Brun de Vian-Tiran : le défi du made in France envers et contre tout

Installée à L’Isle sur la Sorgue dans le Vaucluse depuis 1808, cette entreprise détentrice du label EPV fabrique et commercialise des étoffes réalisées à partir de fibres nobles venues du monde entier. Au fil des huit générations qui se sont succédé à sa tête, elle est parvenue à résister à une série de chocs, de la crise de 1929 aux délocalisations des années 1960. Se remettant sans cesse en cause. Poussant toujours plus loin son exigence de qualité.
(Crédits : DR)

C'est à Fontaine-de-Vaucluse, au cœur des monts du Vaucluse, que la Sorgue prend sa source, jaillissant d'une abrupte falaise. Cette source, qui est la plus puissante du pays, se nourrit des eaux de pluie et de la fonte des neiges du Mont Ventoux, des Monts du Vaucluse, du plateau d'Albion et de la Montagne de Lure. Avec un écoulement total de 630 millions de mètres cubes par an, cette source est la plus généreuse du pays.

Au dix-neuvième siècle, cette puissance alimente, tout au long de la Sorgue, de nombreuses activités artisanales et industrielles. A l'Isle sur la Sorgue, on compte alors une soixantaine de manufactures textiles. De la soie, mais aussi de la laine car non loin, on élève des moutons. On dispose par ailleurs d'importantes quantités de chardon, utilisé pour gratter les étoffes afin d'en faire ressortir les fibres.

Par ailleurs, le contexte géopolitique est favorable pour ces entreprises. Nous sommes encore en territoire papal et le blocus continental restreint les importations. Un terreau propice, sur lequel Charles Tiran et son gendre Laurent Vian fondent en 1808 les prémices de Brun de Vian-Tiran.

Toutes les étapes de fabrication réalisées en interne

Au départ, l'activité de l'entreprise se résume à une seule étape de fabrication, le foulage qui consiste, par une pression exercée sur le tissu, à le rétrécir. « C'est une technique qu'on utilise pour les feutres par exemple. C'est aussi le secret de la longévité de nos étoffes », assure Jean-Louis Brun, le dirigeant de l'entreprise.

Dans les années qui suivent, l'entreprise élargit sa palette de savoir-faire, devenant à la fin du XIXème siècle « une entreprise entièrement intégrée et autonome », capable de prendre en charge les 15 étapes de son procédé de production. « Cela nous a donné un gros atout lors des délocalisations des années 1960. Quand on ne fait qu'une ou deux étapes de production, on dépend beaucoup des autres. Nous, nous étions autonomes ». De telle sorte que l'entreprise n'a jamais délocalisé le moindre emploi.

Brun de Vian-Tiran s'illustre aussi par « une grande capacité de remise en question ». En 1932, alors que la crise économique de 1929 l'a sérieusement amochée - « nous n'avions plus que 8 salariés en temps partiel » -, le grand-père de Jean-Louis Brun reprend l'entreprise et noue un partenariat avec un fabricant de charentaises à qui elle fournit du tissu grâce à son savoir-faire dans le feutre et le tissage. L'activité prend un nouveau souffle. A tel point que deux ans plus tard, la PME passe de 8 à 40 salariés.

Face à l'émergence de la grande distribution, le pari du haut de gamme

Dans les années 1960, elle fait face à une transformation majeure du marché avec l'émergence de la grande distribution. Beaucoup succombent à ses sirènes, convaincus que pouvoir prospérer grâce à elle. Pas Brun de Vian-Tiran « Mon père et mon grand-père ont toujours refusé d'y aller. Ils m'ont toujours dit que la grande distribution est destructrice de valeur. Et que pour vendre un beau produit, il faut du conseil ».

A l'inverse, l'entreprise fait le choix de monter en gamme. A la concurrence par les prix, elle répond différenciation par la qualité. « Jusque-là, faire du haut-de-gamme dans ce marché n'avait pas de sens. Pendant longtemps, les couvertures étaient un bien d'équipement rustique. Elles devaient être bien chaudes, lourdes mais pas nécessairement douces. Mais dans les années 1960, mon père et mon grand-père ont voulu révolutionner ce marché ». Car ils sentent que les habitudes de consommation évoluent. Avec le déclin du travail manuel, les mains, moins usées, sont de plus en plus sensibles à la douceur. Et les appartements étant mieux chauffés, les couvertures peuvent s'alléger un peu. L'achat d'étoffes ne doit plus être purement utilitaire. Il doit résulter d'un coup de cœur.

