Grace Tulomba  : cuisine africaine et « rêve français »

Faire rayonner la cuisine du contient africain grâce à une carte bistronomique et des produits locaux. Voilà la promesse de Mama Nelly, tout jeune concept de restaurant né à Marseille. À sa tête : Grace Tulomba. Né en République démocratique du Congo, il est contraindre de fuir avec sa famille lorsqu'il a 13 ans. C'est en France qu'il trouve refuge, des ambitions plein la tête. Et avec elles, l'envie de porter un message de partage, tout en prônant une plus grande considération du rôle des femmes dans la société.
(Crédits : DR)

En ce pluvieux vendredi d'hiver, le Populo est plein à craquer. Ouvert en septembre dernier, ce lieu regroupe des échoppes où l'on mijote des plats originaires du monde entier. Au milieu, d'imposantes tables centrales sur lesquelles on s'installe librement, une assiette fumante sous le nez. Autour de l'une d'entre elles, trois imposants mangeurs pressés qui ont fait ont opté pour des assiettes creuses orange à l'intérieur desquelles sont présentés un  poulet yassa fondant pour l'un, et des gaufres de patates douces garnies de poulet frits pour les deux autres. Des plats familiaux que trois salariés préparent depuis le petit local de neuf mètres carrés de Mama Nelly, un concept de cuisine africaine fraîchement né à Marseille. Neuf mètres carrés d'un rêve qui prend forme. « Le rêve français » de Grace Tulomba.

Né en 1993 en République démocratique du Congo, Grace Tulomba naît au sein d'une famille où le féminin l'emporte assez largement. Cinq sœur. Il est le seul garçon. Et pas question pour sa mère que cela lui confère un quelconque privilège. « Elle détestait l'idée que son fils ne fasse rien à la maison », sourit l'entrepreneur. Traiteur pour les mariages, elle lui prend la main et l'embarque avec elle afin qu'il mette, dès le plus jeune âge, la main à la pâte. «Ma passion pour la cuisine est née comme ça ». De même qu'une certaine fascination pour le genre féminin.

De Kinshasa à Marseille

Une enfance d'odeurs, de couleurs, de saveurs, de convivialité ... que viennent interrompre les tensions géopolitiques qui secouent la République démocratique du Congo. Son père se sentant menacé, la famille s'envole pour la France. Direction Colmar dans un premier temps.

« Un passeur suisse nous a laissés ici. On a vécu dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile à Mulhouse puis nous avons été envoyés à Marseille en 2006 ». Apprendre la langue, alors qu'à la maison, on parle portugais. Subir quelques moqueries. L'ennui de longues journées qui s'étirent tandis que les autres enfants du même âge vont à l'école, presque par automatisme. « Pendant un moment, on ne pouvait pas être scolarisés car on n'avait pas de papiers ».

Puis, quand l'école fait finalement partie du quotidien, l'angoisse soudaine causée par une Obligation de quitter le territoire français, ces fameuses OQTF régulièrement convoquées dans les médias. « On ne sait pas pourquoi on a reçu cette OQTF. Mais nos professeurs se sont mobilisés. Ils ont distribué des tracts et ont réussi à réunir 500 à 600 personnes lors d'une manifestation. C'était un peu déstabilisant de voir tous ces gens manifester pour nous. C'était un pari sur l'avenir de leur part. Ils ont défendu tout ce qu'on pourrait apporter à cette ville, à ce pays, et cela nous a sauvés ». L'OQTF est en effet abandonnée et la famille dispose enfin d'un titre de séjour. Le début d'une vie plus sereine.

L'entrepreneuriat pour s'émanciper

Quelques années plus tard, Grace Tulomba choisit des études en école de commerce, animé, déjà, par une envie d'entreprendre. « J'ai toujours détesté l'idée de passer toute ma vie en tant que salarié. Je hais la routine. J'aime le risque et l'idée de vivre de ce que je fais ». Mais il faut bien vivre.

Alors il enchaîne les boulots dans la restauration, rapide notamment. « Le fast food est une très bonne école pour consolider ses compétences en gestion ».

