Jacques Léger, le passionné du contentieux

Après une carrière dans les tribunaux administratifs, ce conseiller d'Etat préside le méconnu comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics à Marseille. Une activité méconnue décrite par l'ancien magistrat décrit comme un "hobby" qui lui permet de favoriser la conciliation plutôt que le droit au sens strict.
(Crédits : Rémi Baldy)

"J'ai pris plus de satisfaction sur les dix dernières années que sur les quarante ans de carrière antérieur", sourit Jacques Léger. Ancien président de la cour administrative d'appel de Marseille, il s'est aménagé un petit bureau dans son appartement à quelques pas de son précédent lieu de travail. Depuis 2011, année de sa retraite, ce septuagénaire à l'allure soignée préside le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics (CCRA) pour les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Corse et l'ex-Languedoc Roussillon. "Un comité assez méconnu, j'ai plutôt l'habitude d'être dans l'ombre", reconnaît Jacques Léger. La fonction de président n'y est d'ailleurs pas très rémunératrice, moins de 400 euros mensuels. "C'est un hobby", répond celui qui se définit comme "un passionné du contentieux".

La mission de ce comité est de trouver un terrain d'entente entre une collectivité et une entreprise lors d'un litige. Il s'agit par exemple d'un chantier qui dure plus longtemps que prévu, la société demande alors une indemnisation supplémentaire à ce qui était convenu. La collectivité peut refuser et l'entreprise se tourne alors vers la justice, ou les deux entités peuvent essayer de trouver un accord à l'amiable. C'est là que le comité constitué de six membres, deux représentants des collectivités, deux magistrats et deux chefs d'entreprises, intervient. D'abord avec la désignation d'un rapporteur, puis en entendant les deux parties concernées par le litige lors d'une séance d'environ une heure, avant de rendre un avis. Le tout en douze mois.

Réunir les antagonistes d'un litige

"Dans 75% des cas notre avis est suivi donc l'affaire ne va pas au tribunal", se satisfait Jacques Léger qui traite entre 30 à 60 cas chaque année. "C'est n'est pas énorme, c'est plus que dans les autres régions dont la moyenne est de 25 affaires et surtout nous pourrions difficilement faire plus", précise-t-il. L'enjeu financier se situe généralement entre un et cinq millions d'euros. Jacques Léger remarque au fil des saisines que certaines collectivités comme Aix-Marseille Provence ou le Département des Bouches-du-Rhône, jouent volontiers le jeu.

D'autres s'y refusent systématiquement par principe. "Je ne sais pas pourquoi, peut-être par crainte d'être suspecté par la suite pour des versements, ce qui paraît improbable si notre avis est suivi, ou parce que certains cadres ne souhaitent pas s'embêter avec la conciliation", s'avance Jacques Léger. Un comportement assez rare, mais qu'il n'apprécie guère. Car ce qui l'a attiré pour prendre ce poste proposé par le ministère des Finances, c'est de pouvoir mettre autour d'une table les différents concernés dans un litige.

"Ce qui m'a passionné c'est qu'il y a assez peu de textes autour. Cela a été conçu comme une commission administrative qui donne un avis un peu dans le secret et j'avais la conviction que l'on pouvait en faire autre chose pour en faire un lieu de débat entre les parties. J'ai notamment imposé au rapporter de réunir les protagonistes et de leur donner le rapport avant pour qu'elles se préparent".

Un pas de côté au droit

L'autre aspect qui a séduit Jacques Léger est plutôt philosophique. "Ce que fait le juge administratif relève d'un imperium, il n'y a pas de sujet de négociation, alors que parfois il est le moins informé. Notre comité réunit les deux parties, qui sont antagonistes, ce sont celles qui connaissent le mieux le sujet du litige. Je pense qu'elles peuvent être leur propre expert même leur propre juge, c'est une idée qui transgresse un peu la tradition", détaille-t-il.

Ce qu'aime Jacques Léger, c'est pouvoir faire un pas de côté par rapport au droit. Cet ancien président des tribunaux administratifs d'Orléans puis Rennes parle de "jubilation" quand il trouve une solution acceptable pour les deux parties. "Dans la définition de notre mission à la CCRA, il y a le mot équitable, c'est la solution que nous cherchons alors que le juge statue sur le droit. J'ai toujours été touché de voir des gens dont la vie quotidienne change parce qu'il y a un changement de circulation sous leur fenêtre. Mais on n'y peut rien, le droit administratif cherche l'intérêt général, pas particulier", poursuit-il.

D'inspecteur des impôts à conseiller d'Etat

Une vision bien loin de ses débuts. Originaire de la Manche, il ambitionne de devenir journaliste politique ou avocat dans le pénal. C'est finalement pour rentrer rapidement dans le monde du travail que Jacques Léger passe le concours pour intégrer l'administration fiscale à Tours. "J'ai découvert les contentieux et cela m'a passionné car c'est une construction jurisprudentielle très fine", raconte-t-il. A l'époque, c'est donc un Jacques Léger qui aime suivre le droit à la lettre et son évolution qui démarre sa carrière. "J'ai eu ce penchant dès mes études, je connaissais presque par cœur le livre Les grands arrêts de la jurisprudence administrative", raconte-t-il.

Au bout de sept ans, il passe le concours pour rentrer dans les tribunaux administratifs. Il intègre celui d'Orléans où il y devient président, puis rejoint Rennes dans le cadre d'un avancement dans sa carrière. Son arrivée comme président de la cour administrative d'appel de Marseille se fait sur décision du Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative. Ce même Conseil d'Etat qui l'a recommandé pour le CCRA. Pour son plus grand plaisir.

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