Nadia Hai : « Il faut faire des quartiers, des terrains de développement économique »

ENTRETIEN - Présente à Marseille ce 2 juillet pour signer, aux côtés d’Eric Lombard, le directeur général de la CDC, une convention d’objectifs qui concerne les quartiers prioritaires, la ministre chargée de la Ville insiste sur la nécessité d’une relance qui n’oublie pas ces quartiers, rappelant que les sujets de cohésion sociale, de soutien à l’entreprenariat, comme à l’installation d’activités industrielles sont intrinsèquement liés à la réussite d’une reconquête pleine et entière.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous signez une convention d'objectifs qui concerne les quartiers prioritaires de la ville. De quelle façon s'inscrit-elle dans le plan de relance ?

NADIA HAI - C'est un partenariat global qui lie le Ministère de la Ville et le groupe Caisse des Dépôts, plus précisément la Banque des Territoires qui est partie prenante dans ce partenariat, mais également Bpifrance et d'autres partenaires qui nous allons solliciter pour conduire certains projets phares. C'est un partenariat de 225 millions d'euros sur une période de trois ans. L'idée de départ est d'agir sur tous les leviers du développement économique qui doit accompagner la transformation et le renouvellement urbain de nos quartiers. On est partis d'un postulat qui est que depuis des décennies, depuis longtemps, trop longtemps, la politique de la ville a été conduite uniquement sous l'angle de l'accompagnement social. Ensuite on est venus ajouter une brique sur la question de la rénovation urbaine. Mais tout le monde appelle de ses vœux un projet urbain soit au service de l'humain. Il faut accompagner la dynamique de transformation de nos quartiers avec une vraie politique ambitieuse, qui réunisse tous les acteurs du sujet. Il faut en faire des terrains de développement économique. Cela passe par le soutien à l'entreprenariat, au commerce et à l'artisanat, à l'implantation d'activités industrielles ou de services ou même d'accompagnement à la transition numérique.

ERIC LOMBARD - La Caisse des Dépôts va mobiliser en effet une enveloppe de 225 millions sur 3 ans. A l'intérieur de cette enveloppe 75 millions d'euros sont consacrés à l'ingénierie des projets parce que pour vraiment réussir leur insertion dans l'économie, doivent être préparés par des études. C'est un élément de leur réussite. Le complément est apporté par 150 millions d'euros en investissements en fonds propres dans des entreprises, publiques ou privées, dans des entreprises, de l'économie sociale et solidaire par exemple.

Vous estimez « qu'il faut « changer de regard sur les quartiers et accompagner la dynamique de créativité », cette convention c'est le coup de pouce supplémentaire pour permettre aux jeunes et aux entreprises de s'emparer plus fortement du développement de leur propre quartier ?

NH - Il existe depuis maintenant plusieurs années une espèce de spirale parfois un peu délétère de l'image des quartiers, une image négative qui entraîne une perte d'espoir, un manque de perspective et qui touche particulièrement les jeunes de ces quartiers. Cela passe en effet par le soutien à cette jeunesse qui entreprend, qui déborde de créativité, qui porte des initiatives innovantes et qui a  un a besoin d'un accompagnement spécifique en termes d'accès à l'information, en termes de financement et parfois en accompagnement dans la conduite de projets.

EL - Cela va permettre beaucoup d'actions concrètes. A Marseille, où nous sommes aujourd'hui, nous avons investi dans une auberge de jeunesse de nouvelle génération, dans une résidence de coliving, Babel Community installé dans un quartier ANRU, mais aussi dans des espaces de coworking, dans différents tiers-lieux... Nous soutenons très concrètement le dynamisme économique de nos quartiers, sur l'ensemble du territoire.

Cette convention s'inscrit-elle dans la continuité du fonds d'urgence mobilisé au printemps pour 10 millions d'euros et qui a pour but d'aider les jeunes à l'insertion professionnelle ?

NH - On a pris plusieurs initiatives et décisions pendant et après le confinement. Il fallait agir vite pour éviter le décrochage scolaire, limiter l'impact du confinement sur la santé mentale mais aussi pour mieux orienter les jeunes et les accompagner dans l'accès à l'emploi. Ce que nous voulons éviter c'est de reproduire ce qui s'est passé après la crise de 2008 où la relance économique s'est engagée sur l'ensemble du territoire, sauf dans les quartiers prioritaires. La relance et le rebond économiques doivent aussi avoir lieu dans les quartiers prioritaires.

EL - Je porte un regard positif sur les initiatives menées. On voit que la politique de soutien aux quartiers porte ses fruits. D'ailleurs, ce projet d'accélérer le soutien aux quartiers intervient dans un contexte où l'économie devrait repartir vigoureusement.

Il est également prévu que la Banque des Territoires participe à l'amorçage, l'expérimentation et le prototypage de certains projets sélectionnés selon des critères économiques et extra-financiers et cela dans un objectif de test de nouveau modèle économique. Voilà une approche « innovante »...

