environnement sain comme liberté fondamentale : quel impact sur les entreprises ?

Par un arrêt du 20 septembre 2022 rendu sur requête du cabinet Greencode Avocats, basé à Grasse en première instance, et SCP Zribi Texier en cassation, le Conseil d’Etat a érigé au rang de liberté fondamentale le droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Il s’agit incontestablement d’une avancée majeure pour les justiciables, qui se voient ouvrir une nouvelle procédure. Concrètement, qu’est-ce que cela va changer dans la pratique des entreprises ? Par Heloïse Aubret, avocate à la Cour, fondatrice Greencode Avocats.
(Crédits : DR)

Un département avait été autorisé, par décision préfectorale, à réaliser des travaux de réalisation d'une piste cyclable le long de la RD29, à La Crau, dans le Var.

Lorsque l'entreprise en charge de ces travaux est arrivée au niveau de la propriété de l'entreprise Vegetech, cette dernière a demandé à son avocat de faire cesser lesdits travaux en urgence : l'entreprise avait commencé à tronçonner une haie de cyprès, dans laquelle étaient en train de nicher des espèces protégées.

Or, l'article L. 411-2 du code de l'environnement interdit de porter atteinte à des espèces protégées et à leurs habitats sans dérogation. Et, force était de constater le Département du Var ne détenait pas cette dérogation, se plaçant ainsi en situation d'illégalité. Cette atteinte était particulièrement importante pour les dirigeants de l'entreprise, biologistes, qui aménagent leur terrain depuis 20 ans de manière à développer la faune et la flore présentes, étudier les espèces protégées, afin d'alimenter les bases de données naturalistes.

Cependant, les faits étant commis par une entreprise privée sur ordre d'une personne publique, l'affaire devait être soumise au juge administratif.

Or, la procédure de référé liberté, qui permet d'obtenir une décision juridictionnelle en 48 heures seulement, est ouverte à trois conditions : il faut que cette atteinte soit grave, et qu'il faille y mettre fin de manière urgente ; la notion de gravité et d'urgence est évaluée au cas par cas par le juge, il fallait donc développer en quoi l'atteinte était urgente : les travaux avaient commencé à altérer un habitat d'espèces protégées, et la destruction de ce dernier serait irréversible. Il est nécessaire qu'elle soit manifestement illégale. L'illégalité de l'atteinte était acquise dans la mesure où un habitat d'espèces protégées était dégradé sans que la personne publique ne détienne de dérogation à l'interdiction de l'altérer. Il faut prouver une atteinte à une liberté fondamentale.

Droit à un environnement sain

La procédure de référé-liberté existe depuis 22 ans, ayant été instituée par la loi du 30 juin 2000.

L'article L. 521-2 du code de justice administrative dispose : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

Le Conseil d'Etat consacre au cas par cas les libertés qu'il estime fondamentales et qui peuvent être invoquées à ce titre dans le cadre de cette procédure, par exemple : le droit de propriété (CE, 31 mai 2001, n° 234226) ; la liberté d'entreprendre, la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté contractuelle (CE, 12 novembre 2001, n° 239840)

Les requérants ont donc saisi le juge d'une requête en référé liberté, en soutenant qu'il fallait que le droit à un environnement sain soit érigé au rang de liberté fondamentale. Le tribunal administratif a rejeté la requête, au motif que : « En premier lieu, s'il découle de ce texte que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ainsi que l'a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020, cette même protection de l'environnement ne constitue toutefois pas une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. » (TA Toulon, ordonnance du 25 mars 2021, n°2100764)

Sur un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat a opéré un revirement de jurisprudence, par un considérant de principe : « En outre, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu'elle entend défendre, qu'il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises. »

Quelles conséquences pour les entreprises ?

Désormais, lorsqu'une personne publique, ou une personne privée agissant pour son compte, c'est-à-dire une entreprise de travaux publics, entreprise chargée de mission de service public, porte atteinte à ce droit à vivre dans un environnement sain, il est possible de demander au juge des référés de stopper cette atteinte dans un délai extrêmement rapide de 48 heures. Les conditions d'admission du référé liberté restent strictes : il faut que l'atteinte présente un degré de gravité suffisamment important. En l'espèce, le Conseil d'Etat relève :

« Il résulte du diagnostic environnemental préalable réalisé en janvier 2017 par le département du Var que la sensibilité du milieu naturel, notamment biologique, au projet envisagé est modérée, et qu'aucun enjeu de conservation notable n'a pu être identifié. »

Par ailleurs, il est nécessaire que l'atteinte doive être cessée en extrême urgence. Ici encore, le Conseil d'Etat a écarté la notion d'urgence, dans la mesure où ces travaux avaient été autorisées par des décisions administratives non contestées par les requérants. Cette analyse de l'urgence reste discutable.

En conséquence, il ne semble pas que cette décision engendrera un recours massif à la procédure de référé liberté en matière d'environnement, qui paralyserait toute action.

Au contraire, cette décision est très positive pour les entreprises, puisqu'elle permet d'améliorer le contrôle du respect des règles qui s'appliquent à toutes.

Les autorisations administratives nécessaires à la réalisation de travaux sont parfois difficiles à obtenir, notamment les dérogations à l'interdiction de détruire des espèces protégées (article L. 411-2).

Aussi certains opérateurs économiques peuvent être tentés d'outrepasser ces obligations, créant une distorsion de concurrence déloyale par rapport à ceux qui s'y soumettent. Désormais, ce genre de pratique pourra être stoppée rapidement, valorisant les entreprises qui agissent dans le strict respect des normes.

Il s'agit, en effet, d'un moyen supplémentaire pour s'assurer qu'une entreprise n'agisse pas de manière manifestement illégale, renforçant alors l'activité de celles qui agissent de manière respectueuse de ce droit humain fondamental : celui de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Il constitue la 39ème liberté fondamentale proclamée par le Conseil d'Etat.

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Commentaire 1
à écrit le 26/08/2023 à 16:55
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C'est un pas en avant c'est certain mais bon la justice affamée par la corruption politico-financière et une finance qui se vautre dans l'argent du crime n'est elle tout simplement pas en état de gérer un tel phénomène afin que celui ci devienne vert...

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