Millenials, croissance modérée, décarbonation : quels enjeux pour la croisière ?

Souvent vilipendée pour son impact environnemental et souvent perçue sous l’unique prisme de méga paquebots, la croisière – qui pèse mondialement 140 milliards de dollars – entre pourtant, assure Marie-Caroline Laurent, directrice générale de la CLIA (l’association internationale des compagnies de croisières), dans une phase de croissance modérée, avec une clientèle plus large, plus jeune et de nouveaux entrants tels Accor ou Ritz-Carlton. Une croisière qui est scrutée de plus près dans ses habitudes de consommation via une étude menée avec Oxford Economic, pour aussi déjouer les mécanismes de surtourisme.
(Crédits : MSC Croisières)

LA TRIBUNE - Après deux années de rattrapage Covid, dans un contexte inflationniste... comment se porte l'activité de croisière ?

MARIE-CAROLINE LAURENT - En janvier, nous étions tous dans l'expectative... avec une inquiétude sur le tourisme en général, sur comment l'activité allait pouvoir repartir et puis, sur les capacités de consommation, des passagers également. Mais la croisière va bien. Elle a réuni 31,7 millions de passagers au niveau mondial. Ce qui signifie une augmentation de plus de 10% par rapport à 2022 et de l'ordre de 7% par rapport à 2019, cette dernière étant notre meilleure année. Nous sommes donc sur un dépassement pré-Covid. Tout cela crée une bonne émulation : les destinations sont contentes, les armateurs cherchent à développer de nouvelles offres.

L'autre bonne nouvelle concerne la démographie de notre clientèle qui se modifie, qui conforte l'envie de voyages en famille, dans un environnement sécurisé... 28% des voyages comportent ainsi deux ou trois générations d'une même famille... Nous enregistrons également davantage de croisières solo... Cela conforte le rajeunissement de la croisière. Et les excursions elles-mêmes se diversifient, avec une davantage de demande d'activités sportives, culturelles... et même de découverte de gastronomie locale. Cela confirme l'évolution du produit croisière.

Autre point de satisfaction, la fidélisation des croisiéristes, qui s'établit à 82% et qui comprend une forte partie de millenials, avec 27% de nos croisiéristes qui n'avaient jamais effectué de croisière auparavant. La croisière a toujours fonctionné sur ses repeaters, mais le fait d'attirer de nouveaux clients est certes une bonne nouvelle mais aussi un besoin car nous avons de nouveaux navires qui arrivent, nous avons donc besoin d'augmenter, bien sûr, notre nombre de passagers pour correspondre à cette nouvelle capacité.

Quels sont les investissements prévus ?

Nous envisageons toujours une croissance modérée, de l'ordre de 10% du nombre de cabines sur les 10 prochaines années. Nous allons atteindre 300 navires au sein de la CLIA. C'est une croissance saine, contrôlée, qui se diversifie. Nos carnets de commandes, pour les 5 prochaines années, établissent une répartition qui comprend un tiers de petits navires c'est-à-dire moins de mille cabines, un tiers entre 1.000 et 4.000 cabines et un tiers au-dessus de 4.000 cabines. Il n'y a donc pas de tendance de la croisière de ne faire que du grand navire. Au contraire, nous sommes sur un modèle qui se diversifie et veut répondre à l'ensemble de la demande.

Nous remarquons aussi l'arrivée de nouveaux acteurs - Accor, Ritz-Carlton - qui lancent leur marque de croisières ce qui attire un nouveau type de passagers, plutôt les clients de l'Orient-Express, de Ritz-Carlton et qui vont pouvoir avoir la même expérience de service et d'exploration à bord d'un navire et plus seulement dans un train.

Cela a-t-il une incidence sur les commandes de navires ?

Jusqu'à présent nous avons vécu sur nos commandes de navires pré-Covid. Depuis février, 12 nouveaux navires ont été commandés. Notre carnet de commandes reprend et cela est aussi un signal fort de la bonne santé de notre secteur et de la bonne confiance que nous avons de nos clients et de nos passagers.

Hormis la flotte et les investissements consentis pour les nouveaux navires, qu'en est-il plus largement des retombées économiques ?

La croisière demeure une activité modérée, elle représente 2% des voyages dans le monde. Mais nous avons un impact économique important, grâce à la construction de nos navires. Sur un investissement direct pour l'Europe dans les cinq prochaines années, cela signifie 40 milliards d'euros d'investissements. La croisière participe à l'activité économique mondiale à hauteur de 140 milliards de dollars, avec une contribution qui concerne l'Amérique du Nord et l'Europe. Concernant la France, les retombées économiques s'élèvent à 7,7 milliards d'euros, ce qui comprend les chantiers navals, les taxes portuaires, les fournisseurs... La France est le troisième pays en termes de retombées économiques après l'Italie et l'Allemagne.

Vous évoquez une croissance modérée. Cela signifie-t-il une croissance linéaire ?

Nous comptons sur une croissance lissée sur les prochaines années avec une croissance progressive de nos passagers, sans créer de surcapacité. Cela se reflète au niveau des destinations. La croissance attendue, en France et en Europe, pour 2024, s'établit à 3%. Cela confirme la stabilisation de nos activités. Nous gardons également un œil sur la situation géopolitique. L'Asie va rouvrir cette année, ce qui signifie un repositionnement progressif des navires dans cette zone. Ce n'est pas un grand mouvement de réinvestissement mais plutôt un rééquilibrage géographique.

La croisière est souvent vilipendée pour son impact environnemental...

Notre priorité est de continuer sur nos efforts environnementaux, d'identifier les investissements nécessaires au niveau européen pour atteindre nos objectifs de décarbonation. Nous avons entamé une étude européenne en janvier, laquelle va établir différents scénarios et fournir une cartographie des nouvelles technologies dans laquelle la croisière investit, ce qui permet de connaître les tendances d'investissement entre le GNL, les piles à combustibles, le vélique... et quelles vont être les besoins en nouvelles énergies. Concrètement, d'ici la fin de l'année, nous aurons une carte qui signifiera les points de soutage en Europe, le carburant utilisable, le volume disponible et où en est le déploiement de la connexion à quai, qui concerne aujourd'hui une vingtaine de ports en Europe en Méditerranée. Nous faisons évoluer notre agenda pour répondre à nos objectifs environnementaux : quelles sont les infrastructures nécessaires, comment avancer avec les autorités locales, les ports, les énergéticiens...

Vous insistez aussi sur l'impact économique, parfois pas considéré dans sa globalité...

Nous menons également une seconde étude, avec Oxford Economics, pour approfondir ce qu'est notre impact économique et de façon plus détaillée que ce que nous avons pu faire par le passé, alors principalement basé sur des questionnaires ou passagers. Nous considérons pour cette étude dix ports dont Marseille, Bergen en Norvège, Civitavecchia en Italie, Mykonos en Grèce, Seattle... L'étude va modéliser les mouvements de passagers, ce qui va nous permettre d'identifier les points de tension mais aussi les opportunités, des quartiers peu fréquentés par exemple. Ce qui permet d'éviter le surtourisme. Vont être étudiés aussi l'impact économique au niveau des ports - c'est-à-dire ce que la compagnie dépense en termes de charges portuaires - les achats effectués par les compagnies de croisières, l'impact auprès des commerçants - combien la croisière représente dans leur chiffre d'affaires, quels sont les types de dépenses... Cette étude nous permet d'avoir une méthodologie harmonisée et donc un cadre d'analyse comparable.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.