Renaud Muselier : "Vendre la Provence, c'est plus facile que de vendre Paca"

ENTRETIEN EXCLUSIF. Aux manettes de Région Sud, l'ancien ministre ne fait pas dans la demi-mesure. Transports, startups, tourisme, marketing territorial... La stratégie, c'est l'efficience et l'efficacité. Tous secteurs confondus.
Renaud Muselier a obtenu que la Région consacre 7 millions d'euros pour l'aide et l'accompagnement de 6.500 entreprises locales.
Renaud Muselier a obtenu que la Région consacre 7 millions d'euros pour l'aide et l'accompagnement de 6.500 entreprises locales. (Crédits : Jean-Pierre Garufi)

LA TRIBUNE - Vous êtes président de Provence-Alpes-Côte d'Azur depuis mai 2017, succédant à Christian Estrosi. Quel bilan tirez-vous à mi-mandat ?

RENAUD MUSELIER - La Région vient d'être notée AA - tendance positive. D'une situation catastrophique, nous sommes passés à une région pilotée, gérée. Nous avons restructuré l'administration, fixé les lignes politiques, en nous recentrant sur nos compétences. Nous ne sommes plus le tiroir-caisse de l'État, des autres collectivités et des associations. Nous sommes un petit pays avec 5 millions d'habitants, six départements, 25% de parcs naturels, 50% d'espaces boisés, 300 jours de soleil par an. Notre PIB est plus important que celui du Portugal, dans un pays plus grand que la Belgique. Nous nous sommes fixé des objectifs. Le premier a été l'amélioration du trafic ferroviaire. Nous avions une facture [avec la SNCF, ndlr] de 370 millions d'euros pour le service le plus dégradé de France avec 80 % de trains à l'heure, 10% de trains annulés et 110 jours de grève par an. Nous avons donc tapé du poing sur la table. La loi Borne a été mise en place. Nous avons lancé un appel à concurrence pour février 2020 sur les deux plus grosses lignes ferroviaires régionales. Six entreprises à dimension européenne ont fait part de leur intérêt. Parallèlement, désormais, 86% des trains sont à l'heure et 2% sont annulés. Le bras de fer avec la SNCF a porté ses fruits.

Le second objectif concerne l'éducation. 100% des lycées sont aujourd'hui sécurisés, deux lycées expérimenteront la reconnaissance faciale dès la rentrée, quatre lycées neufs verront le jour ainsi qu'un lycée international. La formation professionnelle est un autre axe pour lequel nous avions, avec Christian Estrosi, l'objectif d'atteindre un taux de retour à l'emploi de 70%, il était de 43% à notre arrivée à la Région. Il est aujourd'hui de 68%.

C'est la Région désormais qui dispose de la compétence économique...

En emploi et en économie, la logique appliquée est simple et pragmatique. Nous nous mettons à la place du chef d'entreprise, en nous demandant comment l'aider à créer, se développer, aller à l'international. Nous avons fédéré toutes les chambres consulaires, syndicats et l'ensemble des acteurs économiques pour chasser en meute. Tout cela fonctionne.

Concernant la création, la reprise, la transmission et le développement, ce sont 7 millions d'euros que la Région engage pour accompagner près de 6.500 entreprises. 300 millions d'euros sont mobilisés avec le Fier, le Fonds d'investissement pour les entreprises de la Région, pour aider 15.000 entreprises à se financer. Nous avons décroché 3,3 milliards d'euros de financement avec l'Europe, contre les 2 milliards escomptés. La médiation qui s'ouvre désormais entre les entreprises et l'administration est un outil supplémentaire car parmi les 450.000 entreprises du territoire, 90% sont des TPE-PME. Il faut les aider. L'idée est de faire chuter le nombre de faillites. Sur ce sujet, nous avons enregistré une baisse de 12,6% en un an là où la moyenne française est de - 1,2%. Il faut augmenter le nombre de créations.

Les huit Opérations d'intérêt régional que nous avons mises en place, avec comme pilotes un élu et un chef d'entreprise, sont des accélérateurs du développement économique des territoires. Elles visent à structurer nos filières d'excellence. Notre bilan, c'est 719 millions d'euros de perspectives d'investissement. 40 projets ont été présentés aux différents comités des financeurs avec déjà de vraies réussites comme l'incubateur Obratori de l'Occitane ou le projet d'énergie renouvelable à Serre-Chevalier que la Région a soutenu.

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Les chiffres clés de la région Sud

[Infographie La Tribune]

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Sur quels sujets avez-vous rencontré le plus de difficultés ?

La plus grosse difficulté a sans doute été celle de mettre en place la théorie du « non ». De sortir de la logique de tiroir-caisse. La totalité de la région avait la carte de crédit et le code. On ne nous disait jamais merci, et nous n'étions invités nulle part. Imposer le plan climat a été un autre facteur de difficulté, mais il nous fait entrer dans un cercle vertueux. Une autre difficulté a été de fabriquer un collectif, chacun estimant qu'il est plus fort que le voisin alors que chacun a sa place et qu'il y a un projet pour tout le monde. Imposer la stratégie de marque [et l'appellation Sud, à la place de Paca, ndlr] a été une autre difficulté. Paca est un acronyme minable. Je ne suis pas Pacaien, je suis sudiste. Vendre la Provence c'est plus facile que de vendre Paca. L'attractivité de la marque est essentielle.

