Laurent Baly, diffuseur d’innovations

A la tête de la Satt Sud Est depuis cinq ans, cet ancien de Décathlon s’attelle avec ses équipes à faire mûrir les innovations des chercheurs en jouant le rôle de passerelle avec le monde industriel. Fier du travail accompli jusqu’ici, il souhaite désormais mieux accompagner les startups et entreprises étudiantes du territoire, tout en favorisant les projets à impact social et environnemental.
(Crédits : DR)

On en compte treize aux quatre coins de la France. Créées en 2010, les Satt, ou sociétés d'accélération du transfert de technologies, sont des structures privées dotées de fonds publics. Leur mission : simplifier et professionnaliser le transfert des innovations issues de la recherche académique vers les marchés socio-économiques. Tout un sujet. Pour cela, les Satt veillent à identifier les projets innovants, à protéger les découvertes des chercheurs et à accompagner le transfert vers les entreprises tout en portant une partie du risque financier, ce qui leur donne droit à des revenus de licence.

Près de 40 M€ investis

En région Provence-Alpes Côte d'Azur, la Satt Sud Est - qui couvre également la Corse - a contribué à la maturation de 188 projets sur lesquels 35,7 millions d'euros ont été investis. Installée à Marseille, la structure occupe le cinquième étage du Silo, cet ancien silo à céréales reconverti en salle de spectacle, symbole d'une modernité qui se nourrit du passé.

Laurent Baly, son président, y occupe un bureau lumineux avec une vue imprenable sur la mer. Voilà cinq ans qu'il incarne la structure. Ce qui lui a valu cette fonction c'est à la fois son ancrage local et son parcours mêlant recherche et industrie. Parcours qu'il raconte avec force de détails... et d'enthousiasme.

Après une enfance passée à Avignon, il s'oriente vers des études en sciences du mouvement à l'université de Luminy à Marseille. Celles-ci le conduisent à une thèse sur la modélisation de l'effort articulaire chez les nageurs avec palmes. « On s'est aperçu qu'un simple geste quasi imperceptible, un petit coup de fouet sur la palme, pouvait entraîner une vraie différence de performance ». Il raconte cette découverte comme s'il la revivait, avec une fascination quasi enfantine. Le sport est une passion depuis toujours. « J'ai fait de la gym et du sauvetage aquatique. J'ai eu onze titres. J'aime l'adrénaline que procure la performance ». Une adrénaline qu'il retrouve aussi dans la recherche, son second amour. Il allie les deux lorsqu'il rejoint Décathlon, au terme de son doctorat.

L'aventure Décathlon

A ce moment-là, en 2003, il connaît déjà bien l'entreprise pour y avoir travaillé comme vendeur pendant ses études. Il aime sa philosophie : « rendre le sport accessible au plus grand nombre ». Cette fois, il est embauché comme ingénieur recherche et développement. Sa mission consiste à tester les innovations.

Rapidement, il devient responsable d'un laboratoire. Car à cette époque, la donne change quelque peu dans les grands groupes où l'heure est à l'internalisation de la recherche.

« Pendant longtemps, on a demandé aux chercheurs de faire pour nous de la prestation de services ». Mais les chercheurs ont des réticences. Ils ne sont pas là pour cela et ont besoin d'être accompagnés plus en amont. Par ailleurs, les industriels multiplient les collaborations sur tous les continents, ce qui les oblige à courir le monde. « A Décathlon, on avait un peu de dividendes alors on s'est dit que l'on pourrait internaliser cette problématique ».

Un premier laboratoire de biomécanique est créé. Puis d'autres, dans des domaines variés. « On a travaillé sur l'amorti des chaussures, sur la préhension des raquettes, sur le design son des sonnettes de vélos, des ballons de basket et même des vestes coupe-vent !»

Au bout de 9 années chez Décathlon, il est directeur recherche et développement. Six laboratoires ont été créés, avec cinquante chercheurs embauchés. « Nous étions tous passionnés d'application mais avions une folle envie de comprendre l'origine de tout et de faire de la recherche fondamentale ». C'est pour cette raison que malgré l'internalisation, des partenariats sont tissés avec des partenaires universitaires, à Aix-Marseille notamment. « Il y avait déjà une vraie qualité scientifique ici ».

