« Si on veut sauver la planète, il ne faut pas faire d’écologie marketing, mais de l’écologie basée sur la physique » (Franky Zapata)

Le monde entier le connaît pour être l’homme qui a survolé les Champs-Elysées le 14 juillet 2019, à bord d’un engin alors inconnu, le Flyboard Air. Il y a quelques jours, il a dévoilé une nouvelle machine volante, baptisée Air Scooter. Si l’entertainment est pour l’heure sa zone d’expression, Franky Zapata déroule une vision affirmée de ce que doit être la nouvelle mobilité. Où il est préférable, rappelle-t-il, de s’appuyer sur les lois de la physique plutôt que sur celles du marketing. De Marseille, dont il est originaire, aux Etats-Unis, où il ouvrira ce printemps un flight center, sa feuille de route pose les prochaines étapes, méthodiquement. Mais pas sans passion.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - En juin dernier, vous présentiez votre scooter des airs au salon Vivatech, que s'est-il passé en six mois ?

FRANKY ZAPATA - A Vivatech, notre véhicule était, à 99%, déjà prêt. Il y a eu de petits ajustements. Les éléments qui le constituent sont issus des développements effectués depuis de nombreuses années, que ce soit la propulsion, le système de contrôle de vol, les brevets fondamentaux...

De nombreuses initiatives sont nées ces dernières années autour des véhicules volants. Comment vous êtes-vous assurés de disposer des bonnes compétences ? Vous êtes-vous appuyés sur des laboratoires, par exemple ?

La question est double. Il faut bien s'entourer, c'est évident. L'AirScooter est issu d'une réflexion qui est commune. Nous nous entourons des bonnes compétences, mais nous développons aussi une machine en fonction des compétences dont nous disposons en interne. En vérité, la question que nous nous sommes posés, c'est comment transformons-nous ce monde qui est « fabuleux » de la nouvelle mobilité et des engins volants du futur, comment on transforme ce qui est aujourd'hui virtuel - c'est-à-dire qui ne fonctionne pas - en quelque chose de réel et rapide. La plupart des questions que l'on me pose tournent autour de ces projets prometteurs mais que l'on ne voit jamais voler, jamais en opération... Nous ne sommes pas partis d'un produit, nous sommes partis d'une idée. Comment on fait-on voler un humain et comment rendons-nous cela réel ? Lorsque nous avons entamé ce brainstorming, nous étions avec une équipe. Nous avons donc mis dans le panier les compétences dont dispose l'équipe. Nous avions un spécialiste de la mécanique des fluides, un designer, pour ma part je dispose d'une expérience en moteur à explosion... nous avons tout mélangé et ainsi est né Air Scooter. Ensuite, pour les petits paramètres qui nous manquent, nous nous entourons. Comme pour les hélices, par exemple.

Combien d'années de R&D ce projet a-t-il nécessité ?

Le AirScooter lui-même, peu car le projet est né il n'y a un peu moins de deux ans et demi. En revanche, le brevet date de 2016, il est né d'une première version du Flyboard Air qui devait être hybride. Finalement, la technologie qui est utilisée dans le AirScooter est même antérieure à la création de l'entreprise. Elle est le résultat de 30 ans de travail en R&D. D'importances parties du moteur sont issues de ce que j'ai développé dans les années 2000 à 2010, les moteurs à combustion interne. Le AirScooter est une combinaison de tout ce que nous avons appris, de notre savoir-faire, de ce que nous développons depuis trois décennies. L'AirScooter, nous en sommes convaincus, est une machine qui rend réel tout ce que l'on entend partout dans les médias, depuis les premiers films de Hollywood à maintenant. La nouvelle mobilité, c'est tout le temps pour demain. Mais quand on regarde le ciel, rien ne vole. Nous, nous parlons avant tout de loisirs et le début de tout cela c'est demain, pas dans dix ans.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous avons pu enfin pousser l'enveloppe de vol, une étape qui a pris 5 ans pour le Flyboard Air. Etant une machine pilotée par un humain, il nous a fallu du temps, procéder petit à petit. L'avantage du AirScooter, est que - pour le moment - il vole sans personne à bord. Le seul dommage encouru est de la casse de matériel, nous pouvons donc nous permettre de prendre davantage de risques. Pousser l'enveloppe de vol nous prendra entre 3 jours et quelques mois. Nous espérons la finaliser d'ici la fin de l'année. Elle concerne les angles de braquage, la vitesse de pointe maximum... L'étape d'après, c'est le vol avec un humain embarqué, ce qui n'est qu'une formalité, car, au final la présence d'une personne à bord ne change pas fondamentalement les choses. C'est, en revanche, une étape importante philosophiquement. Techniquement, ce sera la partie la plus simple à réaliser. Puis, il faudra prouver la fiabilité et l'endurance de notre machine en traversant la Route 66. Il y a les étapes techniques, mais en termes de business, cette expédition a son rôle à jouer. Nous emmenons deux à trois AirScooter aux Etats-Unis afin de présenter la machine au public américain. D'où le choix de la Route 66 que nous allons parcourir entre avril et mai, par sauts de puce, depuis Chicago jusqu'en Arizona. C'est là que se situera notre premier centre de vol. Car le modèle économique que nous avons choisi, ce n'est pas de vendre la machine aux Américains mais de leur donner accès, après une courte formation, pour survoler les paysages. Nous commencerons donc alors à opérer avec des passagers à bord.

