Comment Pilotine ouvre de nouveaux horizons

L’association d’insertion par l’activité économique intègre à ses chantiers et ateliers navals des personnes éloignées de l’emploi. Alors que la filière navale fait face à des difficultés de recrutement, elle veut jouer le rôle de passerelle entre ces entreprises et une jeunesse qui se méconnaissent.
(Crédits : DR)

Il fait doux ce matin aux abords du port de l'Estaque. Dans la petite cour de l'association Pilotine, à quelques pas de la cale de mise à l'eau, Alexis Simo est agenouillé au pied d'une barquette, ces embarcations typiques de Marseille. Tête inclinée, pinceau à la main, il trace de longues lignes orange le long de la coque. On viendra plus tard y fixer des joints neufs. Après un premier stage ici, il vient d'entrer en contrat d'insertion, mettant fin à plusieurs mois sans emploi. "J'ai un CAP menuiserie fabrication et je voulais voir du côté de la charpenterie maritime. C'est dur à trouver à Marseille car ici, les bateaux en bois, ça se fait peu". Comme lui, ils sont plusieurs à s'affairer à la restauration de cette barquette, tâche qui peut prendre plusieurs mois. Clémentine Mollier, 26 ans, est en reconversion professionnelle et a choisi de se tourner vers la charpenterie maritime. "J'ai voyagé pendant sept ans. J'ai appris beaucoup de choses sauf un métier", sourit-elle. Aouadi Bouzid est plus âgé, il a bientôt soixante-deux ans et est arrivé ici dans le cadre d'un plan local pour l'insertion et l'emploi (PLIE). Venu d'Algérie, il n'a pas beaucoup travaillé en France faute de qualifications. Alors il a bien l'attention d'apprendre. "Mon métier c'est soudeur. Ici je travaille le métal mais aussi le bois".

Créée en 2014, l'association a progressivement élargi son panel de bénéficiaires tout en se spécialisant. "Au début, nous proposions des petits chantiers pédagogiques dans les quartiers Nord de Marseille", se souvient son fondateur Rémy Arnaud. Puis il a voulu aller plus loin dans l'insertion par le travail, à l'image d'une pilotine, "ce petit bateau qui va chercher au large les navires qui arrivent de l'étranger et qui les aide à manœuvrer. C'est un peu ce que l'on fait : les mettre en activité pour recréer une appétence au travail et les accompagner dans leur projet".  En 2017, l'association a ainsi accueilli 49 personnes dont 37 ont été mis en situation. Parmi eux, 21 ont intégré une formation ou un stage, 10 ont obtenu un emploi.

Polyvalence et culture maritime

Lors de son accompagnement pouvant aller jusqu'à 24 mois, Pilotine mise sur la polyvalence, d'autant plus indispensable que la filière navale est très cyclique. Ainsi, sur le chantier, on travaille autant le bois que le béton et l'acier, jouant tour à tour le charpentier, le soudeur, le peintre ou le menuisier. "Le navire est un support intéressant car plusieurs métiers cohabitent et c'est fédérateur ", souligne Rémy Arnaud. "Et si quelqu'un soude bien ici, il pourra le faire dans la métallurgie en général".

En plus des qualifications, l'association essaie de développer la culture maritime de ceux qui passent chez elle. Ainsi, chaque jour, à tour de rôle, un groupe cuisine les poissons pêchés la nuit. "Cela fait partie des savoir-être navals", explique Rémy Arnaud. Une culture recherchée par les employeurs. Et Clémentine Mollier de se réjouir de l'initiative. "Même quand on ne travaille pas, on développe notre esprit d'équipe". En effet, les repas se poursuivent souvent par un moment de baignade, le tout dans un cadre dépaysant. Car - c'est la règle des 3 « R » de Pilotine - en plus de "donner un rôle" et de "poser des règles", il faut "offrir du rêver or la mer, les navires, c'est du rêve, un horizon qui s'ouvre. C'est très symbolique" songe Rémy Arnaud.

Construire des ponts

Nourrir des rêves puis créer des passerelles pour les réaliser. Telle est l'ambition et elle passe par la connaissance des métiers et formations ainsi que par des liens avec les acteurs de la filière. Pour cela, Pilotine réalise des chantiers pour différents partenaires comme la ville ou différentes entreprises et associations. "Nous avons construit pour le Chantier naval de Marseille un ensemble chaudronné ou des entonnoirs pour propulsion d'étrave. Cela permet aux jeunes de découvrir les métiers du Chantier, de connaître les formations et pourquoi pas d'être recruté là-bas. Ce partenariat est un très bon exemple de notre rôle de pont entre les jeunes et des acteurs de premier plan de la réparation navale locale".

Un enjeu important car si "Marseille est une grande et belle ville portuaire", il n'empêche que "la ville et le port ne se connaissent pas bien. Notre boulot est donc de comprendre ce qui se passe à la tête des entreprises et institutions maritimes et d'organiser des parcours progressifs afin que nos jeunes se disent : pourquoi pas faire tel métier avec telle formation ?"

Fort de son expérience à la Pilotine, Elie Espinas, actuellement en bac pro maritime nautique, envisage "d'ouvrir une entreprise de réparation de vente de bateau, motorisés en particulier. Le bateau n'est pas accessible à tous, ce sont forcément des riches qui en ont, alors ça gagne bien. C'est un métier où il y a toujours du travail".

Une difficile rencontre entre offre et demande

Et Elie voit juste. Du travail, il y en a auprès de la quinzaine de chantiers navals régionaux et de leur centaine de sous-traitants. "En région, il y a assez peu de construction navale. Mais on les répare, on les modernise", explique Alain Guilbert, chargé de mission emploi-formation au Pôle Mer Méditerranée. Des activités très cycliques, au rythme des arrêts techniques des navires qui durent en général une douzaine de jours et pour lesquelles "on a besoin d'avoir sous la main un personnel formé et qualifié" Mais les qualifications sont multiples : "par exemple, il existe une quinzaine de techniques de soudure. On ne soude pas de la même manière dans l'aéronautique que dans un yacht".

"Ceux qui trouvent du travail sont ceux qui sont polyvalents et qui ont suffisamment de qualifications pour adresser des filières différentes". Et de souligner l'importance des savoir-être : "On travaille avec un équipage. Si un jeune ne fait pas ce qu'il faut, il ne remontra pas sur un bateau". A cela s'ajoute un travail souvent intérimaire et donc précaire. "Lors de la maintenance du porte-avion Charles de Gaulle à Toulon, énormément de sous-traitants ont fait appel à des travailleurs intérimaires. A la fin, peu ont obtenu un contrat, beaucoup sont repartis à Pôle Emploi".

Autant de difficultés qui compliquent la rencontre entre offre et demande. D'où le recours fréquent à des travailleurs étrangers venus d'Europe de l'Est ou d'Italie. "C'est dommage", regrette Rémy Arnaud qui espère contribuer, à son échelle, à la formation "d'une main d'œuvre motivée et locale", prochainement en mesure de travailler pour de grands noms de la réparation navale.

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