Urbanisme commercial : l’overdose ?

Ikea à Nice, un village de marques à Miramas, le Prado qui ouvre bientôt à Marseille... Course à l'échalote ou vrai rattrapage économique, la multiplication des centres commerciaux ces trois dernières années au détriment des commerces de proximité cristallise le ras-le-bol de certains acteurs.
(Crédits : DR)

Déjà primé alors qu'il n'est pour l'heure qu'un projet - annoncé certes, mais pas encore devenu réalité - : le Prado, le centre commercial qui s'installera au printemps dans le quartier éponyme de Marseille, en voisinage du Stade Vélodrome, peut se targuer d'un Mapic Award (1), catégorie « Meilleur futur centre de shopping » obtenu en novembre dernier à Cannes, alors même que l'on ne connaît que sa maquette. Une jolie performance, si l'on ne considère que le prestige de la récompense. Sauf que le Prado vient s'ajouter à la liste plutôt fournie des centres commerciaux à voir le jour en seulement trois ans dans la cité phocéenne, après les Terrasses du port, d'Hammerson; Les Docks, portés par Constructa, désormais dans le giron d'Amundi Immobilier [groupe Crédit Agricole, ndlr] ; ou encore les Voûtes de la Major.

De l'autre côté de la région, ce n'est pas mieux. Alors que Cap 3000 continue de travailler à son extension - qui double la surface initiale de 85.000 m2 - Socri et Unibail Rodamco ont donné vie à Polygone Riviera en 2015 à Cagnes-sur-Mer, entre Nice et Antibes, à 10 km à vol d'oiseau de là. Sans compter d'autres extensions signées Carrefour et le déjà décrié Open Sky à Valbonne. Voilà comment se dessine, en quelques exemples, le tableau de l'immobilier commercial en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Et ses problématiques, par voie de conséquence.

Clairement, depuis 2014, les projets se multiplient, se concentrant sur des zones porteuses, aussi bien à l'est qu'à l'ouest. Et ce n'est pas fini... Si le Prado est donc attendu pour 2018 à Marseille, dans les Alpes-Maritimes, on attend dès 2019 en plein centre de Nice l'Iconic, le projet porté par la Compagnie de Phalsbourg. Mais c'est bien davantage Open Sky, du même promoteur, une poignée de kilomètres plus loin, sur le périmètre de Sophia-Antipolis, qui fait débat, parce qu'il est prévu dans une zone déjà victime des embouteillages - la technopôle de l'innovation favorisant des flux importants - et qu'il vient surcharger encore un périmètre où Polygone, Cap 3000, Nice Étoile et Carrefour se partagent déjà le gâteau de la clientèle azuréenne.

Effet de rattrapage

Comment expliquer un tel appétit commercial en peu de temps ? Par l'effet de rattrapage, explique-t-on chez les spécialistes de la question, comme Philippe Bono. Le directeur Département Commerce Sud-Est pour BNP Paribas Real Estate explique ainsi que la plupart des centres commerciaux existants jusqu'alors dataient des années 1970-80. De l'ouverture de Cap 3000 à Saint-Laurent du Var en 1969 à celle de Nicetoile en 1982, pas moins de six autres centres ont ouvert leurs portes en une douzaine d'années. À Marseille, Grand Littoral émerge en 1996. Depuis, plus rien ou pas grand-chose... Dans une région très touristique, très économique, où la démographie se porte bien, le phénomène semble donc naturel.

« L'accroissement de la population, la forte volonté des enseignes de s'installer dans une région qui bénéficie d'une situation géographique et d'un climat privilégiés et l'arrivée à maturité des centres commerciaux, expliquent l'émergence des projets », analyse donc Philippe Bono.