Et quid d'une commercialisation en France ?

Nous espérions obtenir la possibilité de vols expérimentaux, avec des pilotes. Pour l'heure, nous n'avons pas obtenu la possibilité de faire une expérimentation à grande échelle, qui nous permette d'embarquer des personnes. Ce serait un énorme investissement financier et un fort engagement en temps pour ouvrir un centre en France. Nous le souhaitons, davantage par patriotisme - on aime notre pays - qu'intérêt commercial, car il est plus facile et plus rentable pour nous d'ouvrir un second centre à Las Vegas qu'en France. Nous sommes une startup et le temps est, pour nous, directement lié à l'argent. Chaque semaine ou mois que nous passons à pousser dans un sens c'est un temps que nous n'employons pas à pousser un autre sujet. Nous devons définir des priorités.

N'est-ce pas un peu contradictoire d'aider, de soutenir l'innovation mais ensuite, de ne pas donner le cadre favorable à son application ?

Heureusement, la France offre d'autres avantages, comme le Crédit Impôt Recherche et le Crédit Impôt Innovation - nous avons bénéficié de ce dernier dans le passé. Bpifrance représente aussi un levier important. Tout cela n'existe pas dans d'autres pays européens.

Le CIR a beaucoup joué lorsque nous avions lancé nos Flyboard à eau, le marché français représentait alors 6% du marché mondial. Pourquoi produire en France plus cher, payer des impôts, alors que le marché est ailleurs ? Le CIR a fait basculer mon choix, puisque nous avions un léger amortissement. En France, nous avons également de très bons ingénieurs, passionnés d'aviation et disposant d'une très forte culture de ce milieu. Nous disposons d'une zone de vol, l'Aviation civile nous suit... Cependant, ce qu'il faut comprendre, c'est que c'est un tout. Nous allons démarrer la production de nos machines au sein de nos locaux, à Châteauneuf-les-Martigues (près de Marseille, NDLR). Nous n'avons certes pas la possibilité de produire des milliers de machines pour le moment mais si nous ne pouvons voler en France et si nous n'avons pas de soutien, à court terme, cela ne changera rien mais sur une vision à long terme, cela est différent. Nous n'avons pas besoin d'avoir l'autorisation de voler pour avoir l'envie de rester en France. Ce qui compte, c'est d'avoir un pays qui demeure motivé pour l'innovation et pour l'industrialisation. Nous pouvons continuer l'industrialisation en France et vendre à l'étranger, d'autant qu'à terme, nous entrerons dans la nouvelle mobilité. Mais nous avons tout de même besoin de sentir un appui de la part de notre pays. Lorsque nous regardons nos concurrents américains, ils bénéficient de commandes de l'Armée américaine, d'importants fonds d'investissement les suivent... Heureusement, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur un investisseur privé, car ce n'est pas tous les jours aisé.

Concernant la nouvelle mobilité, certains aéroports testent des solutions de petite mobilité urbaine. Est-ce que cela peut être une piste de développement ?

Nous imaginons la mobilité de façon véritablement différente des autres acteurs. Il y a deux sortes de mobilité. La mobilité rapide - pour de petits trajets, de 50 à 200 km - avec une machine qui transporte une seule personne. Pour cela, nous ne sommes pas prêts. Bien que nous soyons meilleurs que la concurrence en termes d'empreinte carbone et de bruit, il faut encore les réduire. Nous sommes très contents de ce que nous avons fait pour l'entertainment : le bruit est bas, plus bas que toutes les autres solutions existantes. Mais de là à se poser dans le centre de Paris... Il reste du travail.