EL - En matière d'aménagement du territoire il faut accepter le droit à l'erreur, c'est une philosophie qui réussit très bien en entreprise. Alors nous faisons de l'amorçage de projets et aussi en effet de l'expérimentation sociale avec ViagéVie, qui permet à des personnes âgées modestes d'avoir accès à des soins et des services tout en restant à domicile. Il y a également tout ce que l'on fait à l'échelle locale pour les startups. A Nîmes nous avons rencontrés des jeunes qui ont retrouvé les méthodes de fabrication de la toile à l'origine des jeans et qui sont déjà en contact avec de grands magasins parisiens et ils vont recommencer l'aventure qui a porté la toile denim sur le niveau mondial. Ce type de projet passe par le soutien à l'expérimentation et aussi l'expérimentation parfois technique. Il peut y avoir dans les quartiers, des développeurs de systèmes d'information qu'il faut aussi soutenir.

L'industrie ou du moins l'implantation d'activités industrielles figure également dans axes qui définissent le label Quartiers Productifs. Est-ce une façon d'accompagner les besoins de réindustrialisation de la France ?

NH -Il faut regarder ce qu'il se passe du côté de l'industrie et les efforts qui sont faits du côté de la décarbonation. De nouvelles technologies ont été pensées et sont aujourd'hui mises en œuvre dans l'industrie française et dans l'industrie internationale. Nous avons assisté en effet à une désindustrialisation de notre pays et avec la crise sanitaire nous nous sommes rendus compte - pour eux qui avaient encore besoin d'être convaincus - que la question de la réindustrialisation était une question fondamentale et pour gagner aussi en souveraineté nationale. Je suis originaire d'un territoire où des industries cherchent à recruter et ne trouvent pas, n'arrivant pas ainsi à remplir leur carnet de commande et donc à être compétitif et innover. Il est très important de rétablir une image positive de notre industrie, et le Plan de relance que nous sommes en train de mettre en œuvre va y contribuer pleinement.

EL - Il faut toujours aborder le sujet dans sa complétude. Nous étions à Montpellier avec le maire qui porte un projet appelé Med Vallée, qui porte à la fois sur de l'aménagement du territoire autour de la ville, qui s'est beaucoup étendue vers le Sud et que le maire veut rééquilibrer vers le Nord, justement à proximité des quartiers prioritaires, et qui s'inscrit aussi en lien avec le CHU de Montpellier dont on veut renforcer la recherche et amener une capacité de fabrication de produits que l'on ne fabrique plus. Cela va constituer un territoire vraiment dans l'esprit des territoires productifs, avec à la fois de l'habitat, de la recherche et de l'industrie, une industrie moderne évidemment décarbonée, dans une trajectoire zéro carbone.

A Aix-Marseille, deuxième métropole de France, le sujet du renouvellement urbain, des quartiers prioritaires sont très liés au développement économique. Quel est votre regard sur cette métropole ?

NH - Ça ne peut être qu'un regard très optimiste. Il existe un réel potentiel à Marseille, qui constitue la ville centre de la métropole, qui doit être une ville qui tire vraiment vers le haut, qui soit aussi un territoire où des potentiels peuvent se révéler. Marseille a besoin d'un accompagnement très fort de la part de l'Etat et de ses partenaires. C'est une ville qui rencontre énormément de difficultés, il ne faut donc pas laisser les élus, les collectivités, seuls face à cela. On voit l'investissement massif de l'Etat dans le cadre des renouvellements urbains mais en réalité c'est un investissement massif de la politique de la ville dans son ensemble. Marseille coche toutes les cases des dispositifs politique de la ville, et en dehors de Marseille, on créé aussi des liens, des ponts avec les autres villes qui constituent la métropole, notamment Aix-en-Provence, Salon-de-Provence ou Miramas qui a aussi des projets de renouvellement urbain. Les relations que nous avons avec la présidente de la Métropole (Martine Vassal NDLR) sont très constructives. On commence aussi à avoir des relations constructives avec le maire de Marseille (Benoît Payan NDLR) et le dialogue se poursuit avec l'ensemble des maires des autres communes.  C'est un signal fort de désigner la métropole comme territoire d'expérimentation des quartiers productifs.

EL - Je partage cet optimisme, car nous sommes en reconquête, urbaine et républicaine. Quand on regarde ce qu'il s'est passé à partir d'Euromed, on est en train de remonter vers le Nord, nous avons été financeurs de la Tour La Marseille, qui est une tour à énergie positive, extrêmement moderne également dans sa conception. On est dans cette reconquête d'autant que Marseille est une ville extrêmement jeune. Bien sûr que l'on va réussir cette opération de reconquête et de renouveau.

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Commentaires 4
à écrit le 04/07/2021 à 15:20
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Comment dépenser l'argent de l'Europe

à écrit le 03/07/2021 à 9:38
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Ça fait 40 ans qu'ils affirment lutter contre la chômage avec le développement économique et industriel et ça fait 40 ans que le chômage monte: "La plus grave maladie du cerveau c'est de réfléchir" Devise Shadock, ceux qui creusent toujours plus parc...

à écrit le 02/07/2021 à 20:05
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Heu ... pardon, mais qui est cette dame ?

à écrit le 02/07/2021 à 17:39
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vive la croissance, vive la courbe de la bourse, vive l'argent, vive le réchauffement...

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