« Il faut protéger les biotechs et les biopharmas afin qu’elles ne soient pas phagocytées par les grandes entreprises » (Mohand Sidi Saïd, ex-vice président Pfizer)

ENTRETIEN - Né en Algérie, Mohand Sidi Saïd est vendeur de pastèques avant de rejoindre en 1965 l’antenne locale de Pfizer. Une entreprise au sein de laquelle il restera quarante ans, gravissant les échelons jusqu’à en devenir le vice-président. En 2005, il part en retraite et prend la plume. A travers ses trois ouvrages dont « Au secours, notre santé est en péril » (2016), il raconte un système de santé malade, où les responsabilités sont partagées.
(Crédits : Robert Poulain)

LA TRIBUNE - Personnel hospitalier sous tension, accès inégal aux soins, désertification médicale... L'épidémie de covid-19 a mis en lumière un certain nombre de failles du système de soins en France. Quel diagnostic en dressez-vous ?

MOHAND SIDI SAÏD - Notre système de santé est obsolète. Il n'a pas évolué depuis le 19ème siècle. S'il a tenu face à cette pandémie, c'est grâce à ses soignants. Nos soignants sont qualifiés, à la pointe de la technologie, mais ils sont, avant tout, humains. Qu'a fait le système de santé face à ces personnes ? Il a négocié un mois pour savoir s'il fallait répondre à la demande de 300 euros supplémentaires pour ceux que l'on a applaudi tous les soirs lors du premier confinement. Cela prouve que notre système est mauvais, qu'il manque d'agilité. Nous demandons à un corps médical malade de soigner nos maux.

Que faudrait-il donc changer pour l'améliorer ?

Il faut qu'il soit plus agile. Il faut qu'il solidaire, à l'opposé des États-Unis où 20 millions de citoyens n'ont pas de couverture sociale ni médicale, et qu'il soit basé sur l'économie de la connaissance. Mais avec le gouvernement actuel, une ambition en ce sens existe. Aujourd'hui, il n'y a plus, pour une entreprise - qu'elle soit petite, moyenne ou grande - de raison de  se délocaliser. Le climat est propice aux entreprises grâce à des incitations fiscales, monétaires. Mais il faut davantage d'audace, de courage car il y a encore des lacunes. Certains fonds publics de soutien à la recherche et l'innovation ne sont accessibles qu'aux entreprises cotées en Bourse. C'est un non-sens. Une entreprise cotée en Bourse n'a pas besoin d'argent public. A l'inverse il faut soutenir et protéger les biotechs et les biopharmas afin qu'elles ne soient pas phagocytées par les grandes entreprises. Car ce seront elles la surprise de ce siècle. En témoigne la découverte de l'ARN Messager qui n'a pas été faite par une big pharma mais par deux biotechs : BioNTech et Moderna.

Côté industrie, Sanofi avait annoncé un vaccin qui n'est finalement jamais sorti. Est-ce un échec ?

C'est véritablement un échec. Sanofi n'a pas eu l'expérience de la technologie ARN Messager. Et sans être dans le secret des dieux, cet échec a peut-être été la cause d'un léger retard dans la prise d'initiatives en matière de vaccination. Le Président de la République attendait l'arrivée de ce vaccin pour le proposer voire l'imposer à la Commission européenne.

Au niveau international, on assiste à une inégalité d'accès aux vaccins contre le covid-19. Certains en appellent à la levée des brevets. Est-ce selon vous une solution pour rendre la santé plus accessible à tous ?

Je suis convaincu de la nécessité de respecter les brevets. La recherche et développement est une activité très coûteuse. L'argent est le nerf de la guerre. Il ne faut pas brimer une entreprise qui crée de la richesse, c'est une évidence. Néanmoins, il est vrai que des millions de personnes sont privées de vaccin, en Afrique, en Amérique latine, en Asie. Alors je dis attention : l'histoire est un éternel recommencement. Des personnes non traitées peuvent demain devenir source de contamination. Lorsque je travaillais dans l'industrie pharmaceutique, j'ai failli perdre mon job lorsque l'industrie a refusé de donner accès au traitement par trithérapies aux malades du Sida qui n'avaient rien et qui n'attendaient que la mort. Je m'y suis opposé. Car oui au brevet ! Mais cela n'empêche pas de donner des autorisations en fonction des sites.

Au niveau macroéconomique, vous dites aussi qu'il faut passer d'un « système de santé à deux vitesses » à « un système à deux prix ». Qu'entendez-vous par là ?

Nous vivons dans un système de santé à deux vitesses où les traitements les plus innovants sont hors de portée pour beaucoup. Il faut les rendre plus accessibles grâce à un système à deux prix. Ceux qui en ont les moyens doivent payer plus pour financer la recherche et développement. Ce peut être au travers d'un impôt sur les revenus financiers. Moi qui ai bien gagné ma vie, si demain je fais face à une maladie dont le traitement coûte cher, je n'aurai pas de souci à faire appel à mon chéquier. Pourtant, lorsque je me rends à la pharmacie, je suis choqué de voir que je ne débourse pas un euro pour tous les médicaments que je prends.

Big pharma, biotechs, pouvoirs publics, sécurité sociale, recherche académique, associations de patients... Le système de santé est composé d'une pluralité d'acteurs. Arrivent-ils à se parler ?

Il faut une synchronisation plus poussée entre tous ces acteurs. Au sein de l'industrie pharmaceutique, il y a des femmes et des hommes qui ont une fibre sociale, d'autres moins. Parfois, il faut savoir dire stop. Les gouvernants doivent nous protéger. Quant aux associations de patients, elles ont tendance à être trop éparpillées. Elles doivent être plus organisées, plus homogènes, plus actives. Il faut aussi que la justice soit plus réactive lorsqu'éclatent des scandales sanitaires.

Ces acteurs sont côte à côté, parfois face à face, mais pour qu'ils se parlent vraiment, j'en appelle à un Grenelle de la Santé. On fait bien des grenelles à tort et à travers. Pourquoi pas un pour la santé ? Je n'arrive pas à le comprendre. Ce serait l'occasion de tout remettre à plat avec des réformes de grande ampleur, pour un système au plus près des gens. Car ce n'est pas une question d'argent. Nous dépensons deux fois plus qu'Israël qui dispose pourtant d'un modèle plus moderne, avec une grande place accordée à la prévention qui est primordiale.

Et qu'en est-il du rôle de l'Europe dans la refonte du système de santé que vous appelez de vos vœux ?

Il est essentiel qu'elle soit unie. Mais nous avons affaire à un paradoxe. Alors que la Commission européenne donne toutes les homologations de mise sur le marché, elle n'a aucun pouvoir sur la négociation des prix. Je trouve dommage, en face de l'industrie, de se priver du pouvoir que représentent les 400 millions de patients potentiels que compte ce continent.

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