La vision que nous avons, c'est une mobilité qui existe déjà. C'est le transport en commun où on transporte - non pas une personne - mais 15 ou 20 personnes pour des trajets de 100 à 400 km. Ce serait une sorte de bus volant - on peut imaginer des lignes - qui s'appuie sur la technologie que nous avons développé pour le AirScooter associé à une technologie qui permet de faire moins de bruit. C'est sur cela que nous travaillons, en parallèle. Vous le constatez, la route est longue mais tout a commencé avec cette passion de voler. Il a fallu y aller, étape par étape. D'abord avec le Flyboard Air, une machine qui permet de réaliser le rêve des gens - voler - mais dans l'air du temps, qui dispose d'une empreinte carbone faible - c'est ce qu'apporte le AirScooter. L'enjeu, maintenant que nous avons démontré la fiabilité et que nous avons prouvé que cela fonctionnait dans l'entertainment, c'est comment se positionner sur la nouvelle mobilité. Il faut essayer de coller à un business modèle qui existe, et pour moi, c'est le transport de passagers, le transport en « commun ». Voilà notre plan complet. La dernière étape, en revanche, va prendre encore quelques années, c'est un tunnel dont on ne voit pas le bout.

Quel est le montant annuel que vous consacrez à la R&D ?

100% de notre budget est consacré à la R&D. Nous avons un cash burn d'environ 500.000 euros par mois. 90% est dépensé en R&D et 10% en industrialisation. Mais comme nous travaillons par brique, ce que l'on dépense pour le AirScooter par exemple, sert la nouvelle mobilité. Nous avons inventé une nouvelle façon de fabriquer du composite, de construire des cellules qui permet de gagner du temps, du poids... Cela sert le AirScooter mais nous pourrions nous en servir pour construire un hélicoptère. Bien sûr, nous l'utiliserons pour construire notre bus.

Vous évoquiez la concurrence tout à l'heure. Quel type de concurrence affrontez-vous ?

Nous, nous partons des bases physiques, nous n'allons pas là où le vent souffle. Si nous voulons vraiment sauver la planète, il ne faut pas faire d'écologie marketing, il faut faire de l'écologie basée sur la physique. Je suis convaincu de cela depuis longtemps. Beaucoup de solutions aujourd'hui, viennent du monde d'avant, lorsque l'électricité était moins onéreuse, où l'électrique égalait zéro émission. Cela je l'ai compris assez vite. Avant de conseiller de consommer de l'énergie plus verte, commençons déjà à construire des machines qui en consomment moins. On commence enfin à calculer ce que coûte désormais l'électrique. Nous avons aujourd'hui accès à de nouveaux carburants qui produisent 80% d'énergie en moins sauf que cela n'est pas scalable à l'industrie automobile. Tous les carburants synthétiques coûtent cher. Nous, nous consommons tellement peu d'énergie que payer un carburant 4 euros le litre n'impactera même pas le prix de la course. Nous avons eu le marketing contre nous durant plusieurs années. Heureusement, les calculs et la physique finissent par révéler ce qui est souvent une fausse bonne idée. L'aviation intercontinentale électrique n'existera pas, à moins de trouver une nouvelle énergie. Même nos petits enfants ne le verront pas. La première batterie a été créée dans les années 1800. On a gagné fois 4 en 220 ans. Or il faut encore faire fois 25. Là, il ne s'agit pas de software. C'est de la physique, et on ne révolutionne pas la physique comme ça. Ce qui fonctionnera c'est l'hybridation, c'est pour moi, de loin, la meilleure solution.

Cibler l'entertainment en priorité, c'est une façon d'éduquer les mentalités ?

Ça éduque les esprits, ça permet de ne pas avoir à convaincre. Ça permet de valider notre plan. Il n'est pas très difficile de convaincre les gens de réaliser leur rêve : voler.

Et vous, réalisez-vous vos rêves ?

Je réalise mon rêve depuis longtemps : voler, diriger une entreprise dans la tech... Le prochain rêve, c'est de le partager. Si, dans le temps, nous arrivons à compter dans la mobilité, ce serait un aboutissement. Mais il faut parler de ce qui est réel. Pas d'utopies. Croyez-vous que l'on va changer la mobilité, décongestionner les routes en transportant les personnes une par une ? Il faut commencer à toucher à ce qui fait mal, ce que nos concurrents ne veulent pas dire, comme l'énergie, le bruit... Nous allons résoudre ces problèmes techniques, un par un.

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Commentaire 1
à écrit le 05/12/2023 à 8:43
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oui, il est plus intelligent de trouver des solutions qui tiennent la route, que de faire de l'ecologie punitive ( enfin, ca depend des objectifs , bien sur, sachant que l'ecologie est le cadet des soucis des ecolos, apres la destruction du capitalis...

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