La maturité, c'est justement ce qui a poussé Cap 3000 à se refaire un look architectural, prenant le double de son poids au passage. Premier centre commercial à voir le jour en France au début des années 1970, installé au bord de la Méditerranée, à quelques mères de l'aéroport Nice-Côte d'Azur, il avance le nécessaire besoin de se remettre aux goûts du jour pour en finir avec son « charme originel suranné », comme l'expliquait Alain Taravella, le dirigeant d'Alterea-Cogedim, « descendu » dans le Sud il y a trois ans, pour expliquer lui-même les tenants et les aboutissants de cette rénovation-extension qui déjà faisait beaucoup parler d'elle et qui fera à terme de Cap 3000 un ensemble de 135.000 m2.

« La multiplication des projets répond à une demande », résume Roch-Charles Rosier, son directeur.

Stratégies de différenciation

Qui dit multiplication des projets dit aussi multiplication de l'offre. Et pour faire la différence, chacun d'y aller de son concept. Il y a ceux qui misent sur l'implantation. À Marseille, les Terrasses du port se sont installées face au front de mer, dans le périmètre proche d'Euroméditerranée, en 2014. La structure signée par le promoteur britannique Hammerson a toujours eu un double objectif, qui n'a pas changé, dit sa directrice, Sandra Chalinet :

« Il s'agit de venir agrandir par le nord le centre-ville de Marseille, étriqué, et de redéfinir la skyline » [ligne d'horizon].

Vrai balcon sur la Méditerranée, les Terrasses n'étaient pas considérées d'un bon oeil avant leur ouverture et avant de rencontrer le succès à la hauteur des attentes de son promoteur, avec pour 2016 13 millions de visiteurs et 280 millions d'euros de chiffre d'affaires. Aujourd'hui totalement intégré dans l'offre du centre-ville, l'endroit, qui concentre 190 commerces, est perçu comme l'un des moteurs de l'activité économique.

Quand ce n'est pas l'emplacement, c'est l'approche « philosophique » qui porte les projets. C'est exactement comme cela qu'a été présenté Polygone Riviera, à Cagnessur-mer, considéré comme un centre de vie. Une sorte de ville dans la ville, avec ses places, ses ambiances différentes, ses boutiques entre enseignes classiques, premium - Le Printemps a longtemps servi de teasing [méthode pour susciter l'intérêt] avant l'ouverture pour appuyer son positionnement haut-de-gamme - et d'autres plus rares. Un casino Tranchant existait déjà sur site, un cinéma s'y est ajouté pour jouer la carte de l'attractivité. Mais c'est surtout son concept de centre à ciel ouvert, avec un effort sur la présence d'espaces verts - 1.000 arbres plantés à terme et un cours d'eau qui traverse les 70.000 m2 - qui est mis en avant pour signifier la différenciation.

Centre de vie, c'est aussi le choix du Prado qui se considère comme une galerie marchande. Klépierre, le promoteur aux manettes de cet ensemble de 23.000 m2 qui sera réalité en mars 2018 à Marseille, le conçoit comme une rue commerçante, c'est-à-dire « au-delà d'un centre commercial », explique sa directrice Joanna Elbaz. Avec comme « figure de proue premium, les Galeries Lafayette » qui doivent avoir un effet de locomotive. Architecturalement, ici ce n'est ni centre fermé ni à ciel ouvert, plutôt un peu entre les deux avec une canopée comme toiture. L'objectif est de « créer un lieu de vie capable de séduire une clientèle urbaine » qui retrouverait le plaisir de consommer dans ce quartier très vivant où s'élève le Stade Vélodrome.

De ces quelques exemples on retient que l'on ne conçoit plus un centre commercial comme un bloc recevant des enseignes. Ce qui n'empêche pas de se poser la question: l'urbanisme commercial peut-il scier la branche économique sur laquelle il est assis ? Les plus pessimistes le craignent, les plus optimistes estiment que l'effet d'accélération devrait ralentir. Mais en urbanisme comme dans tout autre sujet, trop c'est trop. Quid de la demande face à cette offre. Et du pouvoir d'achat ? Et si ce n'est l'overdose, ce qui menace c'est bien plus la crise de foi (e) du... consommateur.

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(1) Le Mapic, salon international consacré à l'implantation commerciale, se tient à Cannes chaque année en novembre.

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