Entrepreneuriat en cancérologie dans le Sud : entre excellence académique et défaut d’attractivité

Épisode 2 – Que ce soit en matière de recherche ou de prise en charge des malades, Provence Alpes Côte d’Azur ne manque pas d’atouts puisqu’elle couvre, de Nice à Marseille, un large panel de cancers et dispose d’une expertise sur divers modes de traitements. Un socle scientifique propice à l’émergence d’entreprises prometteuses, et ce dans un écosystème relativement structuré et une région qui fait de la lutte contre le cancer une de ses priorités. Reste que le foncier manque, ce qui limite de manière très concrète le développement de ces entreprises. Entreprises qui regrettent par ailleurs un défaut d’attractivité du territoire.
(Crédits : DR)

Une révolution thérapeutique et beaucoup d'espoirs. L'immunothérapie a radicalement changé la manière de combattre les cancers. « Dans la chimiothérapie et la radiothérapie, explique Antoine Foussat, PDG de Yukin Therapeutics, on cherche à détruire la tumeur. Avec les immunothérapies, on utilise le système immunitaire pour contrer les cellules tumorales ». Et l'avantage, au-delà d'une efficacité très forte chez environ un tiers des patients, c'est que grâce à sa mémoire, le système immunitaire qui s'est entraîné à reconnaître des cellules est désormais rôdé à l'exercice, ce qui réduit le risque de récidives.

Excellence scientifique et puissance clinique

Parmi les villes en pointe dans ces nouvelles thérapies : Marseille. Et cela ne date pas d'hier. La première pierre est posée avec la création du Centre d'Immunologie Marseille Luminy en 1976. Il est désormais un institut de recherche mondialement reconnu dans le domaine de l'immunologie, s'intéressant non seulement aux cancers mais aussi aux maladies inflammatoires et infectieuses ainsi qu'aux mécanismes de mort cellulaire. « Le CIML a permis un accroissement des compétences sur le territoire et un essaimage vers différentes structures académiques et industrielles », analyse François Romagné, directeur scientifique de l'entreprise MI-mAbs et, anciennement, d'Innate Pharma.

Un essaimage qui a conduit à la création du Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM) et à de jolies histoires entrepreneuriales comme celles d'Innate Pharma, HalioDX ou ImCheck. Des entreprises de « taille raisonnable » juge François Romagné, mais dont le poids économique est important du fait d'importantes levées de fonds. Il faut ajouter que Marseille abrite un certain nombre de leaders d'opinion dans le domaine des immunothérapies, à l'image de Daniel Olive ou Eric Vivier.

Et au-delà de cette richesse en matière de recherche, la Cité phocéenne dispose d'une « grosse puissance clinique », assure Emmanuel Le Bouder, directeur innovation au sein d'Eurobiomed. Il cite ainsi l'Institut Paoli Calmettes, centre de lutte contre le cancer qui dispose d'une expertise reconnue en matière de « cancers du sein et du pancréas, cancers gynécologiques et hématologiques, avec notamment des thérapies car-T cells » (une nouvelle approche contre les cancers du sang) ; et bien-sûr l'AP-HM, spécialiste des cancers de la peau, du poumon et du glioblastome, une tumeur maligne du cerveau.

Côté Nice, on ne manque pas d'atouts non plus. L'immunothérapie est moins affirmée, mais des approches complémentaires sont proposées, défendues là aussi par des instituts de renom. « Le centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne est en pointe sur les cancers de la tête, du cou et du thorax. Il héberge par ailleurs héberge l'IRCAN, institut de recherche sur le cancer et le vieillissement », une Unité mixte de Recherche ayant pour tutelle Université Côte d'Azur, le CNRS et l'Inserm. La ville peut également s'appuyer sur un « excellent Institut de chimie ». Côté traitements, on trouve « un gros volet sur les radiothérapies », ainsi qu'un des trois centres français de protonthérapie, une forme plus précise de radiothérapie qui permet notamment de traiter les cancers de l'œil. Un véritable atout pour l'entreprise Roca Therapeutics qui cible justement ce type de pathologies. « Ce centre draine la moitié des Français atteints de mélanome uvéal », assure ainsi Maeva Dufies, PDG de l'entreprise. Ce qui facilitera grandement les essais cliniques.

« Et là aussi, on trouve des figures mondialement reconnues comme Gilles Pagès ou Paul Hoffman », assure Emmanuel Le Bouder.

Lire aussi 9 mnCancérologie : du laboratoire public au marché

Un écosystème très structuré et une volonté politique contre le cancer

En Région, « la qualité de la recherche académique, et notamment en immunologie, est de tout premier plan et reconnue à travers le monde », résume ainsi Pierre d'Epenoux. Et pour la valoriser, un riche écosystème s'est mis en place ces dernières années, dynamisé par le Plan cancer national qui a donné naissance aux Cancéropoles chargés de structurer la communauté en cancérologie. « Désormais, nous sommes plutôt bien identifiés », se félicite Clara Ducord, directrice du Canceropole PACA. « Jusqu'en 2010, il était nécessaire de se structurer. Mais désormais, on peut aller de l'avant ».

