« La science française doit créer encore davantage d'entreprises » (Nicolas Dufourcq, Bpifrance)

Dix ans après sa création, le rôle de la banque publique d'investissement s'ancre toujours plus dans les territoires. Présent à Marseille, le directeur général de Bpifrance a lancé aux côtés du président de la Région Sud, le Sud Prêt Climat dédié aux entreprises soucieuses d'accélérer leur transition environnementale. Et avec Renaud Muselier, Nicolas Dufourcq partage la vision d'une réindustrialisation qui doit être encore plus visible - surtout à l'international - et ambitieuse, portée aussi par les capitaux privés. Et d'encourager les chercheurs à enjamber davantage la frontière qui les sépare encore du monde entreprenarial.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Bpifrance célèbre les dix ans de la présence de la banque publique d'investissement en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Quel bilan tirez-vous ?

NICOLAS DUFOURCQ - Il faut se souvenir que lorsque nous lançons Bpifrance, nous sommes en 2012 et le contexte n'est alors pas celui que nous connaissons aujourd'hui. Les présidents régionaux étaient alors assez frileux à l'idée de la création de cette banque. Dix ans plus tard, notre soutien, en Provence-Alpes-Côte d'Azur a été multiplié par 37. Les accélérateurs sont l'outil, en termes d'effet multiplicateur, le plus porteur, c'est ce que remarquent notamment certains économistes.

Vous lancez officiellement un nouveau dispositif, appelé Sud Prêt Climat. Ce qui correspond à la stratégie 100% budget vert de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Quels sont vos objectifs ?

RENAUD MUSELIER - Notre ambition est de toujours regarder devant. Plus de 2.110 entreprises ont été accompagnées depuis 2013. C'est 364 millions d'euros engagés. Les chiffres sont importants. C'est un soutien multiplié par 37 en dix ans. Cela signifie que nous avons réussi à mettre en place un dispositif qui va directement au cœur des entreprises. Nous avons structuré cela par une double méthode - qui est ma méthode - l'addition des performances et des compétences. Bpifrance a un métier, nous avons des compétences, nous avons, dans le cadre de la loi, une responsabilité sur l'entreprise et l'économie. Nous travaillons avec les responsables de l'État performants sur ces sujets. Le maillage fonctionne. Les équipes travaillent ensemble. C'est simple. Dès que nous avons fixé notre stratégie sur le développement économique, que nous avons eu notre premier budget vert d'Europe, nous avons coloré nos actions autour de cette démarche, dans une région faite de territoires très différents, la présence de trois grandes métropoles, de la ruralité... L'accompagnement se fait pour tout le monde, les TPE comme les ETI. Le mécanisme est simple, il est fluide.

NICOLAS DUFOURCQ - Tout ce que l'on construit c'est cela, un outil d'une fluidité totale, centré sur le territoire, à hauteur d'homme. Nous sommes une entreprise très opérationnelle. Dès que ce n'est pas opérationnel, on s'écarte. Nous sommes créatifs ensemble.

RENAUD MUSELIER - Les aides concernent aussi bien les TPE que les ETI. 501 entreprises ont été accompagnées par le fonds innovation, 825 projets ont bénéficié des Prêts Rebond, 60 entreprises ont intégré Sud Accélérateur. Et nous sommes la première Région en termes de fonds FEDER. Le Sud Prêt Climat consacre 10 millions d'euros à 500 entreprises régionales d'ici 2024. Et 2024, c'est demain.

La réindustrialisation est une volonté, encouragée depuis la crise sanitaire. Le Sud aussi est davantage visible pour sa filière industrielle et accueille d'importants projets d'industrie décarbonée dont des gigafactory. La réindustrialisation est-elle, globalement, devenue une réalité ?

NICOLAS DUFOURCQ - La réindustrialisation est devenue une réalité. Mais cela prendra une quinzaine d'années. Il faut donc être conscient du temps nécessaire pour rattraper ce qui a été perdu. Cela demande des efforts constants, beaucoup de capitaux. Il faut trouver le foncier, le dépolluer. Il faut dialoguer avec les élus. Il faut du financement public et il faut du financement privé. S'il n'y a pas la contrepartie apportée par le privé, nous ne pourrons pas faire la réindustrialisation. Les financeurs régionaux, toutes les banques mutualistes, sont invitées à contribuer à la réindustrialisation de la région. Les fonds privés d'investissement aussi. Nous menons un travail important avec ces partenaires pour les conscientiser d'abord, puis leur donner envie de participer à cet objectif. L'État investit beaucoup d'argent mais il ne peut pas tout financer, sinon c'est de la nationalisation.

RENAUD MUSELIER - Dans le cadre de France 2030, nous nous sommes rapprochés de Bruno Bonnell. Le Sud était 8ème ou 9ème région française en termes d'industrie. Elle est troisième désormais. Ce qui ne fonctionnait pas c'est que chaque porteur de projet y allait de son côté. Certains blocages administratifs empêchaient aussi la concrétisation de projets. Nous avons mené une expérimentation avec Bruno Bonnell et nous étions les seuls en France. Désormais, tous les projets qui ont besoin de remonter au niveau national sont validés par le préfet Mirmand et moi-même. Et cela fonctionne très bien. Je rejoins Nicolas Dufourcq, tout fonctionne grâce aux écosystèmes. Que ce soit sur la santé, l'agro-alimentaire, le maritime, le militaire... nous avons de grandes entreprises.

