« Le temps de déploiement des projets EnR est encore trop long » (Nicolas Wolff, DG Boralex Europe)

ENTRETIEN - Actif depuis trente ans sur la fourniture d’énergies renouvelables, originaire du Canada, le groupe qui se revendique n°1 de la production éolienne terrestre en France, ne cache pas ses envies de croissance sur le territoire hexagonal – il a d’ailleurs installé la première centrale solaire flottante des Bouches-du-Rhône, à Peyrolles en 2021 – mais appuie aussi sur les freins qui handicapent le déploiement de certains projets alors même que le contexte énergétique tend l’économie et inquiète les entreprises. Ce qui demande, dit le vice-président et directeur général en Europe du groupe, un véritable effort sur la réglementation.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Boralex est né il y a 30 ans au Canada et est présent en France depuis 20 ans. Entre temps, le contexte énergétique a changé, des opérations de croissance externe ont structuré le développement. Quelle est votre stratégie de développement ?

NICOLAS WOLFF - Depuis 20 ans, Boralex sur le marché français. Le groupe aujourd'hui possède 2,5 GW de capacités installées et intervient en Amérique du Nord, essentiellement au Canada et Etats-Unis et en l'Europe, implantés en France et au Royaume-Uni. C'est un groupe qui a la particularité de maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur. En France, le groupe s'est développé sur tout le territoire et aujourd'hui compte 250 personnes, 1,100 GW installés, 70 projets répartis sur tout le territoire avec de l'éolien et du solaire. Nous nous sommes développés via de la croissance organique via nos projets mais nous avons également réalisé des acquisitions, notamment Enel France et Kallista, bras renouvelable d'Axa et Ecoterra, un gros développeur dans le nord de la France. C'étaient des opérations structurantes car elles ont permis d'accélérer notre croissance. Nous avons une dizaine de sites en France - le navire amiral de Boralex est localisé à Lyon - qui sont des centres de maintenance ou des centres de développement et la philosophie que nous avons est d'être à moins d'une heure de déplacement de chacun de nos sites pour pouvoir les maintenir correctement.

Nous avons une stratégie de croissance assez marquée puisque nous avons présenté en 2021 un plan stratégique qui vise à doubler la taille de la société à l'échelle du monde mais aussi à l'échelle de Boralex en France. Typiquement nous voudrions passer de 1,1 GW à 2 GW en 2025 et atteindre 3 GW en 2030 à l'échelle de l'Europe.

Cette expansion se fait via deux axes, l'un qui est géographique, en l'occurrence nous voulons accélérer la diversification géographique de la société. Nous sommes donc en train d'investir massivement aux Etats-Unis, avec notamment des rachats de sociétés qui possèdent des parcs solaires. Nous venons de remporter des appels d'offre dans l'Etat de New-York pour de grandes unités solaires. En Europe, nous venons de faire l'acquisition d'une société au Royaume-Uni, Infinergy, qui nous apporte des projets notamment éoliens en Ecosse, nous disposons d'un portefeuille de plus de 300 MW de projets écossais qui arrivent à maturité pour 2024-2025.

Envisagez-vous de cibler d'autres pays en Europe ?

Oui, nous sommes en train d'étudier certains pays comme l'Espagne avec plutôt du solaire - nous regardons d'ailleurs les opportunités qui se présentent - et les Nordics - plutôt Finlande ou Suède - et là plutôt avec des projets éoliens.

Nous avons un autre pilier, qui est la diversification technologique puisque Boralex a la particularité d'être, initialement, une société plutôt éolienne. Nous nous sommes diversifiés dans le solaire il y a quelques années et ce que nous souhaitons rééquilibrer le portefeuille de production entre le solaire et l'éolien. Aujourd'hui, le solaire représente environ 10% du portefeuille, c'est donc assez limité. Nous aimerions à horizon 2025 atteindre 30 à 35% de part solaire, le reste étant de l'éolien. Et idéalement, à horizon 2030, atteindre un équilibre parfait entre l'éolien et le solaire. Pourquoi cette volonté ?  Parce que nous ne ne voulons pas être dépendants d'une seule technologie et parce que nous nous projetons dans l'avenir, avec le souhait de commercialiser en direct nos productions - c'est-à-dire en ne passant plus par des aides d'Etat - mais on étant capables de vendre en direct à des opérateurs industriels et par conséquent, avoir la possibilité de mixer les deux cours de production. Ce qui apporte une base énergétique plus facile à commercialiser. Nous disposons de deux cours de production très complémentaires. Le solaire produit surtout en milieu de journée et l'éolien plutôt en début et fin de journée.

Comment financez-vous ce développement ?

Nous nous sommes associés en début d'année à un partenaire financier pour accélérer cette croissance. Nous avons donc ouvert le capital en France, à hauteur de 30%, à un fonds d'investissement, Energy Infrastructure Partners (EIP), fonds suisse, spécialisé dans les énergies renouvelables. Ce sont 32 millions d'euros que nous allons pouvoir réinvestir dans la croissance de façon à accélérer la croissance externe. Nous sommes donc en ordre de bataille pour attaquer ce marché des énergies renouvelables, qui n'est pas simple, mais qui présente un potentiel de développement très important et d'autant plus important que nous sommes aujourd'hui dans une crise énergétique particulière.

