Les enjeux des opérateurs touristiques pour réussir leur décarbonation

Ils s’appellent MMV, Sowell et Villages Clubs du Soleil Vacancéole. Basés en région Sud, ils opèrent à eux trois 178 résidences et villages-clubs, représentant 58.000 lits fréquentés par plus d’un million de vacanciers chaque année pour un chiffre d’affaires total de 276 millions d’euros. Tous ont placé la décarbonation de leur activité au cœur de leur stratégie de développement avec en ligne de mire le zéro net carbone. Gageure ou vœu pieux ? Si le défi semble atteignable pour tout ce qui relève des émissions propres à l’activité des opérateurs, il se complexifie quand il s’élargit à l’ensemble des parties prenantes, vacanciers compris.
(Crédits : ©M.Reyboz)

Tous les professionnels s'accordent à le dire, le tourisme de demain sera vert ou ne sera pas. Attendus au tournant, le secteur et ses 8% de PIB pèsent, selon une étude de l'Ademe de 2021, 11% des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France. En termes de CO2, cela se traduit par 118 millions de tonnes émises en un an, soit l'équivalent des émissions cumulées des régions Île-de-France, Bretagne et Provence-Alpes-Côte d'Azur. En PACA justement, où le tourisme représente 13% du PIB et 150.000 emplois, l'Observatoire régional de l'Energie évaluait à 11,7 millions de tonnes le CO2 généré par les 219 millions de nuitées enregistrées en 2012. Dix ans plus tard, si les nuitées comptabilisées ont légèrement diminué, s'établissant à 213 millions en 2022, pas sûr qu'il en soit autant pour le CO2 engendré, a contrario de la prise de conscience qui, elle, grimpe à vitesse grand V et désormais s'impose à tous.

Conviction et obligations

« La décarbonation ? On y va pour deux raisons, pas forcément antinomiques par ailleurs, à savoir la conviction pure et dure d'une part et de l'autre l'obligation, qu'elle soit poussée par la réglementation ou par les clients. Dans tous les cas, il n'y a aucun objectif de retour sur investissement. En la matière, le ROI est impossible », constate Vincent Muller, directeur général du groupe Sowell. Né en 1985, l'opérateur basé à Aix-en-Provence gère 35 hôtels et résidences dans 19 destinations, soit quelque 7.800 lits, une moyenne de 350.000 vacanciers par an, à 70% en formule all inclusive, et un chiffre d'affaires de 63 millions d'euros (HT).

Il y a deux ans, le groupe s'est emparé du sujet en mettant d'abord en place une myriade de procédures diverses et variées sur ses lieux de séjour : suppression des bouteilles d'eau, par centaines de milliers chaque année, remplacement des contenants plastiques par d'autres en matière recyclable, achat d'un parc de machines à laver le linge plus économes, installation de sous-compteurs pour détecter toute fuite dans les piscines, élaboration d'une charte incitant les clients à ne pas gaspiller d'eau... Si cette succession de petites actions « n'est pas encore mesurable », la mise en place de systèmes de pilotage énergétique devrait lui permettre « d'économiser entre 25 et 30% des consommations électriques par an sur l'ensemble du parc ». L'investissement pour un établissement moyen tourne autour de 60.000 euros. « Tous nos sites mer seront équipés cet été et nos sites montagne, la saison hivernale 2024/2025 », précise le directeur. Il est entouré dans cette tâche par les cadres du groupe et des référents sur site. « Nous avons fait le choix d'attaquer le sujet en meute, chacun dans son domaine de spécialité. C'est toutefois très complexe car il nous faut apprendre un nouveau métier ».

Bâtiment démonstrateur

Chez MMV, c'est la direction financière qui porte le plan de développement stratégique Edelweiss. Celui-ci vise à transformer la filiale de la Compagnie des Alpes en un acteur du tourisme de montagne durable et exemplaire, avec en ligne de mire le zéro net carbone en 2030, scope 1 et 2 (les émissions de GES produites par l'entreprise ou sur lesquelles elle a la main). « Nous avons déjà réduit de 41% nos émissions par rapport à notre point de départ, en 2021/2022 », explique Julien Noël, directeur des exploitations. 11 des 21 établissements opérés par le groupe de Saint-Laurent-du-Var, présent dans 16 stations des Alpes françaises, ont été équipés d'outils de mesure et de pilotage et chaque année, « plusieurs millions d'euros sont investis dans nos sites, notamment en équipements. Nous éliminons progressivement toutes nos énergies fossiles. »

