Débat CCIMP/ MERIDIEN MAG : Et si la logistique urbaine était une compétence métropolitaine ?

Dans le cadre de ses débats initiés pour nourrir les réflexions sur le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence, la CCIMP, à laquelle s'est associé Méridien MAG, a organisé, jeudi dernier, le 27 février, un troisième rendez-vous sur la logistique urbaine. Une thématique qui nécessite aussi une vision partagée à l?échelle métropolitaine.

Un accès des marchandises en centre-ville de plus en plus difficile, des espaces de livraisons occupés par des véhicules particuliers ou inexistants, les marchandises qui repartent sans avoir été livrées, des retards accumulés dans la livraison ... c'est le lot quotidien de nombreux commerces du centre-ville de Marseille. Pour Nicole Vespieren, sommelière, cela se solde par de la déperdition de clientèle et de chiffre d'affaires. Et pour Éric Scotto, du très connu Scotto Musique, qui vend des instruments de musique dont des pianos, la livraison est une véritable "galère" et se cumule avec des problèmes d'accessibilité pour sa clientèle. Circulation saturée et "no parking, no business", résume le commerçant. Si bien que certains d'entre eux envisagent sérieusement de déménager là où l'accès des marchandises est organisé. Pour ne pas les nommer, les zones commerciales en périphérie. Pour le transporteur Transports NJS Faramia, qui est contraint d'enfreindre la réglementation pour assurer les livraisons, il est difficile de se faire entendre : "dès que l'on a un problème, on s'adresse à beaucoup de monde, soit ça dépend de l'un, soit ça dépend de l'autre, c'est souvent trop compliqué." À ce compte, la logistique urbaine mérite bien sa définition : l'art d'acheminer dans les meilleures conditions -  politiquement environnementales, socialement acceptables et économiquement efficaces - les flux de marchandises qui entrent, sortent et circulent dans la ville. Le bout de chaîne comme on dit. Le fameux dernier km, celui qui est le plus cher et le plus contraignant. Mais aussi le plus perceptible quotidiennement par les consommateurs.


Il manque 50 ha sur le territoire Aix-Marseille pour les espaces logistiques
Le transport de marchandises en ville (le commerce ne génère que la moitié ds flux) peut représenter jusqu'à 20 % du prix de transport global, est responsable de 12 % des déplacements de véhicules et génère 33 % des gaz à effet de serre. En 2010, en France, 100 kg de marchandises étaient transportés par jour et par personne, et la plupart sur une distance de moins de 100 km. Si la problématique a fait l'objet de travaux dès les années 70, force est de constater que les projets pilotes ont rarement été suivis de déploiements opérationnels à grande échelle. Et si la problématique suscite chroniquement des engagements de la part des gouvernements successifs pour une "meilleure gouvernance au niveau des agglomérations, la réservation d'espaces logistiques en milieu urbain, l'adaptation des aires de livraison et la révision des réglementations pour le développement des véhicules électriques..." - la logistique urbaine reste "le parent pauvre du transport", relève Marc Reverchon, vice-président de la CCIMP et président du Cluster PACA Logistique. "Il n'y a pas d'autorité organisatrice du transport des marchandises en ville." Quoi qu'il en soit, rappelle-t-il en s'appuyant sur le PDU de Marseille, il manquerait 50 ha pour des espaces logistiques.

Pourquoi est-ce si compliqué ?
"10 M€ sont consacrés chaque année dans les villes de plus de 100 000 habitants aux transports publics et rien pour la logistique urbaine", confirme Daniel Boudouin, économiste au sein du laboratoire de recherche Jonction, adossé au Centre de Recherche sur le Transport et la Logistique (CRET-LOG) d'Aix-Marseille Université. Pourquoi est-ce si compliqué ? "Les flux sont nombreux, les acteurs également. Et ils communiquent peu entre eux." Aussi, la collectivité n'a pas de compétence spécifique en matière de logistique urbaine. "Mais elle dispose de leviers pour faire circuler les marchandises via l'urbanisme et la réglementation (circulation, stationnement) ...", précise l'économiste. Pour autant, la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000 a imposé aux agglomérations de plus de 100 000 habitants d'inclure un volet transport de marchandises en ville dans les PDU. "Cette obligation est plus ou moins respectée. Marseille l'a fait mais pas Aix-en-Provence ou Avignon, par exemple", répond-il. Or, peu de recommandations sont suivies. "Nous avons préconisé pour Marseille 17 proprositions dans le cadre du PDU de 2001. Trois ou quatre ont été partiellement mises en œuvres."  Elle est en revanche l'une des rares villes en France de plus de 400 000 habitants à ne pas disposer de référent "logistique urbaine", autrement dit de service spécialisé. Dans la salle, le chef de projet PDU à la communauté urbaine de Marseille Provence rappelle que le dernier plan de déplacement urbain, voté en juin dernier, le prévoit et précise aussi qu'une étude est en cours pour identifier le foncier nécessaire aux activités logistiques.