L'idée de monter son propre restaurant flotte au dessus de son esprit. Mais il lui faudra un électrochoc pour passer à l'action. « Je travaillais chez Croquorico [enseigne spécialiste du croque-monsieur, ndlr]. Sur le comptoir, il était écrit : Croque-monsieur et Français. Un jour où il y avait un monde de fou, quelqu'un est venu et m'a dit que je n'avais pas l'air d'être français. Sur le coup, je n'ai pas su réagir. Le soir, j'en ai parlé à ma famille et ma mère a eu cette phrase qui m'a marquée. Elle m'a dit : "si tu ne bosses pas pour ton rêve, quelqu'un te fera bosser pour les siens" ».

Il voit aussi dans l'entrepreneuriat la possibilité de s'engager pour des causes qui lui sont chères. Ce qu'il fait désormais avec Mama Nelly avec, en décembre, un repas hebdomadaire à un euro pour les étudiants. Plus de 400 repas ont ainsi été distribués. Et l'entrepreneur compte renouveler l'opération. « En tant que salarié, je n'aurais jamais pu prendre des décisions pareilles. Maintenant, j'ai carte blanche ».

Avancer pas à pas

Pour se lancer dans l'aventure entrepreneuriale, Grace Tulomba imaginait, de façon classique, ouvrir son propre restaurant. Mais pas le temps d'attendre. Des opportunités se sont présentées, il s'en est saisi. Un déjeuner à quatre mains au restaurant solidaire Le République. Puis ce point de vente au sein du Populo : un bon moyen de se lancer avant d'investir dans son propre restaurant qui devrait finalement ouvrir au printemps prochain, rue de la République.

Un restaurant dans lequel il veut mettre à l'honneur la cuisine africaine dans toute sa pluralité. « Chaque semaine, un pays d'Afrique sera à l'honneur ». Des recettes traditionnelles déclinées en version bistronomique, à partir de produits locaux. « On s'approvisionne dans un rayon de 100 kilomètres. Pour faire de la cuisine africaine, c'est parfois un challenge ». Le chef est néanmoins parvenu à trouver dans la région certains produits typiques comme des bananes plantain. « Par contre, on a dû renoncer à un poisson utilisé au Sénégal pour faire le thieboudiene ».

Des casseroles et des livres

Le restaurant aura aussi vocation à faire rayonner les femmes et à s'engager en leur faveur. « Nous aimerions par exemple pouvoir embaucher des femmes qui ont eu une carrière saccadée, qui se sont arrêtées longtemps pour s'occuper de leurs enfants et ont du mal à retrouver du travail ». Les femmes seront aussi le thème du second livre qu'écrit Grace Tulomba ; le premier (Le Voyage de toute une vie: De Kinshasa à Marseille, aux éditions Gaussen) portant sur son parcours.

Écriture, cuisine : même combat ? « La notion de voyage est présente dans ces deux activités. L'écriture et la cuisine me permettent d'embarquer les gens dans mon univers, de leur montrer le monde différemment ».

Une envie de partage. Et beaucoup d'ambitions. « D'ici 2026, mon objectif est d'avoir ouvert un réseau d'une dizaine de restaurants en France». Trois à Marseille, dont celui qui se trouve aujourd'hui au Populo et celui qui ouvrira prochainement rue de la République, ainsi qu'un troisième à venir dans un autre projet de halle dans la périphérie de la ville.

Doit s'ensuivre un élargissement vers Nice, Cannes, Toulon, Montpellier, Aix-en-Provence. Avant un déploiement national dans de grandes villes, jusqu'à Paris où la concurrence est la plus rude. « Il faudra y arriver en étant très fort ».

Pour mener à bien ses ambitions, Grace Tulomba espère bénéficier de vents porteurs, à l'heure où l'Afrique semble plus sérieusement entrer sur la scène gastronomique française, en témoigne l'augmentation -bien qu'encore timide- du nombre d'adresses s'en revendiquant ces dernières années, notamment à Marseille.

S'il y parvient, Grace Tulomba espère montrer que « le rêve français existe. La plupart des personnes viennent en France avec l'idée de développer leurs compétences, leurs connaissances. Je veux montrer que même après avoir dormi dans des centres d'hébergement et avoir été obligé de s'habiller chez Emmaüs, on peut réussir ». Montrer, par là-même, que l'immigration est une richesse. Par l'emploi et l'activité qu'elle génère, bien sûr. Mais aussi pour tout ce qu'elle transporte de partage, de culture, de valeurs immatérielles... Et quoi de plus concret que la cuisine pour l'incarner ?

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