ZFE  : les entreprises du Sud dans le brouillard

Entrées en vigueur en janvier et septembre 2022 à Nice et Marseille, pas encore à l'œuvre à Toulon, les zones à faibles émissions visent à exclure de certains espaces - centres-villes pour l'heure - les véhicules les plus polluants. Problème : les règles sont très variables d'un territoire à l'autre, de même que les calendriers de mise en œuvre. De quoi susciter les craintes des acteurs économiques concernés. Des acteurs économiques qui regrettent par ailleurs que ce dispositif ne s'inscrive pas dans une politique plus globale d'amélioration de la qualité de vie en ville.
(Crédits : DR)

« Beaucoup de questions et peu de réponses ». Voilà comment Laurent Amar, élu à la Chambre de commerce et d'industrie d'Aix-Marseille Provence, résume le ressenti des entreprises qu'il représente face au déploiement des Zones à faibles émissions sur le territoire.

A l'origine de ces zones, l'obligation européenne d'assurer une bonne qualité de l'air sur les territoires nationaux. Pour s'y conformer, la France adopte en 2019 une loi d'orientation des mobilités suivie, deux ans plus tard, d'une loi Climat et résilience. Ces deux textes instaurent la mise en place des ZFE, visant à exclure de certains périmètres les véhicules les plus polluants. De sorte qu'en 2025, de telles zones devront être instaurées dans 43 agglomérations françaises. Parmi elles, trois métropoles de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur : Aix-Marseille, Nice et Toulon.

Des règles très fluctuantes selon les territoires

Sauf que la mise en œuvre est très différentes selon les zones. Tant en matière de règles, de contrôle, de sanction, que de calendrier. A Nice, la ZFE - qui concerne l'hyper-centre ainsi que trois axes (Promenade des Anglais, Quai des États-Unis et Quai Rauba Capeu ) - est lancée en janvier 2022, ciblant d'abord les bus, camions de marchandises et autocar en vignette crit'air 5. L'interdiction s'élargit en janvier 2023 aux même véhicules en crit'air 4 ainsi qu'aux véhicules légers crit'air 5. Avec, à chaque fois, des exceptions et possibilités de dérogations.

Du côté de Marseille, la ZFE est mise en œuvre en septembre 2022 et elle vise immédiatement tous les types de véhicules affichant une vignette crit'air 5, sur un périmètre assez large entourant le centre-ville. En janvier 2023, elle prévoit la mise en place de sanctions et élargit le champs des véhicules interdits à la vignette crit'air 4.

Quant à Toulon, le dispositif n'a pas encore été mis en place. Il devrait l'être en avril prochain.

Du mal à se projeter

Et après ? « On ne sait pas trop comment cela va se passer », regrette Laurent Amar. « Pour le moment à Marseille, on ne prévoit pas d'interdire les véhicules en crit'air 2. Mais jusqu'à quand ? J'ai du mal à croire qu'on ne finira pas par les interdire. Et est-ce que la ZFE va s'étendre à Aix-en-Provence ? On ne sait pas ».

Un flou pas facile à appréhender pour les acteurs du transport routier qui sillonnent un territoire où chaque ZFE a son fonctionnement propre. « Il y a un vrai problème d'harmonisation des normes . C'est une usine à gaz », pointe Jean-Yves Astouin, président de la Fédération nationale des transports routiers en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Une difficulté qui dépasse le seul cadre régional puisqu'elle concerne l'ensemble du pays et même l'Europe. « Pour les contrôles par exemple, certains pays comme la France ont fait le choix de caméras de lecture de plaques d'immatriculation. Dans d'autres comme la Belgique, c'est un contrôle manuel... ». Et les amendes sont très variables d'un territoire à l'autre. « Pour un transporteur qui fait des livraisons européennes, cela devient compliqué à gérer. Va-t-il falloir qu'il ait un véhicule par destination ? »

Mais si les transporteurs routiers sont plutôt bien lotis en matière de flotte - « nos véhicules sont régulièrement renouvelés et nous sommes habitués depuis longtemps à avoir des vignettes sur nos pare-brise », rappelle Jean-Yves Astouin -, l'adaptation s'annonce plus difficile pour les artisans utilisant de petits camions, généralement plus anciens.