Mais le groupe azuréen, qui a réalisé 71 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023, veut aller plus loin. Il compte sur un plan d'investissement de 300 millions d'euros ces dix prochaines années pour développer l'offre de 13.000 lits actuellement à 20.000 lits, via des projets en construction, comme celui de Serre-Chevalier, lequel vise tous les labels environnementaux qui vont bien, mais aussi par des opérations de croissance externe et de réhabilitation. « Nous allons de moins en moins construire et de plus en plus réhabiliter », confirme le directeur. Ce qui suppose un important travail de rénovation du parc existant et à venir. A cet égard, « nous travaillons sur une étude en grandeur réelle : la rénovation d'un village-club de 150 chambres en prenant des options qui nous permettront d'identifier, sur l'ensemble du scope environnemental, jusqu'où nous pouvons pousser les curseurs techniques et comment les mettre en œuvre économiquement. Si l'objectif de départ, le bâtiment passif, nous apparaît inatteignable à ces altitudes-là, sauf à refaire entièrement le bâtiment, il s'agit de le rendre le plus proche possible de l'autonomie. » Un premier rendu est attendu cet été, avec l'idée de « dupliquer ce qui sera reproductible ou adaptable sur nos autres sites ».

Une alimentation décarnée

Chez Villages Clubs du Soleil Vacancéole, la décarbonation occupe aussi les esprits. Le groupe marseillais qui réunit depuis juillet 2023 les deux marques d'hébergement touristique, représentant ainsi 38.000 lits dans 122 destinations pour 142 millions d'euros de chiffre d'affaires, a présenté en avril ses projets de développement 2024. En fil rouge, une RSE renforcée avec, entre autres, une enveloppe de 23 millions d'euros dédiée à la rénovation des sites existants et la certification de l'ensemble des villages clubs ISO 50.001. « Depuis 2018, nous avons diminué de 17% notre consommation d'énergie. Nous visons les -25% en 2025 une fois tous nos sites certifiés », avance Jérôme Pasquet, président du groupe. Pour qui l'autre grand sujet de la décarbonation est l'alimentation.

Celle-ci compte pour 6% du total des émissions de GES du secteur. « Notre objectif est de réduire de 30% les émissions liées à l'alimentation en adoptant une politique d'achat plus responsable et en faisant évoluer l'offre vers des formules moins carnées et moins de gaspillage », reprend le dirigeant. Des tests de repas végétariens ont été proposés la saison dernière sur deux sites. « L'accueil a été mitigé » d'où un travail important sur la communication et la qualité. « Nous sommes dans une démarche de test and learn sur ces aspects-là », ajoute-t-il.

Au sein de MMV, qui sert environ 1 million de repas chaque année, le retour est jugé plus positif. L'instauration d'une journée végétarienne par semaine, dans le cadre du programme Happy Eat qui vise une assiette plus saine, locale et bio, a été « bien perçue par les clients », surtout « la consommation de viande a naturellement reculé sur nos bâtiments de plus de 20% par rapport à l'an passé », indique Julien Noël. Quant au circuit court, tous le privilégient et soulignent un approvisionnement local capable de répondre à la demande : « Beaucoup d'agriculteurs ont réorienté leur mode de distribution vers le local en matière de fruits et légumes. Nous ne rencontrons pas de difficultés d'approvisionnement à ce jour », relève Vincent Muller de Sowell.

Le transport en question

Reste toutefois le gros morceau des transports, qui représente les trois-quarts des émissions de GES du secteur. Le fameux scope 3, le plus complexe à gérer car traitant des émissions en provenance de sources qui échappent aux opérateurs, comme la question du déplacement de la clientèle vers les lieux de villégiature. « Nos moyens d'action sont limités alors que cela représente 64% de notre bilan carbone. Nous ne pouvons être que dans l'incitation », admet Julien Noël.

MMV a ainsi mis en place cet hiver une prime de 150 euros, déductible du prix du séjour, pour ceux qui prennent le train. Il poursuit par ailleurs le déploiement de bornes de recharge de véhicules électriques. « A l'hiver 2025/2026, 100% de nos sites seront équipés ». Du côté de Sowell, les conditions générales de vente ont été aménagées pour donner à chacun la possibilité d'arriver et de repartir le jour de son choix afin de réduire l'effet embouteillage et son poids environnemental. Cela dit, « nous sommes tributaires de la bonne volonté de chacun », remarque Vincent Muller.

Quelles résistances ?

En effet, pour réussir à décarboner l'industrie touristique dans son ensemble, il apparaît indispensable de jouer collectif. Avec les difficultés que cela implique. « La date de 2030 s'apparente à une chimère, le temps sera bien plus long car il faut mobiliser toute une chaîne de valeur avec des acteurs dont les positions sont parfois contradictoires sur le court terme », constate Julien Noël. Qui précise : « C'est une question de mentalité et de génération. Certains décideurs sont plus matures sur ce sujet que d'autres ».

Quant à la question du financement, tous rejettent la solution de la subvention et appellent à la pérennité de la loi, comme celle qui autoriserait une copropriété à emprunter sans l'accord de chacun des copropriétaires, le conseil syndical l'emportant. « La transformation, quelle qu'elle soit, a besoin d'une réalité économique, insiste-t-il. Sans cela, elle se limitera à des coups limités ». Et toutes les bonnes volontés du monde n'y pourront rien changer.

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