L'approvisionnement, un enjeu stratégique

Coup de cœur que l'entreprise veut provoquer en confectionnant d'abord des étoffes en mohair, une matière « très douce, vaporeuse, que l'on peut teindre de toutes les couleurs. C'est l'opposé du plaid de l'époque ». S'ensuit « une course à la création ». Cachemire, alpaga, cashgora, bouquetin sibérien : la gamme s'enrichit d'une grande diversité de fibres dénichées aux quatre coins du monde, dans le cadre de relations étroites avec les fournisseurs.

« Nous voulons que tous les maillons de la chaîne s'y retrouvent. C'est indispensable pour s'installer dans la durée et créer une différence par rapports aux prix du marché ». Mais la relation ne consiste pas seulement en l'achat de matières premières. Elle repose aussi sur la co-construction des ces matières. C'est le cas de la laine de Mérinos d'Arles antique dont la marque a l'exclusivité. « Nous travaillons depuis 30 ans avec des bergers de la région pour améliorer la qualité de la laine de ce mérinos au travers des croisements ». Désormais, cette laine est « la plus fine de l'Hémisphère Nord ». De quoi mieux valoriser le travail de la quinzaine de bergers partenaires.

L'entreprise procède de la même manière en Mongolie pour la laine de chameau, en lien avec une ONG qui lutte contre le surpaturage. Le chameau permettant une gestion plus durable des sols que les chèvres et moutons.

Exister dans une société d'images et d'informations

Mais fournir des produits de qualité ne fait pas tout. Au XIXème siècle, le défi est aussi de continuer à exister dans une société où l'information abonde, et où l'image est capitale. Si les produits sont distribués au sein de 1.500 points de vente physiques (grands magasins, boutiques de linge de maison, litiers ou encore quelques hôtels), le numérique est bien sûr devenu incontournable. « Nous sommes sur internet depuis 2014 », assure Jean-Louis Brun, dirigeant de l'entreprise. A travers une boutique en ligne sur son site et sur plusieurs sites de e-commerce. Les réseaux sociaux sont en outre un axe de travail important, permettant de raconter l'histoire de l'entreprise et de donner à voir les matières, presque comme si on les touchait.

En 2018, l'entreprise décide de fortifier le lien avec ses clients en ouvrant, dans une aile du bâtiment de sa manufacture, une boutique ainsi qu'un musée de 300 mètres carrés, la Filaventure, qui met à l'honneur ses savoir-faire. « Il s'agit de créer un lien d'attachement à la marque ».

Si le lancement a été quelque peu chamboulé par les mouvements des gilets jaunes puis par l'épidémie de covid-19, Jean-Louis Brun assure que 2021 a été « une très belle année », avec 10.000 visiteurs. L'ambition est d'atteindre les 30.000. Le récent référencement par l'association Entreprise et découvertes devrait offrir une visibilité accrue.

Le défi de l'export

Essentiellement présente en France, l'entreprise ne réalise que 20 % de son chiffre d'affaires à l'export. « Entre 2002 et 2008, nous avons développé l'international » ». En particulier l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Italie, où les pratiques de couchage sont similaires. Mais les crises des subprimes et de la zone Euro ont particulièrement affecté la demande dans ces pays. Et en Italie, la concurrence est rude. « Nous avions en face de nous des acteurs qui ne fabriquaient pas localement et qui proposaient de très importantes remises. Cela a cassé le marché ».

Brun de Vian-Tiran voudrait désormais relancer son déploiement international dans les pays voisins, « avec une approche plus décorative ». D'autant que l'épidémie, les confinements et l'essor du télétravail ont redonné à beaucoup, en France comme ailleurs, l'envie de soigner leur intérieur. Pour en faire un cocon de réconfort et de douceur.

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