Pour en revenir à votre déploiement en France, vous avez installé le premier parc éolien flottant dans le Sud de la France. Pourquoi ce choix ?

Nous opérons dans le Sud de la France depuis plusieurs années. Nous y possédons 3 parcs solaires et 4 parcs éoliens. 30 personnes travaillent sur cette zone avec un bureau à Marseille. Le parc de Peyrolles en Provence est un parc intéressant car c'est le premier parc solaire flottant. Le principe est simple : il faut trouver une surface aquatique qui peut être réutilisée et nous installons nos panneaux solaires sur des flotteurs. On va travailler une dizaine d'années sur ce projet avec la commune de Peyrolles, Zone Granulat, le site sur lequel nous nous sommes installés. C'est une ancienne gravière, qui n'est plus utilisée et que nous dotons d'une seconde vie. L'avantage est que cela ne provoque pas d'artificialisation des sols puisque c'est un site industriel que nous reconvertissons. C'est un parc de 12 MW de puissance avec 12 hectares de flotteurs sur la surface de l'eau. C'est une installation assez importante. La production de ce parc correspond à 6.000 foyers soit à peu près la moitié de la population de la Vallée Val de Durance.

Ce projet s'accompagne d'une expérimentation avec le CEA...

Nous avons également signé un partenariat avec le CEA, plus précisément l'Institut national de l'énergie solaire, qui nous aide à suivre les performances du site. Il nous a semblé intéressant d'utiliser ces compétences pour pouvoir évaluer le flottant au posé classique sur terre et voir ce que l'on peut retirer comme bénéfices en termes technologique, sur le fait d'être sur une surface aquatique. Je pense notamment aux effets de refroidissement qui sont liés à l'eau qui permettent de baisser la température des panneaux ce qui augmente le rendement des panneaux. Nous effectuons des comparatifs réguliers entre les performances sur eau et des performances sur terre.

Nous tentons de déterminer quels sont les rendements complémentaires à tirer. Nous avons également modifié les systèmes d'ancrage, lié à des poids et donc plus de liaison avec la berge, pour respecter la biodiversité.

Vous affichez une forte ambition. Le contexte énergétique y pousse. Est-ce que malgré tout le déploiement des énergies renouvelables est suffisamment soutenu, d'autant plus dans le contexte énergétique actuel ?

Je ne vous cache pas que développer des projets dans les énergies renouvelables, ce n'est pas toujours simple car nous avons des temps de développement qui sont assez longs, trop longs à notre goût. Un projet de développement dans l'éolien nécessite entre 8 et 10 ans et dans le solaire, c'est environ 6 ans. Les temps de développement sont très longs nous essayons systématiquement de co-construire les projets avec les communes ou les communautés de communes sur lesquelles nous intervenons. Boralex ne fait jamais de parc sans l'aval des élus, nous menons un grand travail de consultation avec les populations. Nous avons mis en place, depuis deux ans, une boîte à outils participative pour proposer des prises de participation dans le parc, des accès à des tarifs verts préférentiels... pour que le projet soit aussi leur projet. Malgré tous ces efforts, ce que je note, c'est que nous avons une administration lente, qui a du mal à tenir ses délais. Nous avons des délais types sur les phases d'instruction de dossiers et l'administration ne tient pas ces délais. La situation est paradoxale, puisque nous sommes actuellement dans une crise extrêmement grave, avec des interrogations sur des capacités à passer cet hiver. Or les énergies renouvelables sont la seule capacité additionnelle qui peut être mise en œuvre rapidement. La crise du gaz a été amplifiée par la guerre en Ukraine, en France nous avons un parc nucléaire en grande difficulté puisque la moitié de ce parc est quasiment à l'arrêt pour des problématiques de corrosion et personne ne sait à quel moment on sera capable de redémarrer ces centrales. Nous sommes donc sur un déficit de production énorme. La sobriété est clairement la première action, mais la réduction de la consommation n'est pas le seul levier. Nous, acteurs des énergies renouvelables, nous pensons que si on libérait des projets en difficultés, on apporterait une solution rapide à cette situation. Autre bénéfice :  nous sommes capables de produire de l'électricité verte à des coûts très bras, compétitifs. Nous avons lancé une stratégie de commercialisation de notre production, en direct auprès des entreprises privées comme Orange, L'Oréal, IBM ou Auchan. Il y a un an, l'objectif était de verdir leur consommation électrique. Aujourd'hui, ces entreprises reviennent vers nous pour que nous les aidions à rester compétitives. Or, nous n'avons pas, aujourd'hui, en portefeuille, suffisamment de projets pour pouvoir subvenir aux besoins de ces clients. C'est très frustrant.

Que faut-il modifier pour aller vraiment plus vite ?

On doit arriver à mieux planifier afin de tenir les objectifs donnés, découper les objectifs à 2030 en objectifs annuels afin de construire ces capacités additionnelles. Et puis il y a besoin d'un travail réglementaire pour simplifier, rendre plus efficaces les process réglementaires pour obtenir les autorisations. Il n'y a pas d'autre solutions que d'accélérer sur les EnR, quelle que soit la décision prise sur le nucléaire. Seules les EnR peuvent permettre d'installer rapidement les capacités en énergie décarbonée.

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