Quelle est la place des territoires dans la compétitivité de la France ?

NICOLAS DUFOURCQ - La réindustrialisation de la France se fera grâce aux territoires, aux métropoles régionales, là où le pouvoir industriel est concentré, où la culture industrielle est concentrée. Nous sommes très fiers d'être une banque interrégionale où les décisions sont prises par les directions dans les territoires. Pas à Paris. C'est fondamental. Et je veille à ce que cela soit conservé. Certes, France 2030 recentre un peu les décisions, en partie. C'est du très gros volume de subventions, on peut comprendre. Nous faisons tout de même attention à ce que ce soit équitablement réparti. France 2030 est un énorme programme de réindustrialisation.

RENAUD MUSELIER - Et il est important de souligner que France 2030 accompagne aussi bien les petites que les grandes entreprises. Il ne faut pas oublier les PME. Nous avons des territoires pilotés par des présidents aux visions très différentes. Tous sont pour le développement de leur territoire et là il n'est pas question d'étiquettes politiques. Si nous pouvons accueillir une giga-factory à Fos, c'est parce que Fos a été développée par nos aînés. L'enjeu de compétitivité est territorial.

NICOLAS DUFOURCQ - De nombreux industriels sont installés sur les côtes et les friches - à part Fos et Dunkerque - sont à l'intérieur des terres. Il faut inventer un modèle dans lequel les entreprises industrielles ont peut-être leur siège près de la côte, mais les usines à l'intérieur des terres. Après tout, il vaut mieux délocaliser en Bourgogne qu'en Pologne.

Bpifrance a donné naissance au coq rouge, qui a contribué à exporter l'innovation française, notamment au CES Las Vegas. Depuis sont nés le Coq Bleu, le Coq Vert... Cela aussi contribue à l'image de la France à l'international...

NICOLAS DUFOURCQ - Pour tout cela, il faut une énergie physique et psychique, celles de l'entrepreneur. C'est comme au sport. S'il n'y a pas de drapeau, pas d'hymne, s'il n'y a pas de stade, on ne gagne jamais. Il faut des communautés incarnées, avec de grands joueurs héroïsés, des fanions... Le Coq Bleu c'est le club des fans de l'industrie française. Et les entrepreneurs sont fiers d'arborer ce Coq, bleu, vert... Ma volonté est de réussir avec le Coq Bleu ce que nous avons réussi avec le Coq Rouge. La France connaît le Coq Bleu mais le monde doit reconnaître le Coq Bleu, reconnaître que l'industrie française est en train de repartir. Maintenant que nous construisons de nouvelles usines, il faut que ce soient de belles usines, que ce soient des usines iconiques.

RENAUD MUSELIER - L'image de l'industrie s'est néanmoins modifiée. Nous en avons fini avec la perception d'une industrie sale, mal rémunérée. Aujourd'hui l'industrie crée de l'emploi, avec des niveaux de rémunération qui conviennent. Nous sommes proches des UIMM. Le CES est aujourd'hui un événement où nous accompagnons les startups avant même le départ à Las Vegas, nous les formons aux pitchs notamment. Cela crée une émulation. L'effet du groupe, du collectif est essentiel.

NICOLAS DUFOURCQ - Un autre sujet est important pour la Région comme pour Bpifrance, c'est le soutien à la Deeptech. La science française, la science de la région doit atterrir dans l'économie. Il faut que les chercheurs créent des entreprises, toujours plus d'entreprises. Comme en Angleterre, comme aux États-Unis, comme en Israël.

Quels sont vos ambitions pour les deux prochaines années ?

NICOLAS DUFOURCQ - C'est la décarbonation du tissu productif et la réindustrialisation. Ce sont nos deux priorités et dans cela, l'innovation à toute sa place.

RENAUD MUSELIER - Poursuivre ce qui a été engagé. Ce n'est pas par hasard si nous avons multiplié par 37 le soutien apporté. Ma mission est de rendre faciles les réponses à apporter aux PME.

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Commentaires 5
à écrit le 16/11/2023 à 18:39
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À quoi sert l'université ? À former des chercheurs. Comprenez 0,1% de fonctionnaires et 99,9% de déchets - j'exagère à peine le trait ! Ensuite sur les 0,1%, soyez certains que ceux qui ont les moyens financiers, se barreront de ce pays devenu taré s...

à écrit le 16/11/2023 à 10:35
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ce qui interesse les chercheurs, c'est de faire 120 heures par an, equivalent td 196 heures, de travailler sur des sujets qui les interesse eux, mais pas les autres, et de financer tout ca avec des bons fonds publics ' payes par personne'........voil...

à écrit le 16/11/2023 à 9:33
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Je suis dubitatif sur la sincérité des comptes de la BCI (valorisation des participations dans les start-up qui ont oublié d’appuyer sur le bouton start..).. Et pire, laisser une équipe si longtemps aux manettes me semble.. « risqué ».. Quand on est ...

à écrit le 16/11/2023 à 7:27
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Mettre au travail les enseignants du supérieur? En plus les faire s'impliquer dans la création d'entreprise? C'est du délire, ces gens sont des fénéants crasses.

à écrit le 16/11/2023 à 7:27
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Bref il faut qu'on fasse tout nous mêmes pour que nos politiciens se la coulent douce. Un aveu d'incompétence ? Peut-être même si c'est bien optimiste.

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