Après s'être passionné pour l'innovation, Laurent Baly a envie de progresser et de voir autre chose. Il s'envole quelques années pour l'Asie où il pilote la production du groupe. Il revient en France en 2014. Un an plus tard, une porte s'ouvre à la Satt Sud-Est.

Culture du résultat

« Après onze ans au service de l'industrie, à utiliser toutes les vertus de la recherche publique pour fabriquer des produits innovants, j'avais envie de passer de l'autre côté de la barrière ». En devenant Président de la structure, il a l'occasion de rendre à la recherche ce qu'elle lui a donné, de la protéger contre des industriels qui ont parfois tendance à « l'essorer sans renouveler le matériel, en verrouillant tout du point de vue de la propriété intellectuelle. Chez Décathlon, j'ai vu des concurrents payer des chercheurs pour qu'ils ne travaillent pas avec d'autres ». Il veut aider les chercheurs à tracter des entreprises qui pourront valoriser leurs découvertes, dans une relation la plus équitable possible.

Pour réaliser cette ambition, il s'attelle d'abord à apporter à la Satt Sud Est une culture d'entreprise. « J'ai travaillé avec les collaborateurs pour qu'ils aient la fierté du résultat et puissent se projeter sereinement dans l'avenir ». Il tente de rééquilibrer les comptes en limitant la croissance des effectifs tout en tentant d'accroître les revenus de licence. Les dépenses diminuent de 5 % par an quand le chiffre d'affaire augmente de 20 %. Celui-ci devrait s'élever à 1,5 million d'euros en 2020.

Cinq années d'un écosystème en mutation

Pendant son mandat, il voit l'environnement local changer. L'écosystème se structure. Des pépinières et autres incubateurs voient le jour. Des fonds de toutes sortes sont créés. Et les collectivités locales entrent dans la danse. La Région, les Départements, les Villes, les Universités. « Les élus se sont vraiment saisis du sujet de l'innovation. Et s'ils y sont aussi sensibles, c'est parce qu'ils sont conscients de la qualité de la recherche ici. Aix-Marseille Université est tout de même la plus grande université francophone au monde. Désormais, on peut dire que l'on chasse en meute ».

Tant et si bien que les partenariats entre entreprises et recherche publique se démocratisent. S'ils étaient autrefois l'apanage des grands groupes, ils concernent de plus en plus des PME et des startups. Des acteurs qu'il faut accompagner différemment. « Pour les PME, je crois au rapprochement avec les réseaux d'entrepreneurs. Quant aux startups, il faut que l'on adapte notre modèle à leurs spécificités, celles-ci ayant des modèles très divers ». Il croit aussi beaucoup aux innovations portées par des étudiants et loue les initiatives telles que Pépite ou le cursus Jeunes Doctorants financé par la Région.

Pour soutenir ce foisonnement de projets, il souhaite que la Satt s'inscrive davantage dans une logique européenne. « Aujourd'hui, c'est à cette échelle que l'on fait de la recherche de qualité. Notre modèle n'y est pas encore assez adapté. On y travaille. C'est important pour peser davantage ».

La tête dans les étoiles

Aujourd'hui, il estime que le potentiel d'accompagnement et de financement est là. Local, national, européen, public, privé. « Désormais, quand un programme de recherche appliquée est rentable, il y a tout un panel d'acteurs privés pour le financer ». Alors pour lui, ce sont d'autres projets qui méritent la plus grande attention de la part des pouvoirs publics. « Je pense que les financements publics devraient servir à d'autres projets qui apportent quelque chose de plus que des royalties : de l'inclusion sociale, de la solidarité ... tout ce qui fait le ciment d'une société. Il faut soutenir l'Économie sociale et solidaire et la transition énergétique ».

Cela lui tient à cœur. Parce qu'à Décathlon, il s'était fait une promesse. « Je me disais que plus tard, je devrais rendre le plus de choses possibles accessibles à tous, et plus seulement le sport. Ici, on travaille sur des vaccins, des traitements contre le cancer ...  Cela me fait me sentir fier ».

Bien sûr, financer des initiatives à portée sociale et environnementale n'implique pas d'abandonner les projets les plus rentables, condition sine qua non pour garantir l'équilibre de la structure et son potentiel d'investissement. « C'est là tout l'intérêt de la culture du résultat », assure-t-il. « C'est en gardant les pieds sur terre qu'on peut avoir la tête dans les étoiles ».

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