Si au départ la structure a plutôt vocation à soutenir la recherche académique, elle s'est aussi positionnée en actrice du transfert de technologies dans ce domaine, grâce à ses différents appels à projets permettant l'émergence d'innovations. Elle travaille par ailleurs en partenariat avec la Satt Sud-Est et les incubateurs. Une pluralité d'acteurs qui peut néaanmoins, de l'avis de Vincent Fert, PDG d'Halio DX, générer certaines « redondances » : « Les équipes de recherche sont parfois éparpillées entre les Satt, l'Inserm, le CNRS. Et parfois, il est difficile d'accéder au brevet d'une équipe à multiples appartenances. Cela génère des relations parfois tendues entre ces établissements. C'est un problème qui n'est pas nécessairement local, mais que l'on retrouve dans toute la France ».

Au delà des impulsions nationales, il faut ajouter l'implication de la Région en la matière puisque celle-ci a initié un Plan cancer régional autour de cinq volets : soutien à la recherche ; dépistage et prévention ; soutien aux malades et aux familles ; formation des soignants et cancers pédiatriques. Au total, le Plan mobilise 25 millions d'euros. 53 % du budget du Cancéropole PACA provient de cette enveloppe.

« Il y a dans la région une vraie volonté de combattre le cancer et de gagner. De nombreux pays nous envient pour cette structuration », assure Clara Ducord.

Néanmoins, malgré cette implication régionale et la puissance scientifique et clinique du territoire, tous les acteurs interrogés s'accordent à penser que le potentiel du territoire en matière d'entrepreneuriat dans le domaine de l'oncologie est encore trop peu exploité. En cause, bien-sûr, des facteurs nationaux tels que le difficile accès au financement ou le manque de formation des scientifiques en matière d'économie et de gestion d'entreprise (voir épisode précédent). S'y ajoutent des facteurs plus locaux.

Le défi de l'attractivité pour attirer talents et investisseurs

Parmi eux, le manque de foncier. « A Nice, constate ainsi Maeva Dufies, il n'y a pas de pépinière avec des laboratoires, ni de laboratoires à louer. Donc on est obligé de travailler dans ceux de l'université, en plus des équipes qui s'y trouvent déjà. On manque de place ».

« Le foncier est un grand sujet », confirme Emmanuel Le Bouder, ciblant à la fois Nice et Marseille où les prix sont élevés. « Les entreprises ne peuvent pas consacrer une trop grande part des financements que leurs versent les investisseurs pour du foncier ». Mais il relève un certain nombre d'initiatives visant à résoudre cette problématique. « A Marseille, des terrains situés à Luminy [un lieu central de l'immunothérapie, ndlr] ont été sanctuarisés par la Métropole et la Ville afin qu'ils soient réservés au développement de biotechs ». Côté Côte d'Azur, « on travaille avec Sophia Antipolis pour voir comment mettre du foncier à disposition de startups qui démarrent ».

L'autre facteur, dont la résolution s'inscrit dans un temps probablement plus long, c'est l'attractivité du territoire. Notamment lorsqu'il s'agit d'attirer certains profils stratégiques. « On ne joue pas dans la même cour que Paris ou Boston », reconnaît ainsi Emmanuel Le Bouder. « Au delà de l'aspect financier, il faut proposer un écosystème riche et stimulant à même d'attirer des profils de très haut niveau tels que des PDG ».

Un constat que partage Pierre d'Epenoux, PDG d'ImCheck Therapeutics. « La capacité d'attrait de managers étrangers est liée à l'existence d'infrastructures adéquates telle qu'une école internationale. Celle-ci manque toujours à Marseille  ». Il pointe en outre les efforts à faire en matière de propreté, de civilité et de connexion avec le reste de l'Europe. « Il reste beaucoup à faire ». Et de citer notamment la difficulté à rejoindre aisément Londres depuis la cité phocéenne.

Pourtant il en est convaincu, le potentiel est là. « Marseille n'a rien à envier à Boston ou San Francisco. Nous sommes au cœur de l'Europe, au sein d'un bel écosystème, avec le soleil et la mer. Mais l'attractivité exige un engagement et des moyens pour attirer les investisseurs européens et américains afin d'accélérer l'émergence et d'accompagner des projets industriels pharmaceutiques ambitieux à Marseille. Ceci devrait être une priorité ».

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 01/09/2021 à 10:14
Signaler
"Avec les immunothérapies, on utilise le système immunitaire pour contrer les cellules tumorales" La question est qu'il ne vaut mieux pas directement utiliser cette immunothérapie de suite plutôt qu'après avoir anéantie nos défenses immunitaires avec...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.