Initiatives localisées
En attendant, des initiatives apparaissent ici et là. La direction régionale de l'équipement d'Île-de-France a sollicité Monoprix en 2004 pour expérimenter un projet d'acheminement de marchandises par voie ferrée. À Paris, l'enseigne de distribution Franprix (filiale du groupe Casino) livre par la voie fluviale 80 magasins en produits alimentaires. Les marchandises sont ensuite livrées en véhicules "propres". Initié par l'opérateur de transports publics de Zurich (VBZ) et par des services de la voirie de la ville, un tram-cargo destiné au ramassage des déchets et des encombrants a été mis en place à Zurich en 2004. Partant du constat qu'une proportion significative du transport routier circule à vide, le projet de recherche "Logistique mutualisée et durable", co-financé par le PREDIT, a imaginé des business models innovants d'optimisation des "capacités vides". Un projet pilote a été développé avec Banania, Bénédicta, Lustucru et FM Logistic pour la mise en place de livraisons mutualisées à des magasins à partir d'un même point.

Nouveaux modèles logistiques à la Poste

Pour Yves Kerboriou, délégué pour la région PACA du groupe La Poste, il faut pour avoir les conditions d'un système de distribution approprié, "une volonté politique et un pouvoir centralisé, un modèle logistique spécifique à la ville, disposer du foncier au bon endroit et interconnecté (embranchement ferroviaire, routier, autoroutier ...) et que l'ensemble des opérateurs intervenant dans la chaîne soient gagnants". Par son expérience historique "d'irrigation" des villes au quotidien, la Poste cherche sans cesse à optimiser la logistique, d'autant que l'explosion de l'e-commerce (15 % du marché français au détail) impacte ses métiers et accentue la pression sur les flux de marchandises dans la partie finale de la filière de distribution. "L'enjeu repose sur notre capacité à produire des services logistiques en ligne, proposant des délais courts et des prix compétitifs en cohérence avec les attentes des consommateurs et les exigences des web-marchands. L'élu veut une logistique urbaine invisible et inodore. Le particulier veut une livraison rapide quand il est là et là où il est. L'expéditeur veut que cela lui coûte le moins cher possible. L'opérateur ne veut pas payer de surcoût. Il faut trouver un modèle rentable économiquement et viable techniquement en terme de services". Pour ce faire, la Poste travaille sur de nouveaux modèles logistiques, dont certains ont été déployés en région. Comme les consignes automatiques de retrait Cityssimo, boîtes à colis automatisées, accessibles 24h/24h. Un service proposé actuellement à Aix-en-Provence. Elle a également mis en oeuvre Chrono City, un nouveau système d'organisation des tournées de collecte et de livraison, couplé à une plateforme automotrice. En PACA, cette solution est déployée à Aix-en-Provence, à Avignon et à Nice.

Sogaris : une expertise de 50 ans
Pour répondre à la problématique, le groupe spécialisé dans la création et la gestion de plates-formes logistiques multimodales (518 000 m² en France), et notamment concepteur de Rungis, propose une solution à trois étages. "De grandes plates-formes en première ou deuxième couronne pour la pré-consolidation, des bâtiments logistiques sur des faisceaux ferroviaires pour assurer l'éclatement des marchandises, des espaces logistiques de proximité pour livrer les colis, notamment pour le e-commerce." La SEM, qui a pour actionnaire principal le département de Paris (49,53 %) a installé une plate-forme de distribution urbaine à Arenc, offrant 37 000 m² de surface logistique et 4 300 m² de bureaux. "Proche des infrastructures portuaires et autoroutières (A7, A50 et A55), cette plate-forme multimodale propose également un embranchement ferroviaire. De plus, sa centrale photovoltaïque (320 000 kWh/an), associée à l'exploitation de véhicules électriques de livraison, réduit les impacts environnementaux", explique Serge Mercier, responsable commercial régional de la Sogaris, qui a commercialisé la totalité des espaces.


Compétence métropolitaine

Reste la question : et si la logistique urbaine était une compétence métropolitaine ? Daniel Boudouin rappelle que toutes les villes qui présentent des habitudes de coopération sont mieux loties en la matière. Quoi qu'il en soit, les choses évoluent. Ce 26 février, au cours d'une séance de l'assemblée nationale consacrée aux actions de l'État en matière de transports urbains, il a été question de marier les PLU et les PDU, ce qui permettrait de concilier l'urbanisme avec les déplacements et d'imposer un référent logistique urbaine dans toutes les agglomérations de plus de 500 000 habitants. "Appréhender les bonnes pratiques en confrontant les expériences de territoires qui ont réussi leur mutation pour construire notre propre projet stratégique", c'est la finalité de ces débats, conclue Marc Reverchon.

A.D


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