Besoin d'accompagnement

« C'est particulièrement le cas pour les artisans du BTP et pour ceux qui font du dépannage dans les zones concernées », explique Patricia Blanchet-Bhang, première vice-présidente de la Chambre des métiers et de l'artisanat régionale. « Ces entreprises ont déjà été impactées par le covid-19, par l'inflation ... Elles ont besoin de temps pour s'adapter et acquérir de nouveaux véhicules. Car pour le moment, leurs marges sont insuffisantes et le prix des véhicules est trop élevé ».

Tout comme Laurent Amar, elle espère que sera proposé un accompagnement financier comme ce qui est proposé aux particuliers pour l'achat de véhicules électriques. Elle milite aussi pour l'obtention de dérogations pour les dépannages, au même titre que celles accordées aux acteurs de l'événementiel et aux déménageurs.

Un accompagnement d'autant plus nécessaire, insistent les acteurs interrogés, que les technologies permettant de rendre les véhicules - et surtout les plus volumineux - moins polluants sont souvent peu accessibles, ou bien pas encore matures.

Un manque d'alternatives technologiques

« Pour un poids lourd, l'électrique coûte 400 fois plus cher qu'un véhicule classique et son autonomie ne dépasse pas 200 km », observe Jean-Yves Astouin. « L'hydrogène n'est pas prêt. Ni en série, ni même en pré-série ». Il voit en revanche une solution intéressante du côté des biocarburants. « C'est une solution rapide à mettre en place, et à moindre coût. Pour du B100, issu d'huile de colza, il faut compter entre 1500 et 3000 euros pour transformer le véhicule. Une telle somme n'a pas d'impact significatif sur le coût de transport ». Mais ces biocarburants ont le défaut de générer une concurrence à l'usage alimentaire des sols, dans un contexte de pression foncière.

A l'inverse, les biocarburants de synthèse peuvent être produits à partir de déchets et non de produits alimentaires. Ils ont par ailleurs l'avantage de ne pas nécessiter de transformation des véhicules. Reste que leur utilisation n'est pour l'heure pas possible en France faute de pompes qui leur seraient dédiées. Elles ne permettent en outre pas, pour l'heure, de bénéficier d'une vignette crit'air 1. « Nous avons besoin de volonté politique sur ce sujet. Les lobbys pétroliers et les fabricants de batteries ne voient pas cela d'un bon œil, mais il faut passer au dessus ».

Enfin, si les acteurs économiques demeurent dans le flou face à l'application des ZFE, c'est aussi parce qu'ils ont du mal à rattacher ce dispositif à une politique globale d'amélioration de la qualité de l'air. « Quelle ville, quelle métropole, quelle qualité de l'air on veut ? », interroge Laurent Amar de la CCIAMP. « Quel partage de l'espace public ? C'est sur ces sujets que l'on attend les politiques. Je crains que nous ayons manqué l'occasion de repenser la mobilité sur le territoire. Les ZFE ne portent pas l'ambition qu'elles pourraient provoquer ».

Penser une logistique plus sobre

Pour Jean-Yves Astouin, la réflexion doit même aller plus loin. Et être sociétale. « Pourquoi a-t-on tous les jours besoin de véhicules pour livrer les centres-villes en produits d'alimentation, d'habillement, d'ameublement ? C'est parce qu'après la deuxième guerre mondiale, on a martyrisé les commerçants et artisans en taxant le stockage ». En découle une gestion en flux tendu qui les rend « plus vulnérables aux difficultés d'approvisionnement », mais aussi un trafic routier plus dense, amplifié par les nouveaux modes de consommation.

« Si une cliente veut une robe en 38 dans une boutique mais que celle-ci n'est pas disponible, elle sera commandée en 48 voire 24 heures. Et si une autre cliente arrive deux jours après avec la même demande, on la commandera à nouveau. Derrière cela, c'est tout un circuit qui se met en branle, de la centrale d'achat en banlieue à l'utilitaire qui livre en centre-ville, en passant par le logisticien qui fait le chemin entre les deux avec son semi-remorque. Il faudrait peut-être repenser les modes de stockage en ville et, pour les consommateurs, accepter de devoir attendre un peu plus longtemps avant d'être livré ». Ce, alors que la vente en ligne propose des livraisons toujours plus rapides, de plus en plus souvent gratuites.

« La livraison gratuite devrait être interdite », estime le président de la FNTR régionale pour qui ce type de pratique freine la capacité d'investissement des transporteurs, y compris au profit de véhicules moins polluants.

Si le « moins mais mieux » est en vogue en matière de consommation, il aurait tout autant de raisons de l'être dans le domaine de la logistique. Essentiel pour faire face au défi de la pollution de l'air. Tout comme à celui du réchauffement climatique.

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