Envisagez-vous d'aller jusqu'au Conseil d'État pour imposer définitivement l'appellation Sud ?

Je n'irai pas au Conseil d'État, le match n'est pas gagné. Je préfère combattre l'acronyme. Le seul enjeu important est que cela serve l'attractivité. Nous accueillons 34 millions de visiteurs par an, nous sommes la première région en termes d'attractivité des cadres et 14% du chiffre d'affaires des entreprises de la région se réalise à l'international.

Député européen, vous êtes comme on le sait un fervent défenseur de l'Europe. Quel regard portez-vous sur l'indifférence, voire la défiance qu'elle suscite de la part des Français ?

L'Europe intéresse davantage les gens du Sud. On a tendance à montrer l'Europe de la façon la plus désagréable possible. Nous, nous savons nous en servir. Nous avons déclenché 3,3 milliards d'euros de financement alors qu'à notre arrivée, la Région ne "consommait" que 300 à 400 M€ sur le milliard auquel elle avait droit. Il y a aujourd'hui un contexte politique et social qui fait que l'Europe est mal considérée.

Xavier Bertrand, le président de la Région Hauts-de-France, venus plusieurs fois à Marseille, dit des présidents de Région qu'ils sont des entrepreneurs. Vous partagez cette vision ?

Oui et non. Nous sommes des entrepreneurs, mais pas que. Nous avons l'obligation d'avoir une vision à 20 ans. Nous sommes des aménageurs, des organisateurs, des gestionnaires, des démultiplicateurs. Nous sommes présidents de petits pays. Nous devons transformer nos faiblesses en force.

Provence Alpes Côte d'Azur est riche de 6 départements très différents. Comment lutter contre la fracture territoriale ?

La vie est faite de derby. Les matchs les plus violents sont ceux qui se font entre voisins. Provence Alpes Côte d'Azur comprend 3 métropoles fortes, Aix-Marseille, Nice Côte d'Azur et Toulon Provence Méditerranée. Le PIB régional est néanmoins essentiellement piloté par la métropole marseillaise. Il faut créer une fierté de vie commune. Nous ne sommes pas PACAiens. Comme nous sommes tous forts de nos différences, si nous additionnons tout cela, nous pesons très lourd. J'essaie de mettre en place dans chacune de nos politiques, une fierté et une reconnaissance. A partir du moment où l'on donne du sens à l'action politique, difficile de ne pas être d'accord. Même le Rassemblement national, qui est mon adversaire au sein de l'assemblée régionale, ne dit pas non quand nous décrochons du financement européen.

La Région constitue-t-elle la taille idéale pour servir de laboratoire ?

Lorsque l'on a la volonté, la compétence de l'institution, on agit pour le bien de la population. Nous savons où nous voulons aller, nous avons de l'expérience. Nous avons des élus expérimentés pour traiter des dossiers. Qui fait tout ne fait rien.

En juin, se tiendra ici le Sommet des deux rives, voulu par Emmanuel Macron. C'est une reconnaissance de l'importance de la Méditerranée ?

La France, sous la présidence de François Hollande, a perdu tout message méditerranéen. Nous avons organisé deux éditions de Méditerranée du futur et accueilli Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères. Marseille est remise dans le dialogue méditerranéen. Le Sommet des deux rives [réunion de cinq États de la rive sud - Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye - et cinq de la rive nord - Portugal, Espagne, France, Italie et Malte] préfigure la troisième édition de Méditerranée du Futur qui se tiendra en fin d'année.

Airbus, Thales Alenia Space, CMA CGM, Amadeus... la région accueille de grandes entreprises. Comment faire pour en attirer davantage ?

Il faut faciliter la recherche, attirer les fonds d'investissement. Guider les entreprises dans leur développement. Les startups doivent être dans un écosystème qui leur permet d'évoluer. Territoires d'industrie dont la Région assure le pilotage - nous en avons sept en Provence-Alpes-Côte d'Azur - est une reconnaissance de notre industrie. Nous devons avoir davantage confiance en nous. Nous disposons d'un tissu économique constitué en grande majorité de TPE-PME, nous devons donc faire en sorte de conserver ces locomotives. Il faut les aider à se développer.

Le prochain scrutin municipal à Marseille ne vous laisse pas indifférent. Comment comptez-vous vous positionner ?

J'ai été élu de Marseille durant vingt ans. J'ai été chargé de Marseille Capitale européenne de la culture. J'ai été président fondateur d'Euroméditerranée. Je pèse dans le jeu, c'est le retour à la vie. Globalement, j'ai eu beaucoup de mal à travailler avec les Conseils départementaux des Alpes. Avec Christian Estrosi, nous avons traité le problème du haut débit, nous attaquons le problème de la désertification médicale et nous avons retrouvé cette confiance. Ils n'ont jamais été en absence d'aide et de considération. Avec Nice et Toulon, les rapports sont faciles. Les seuls ennuis que j'ai, c'est ici à Marseille, qui n'a été capable que de recevoir 300 millions d'euros de financements européens. Je n'ai aucun problème avec Martine Vassal. Je n'ai eu que des ennuis avec la Métropole d'Aix-Marseille. Pour la Mairie de Marseille je ne veux ni extrême, ni système. Elle ne peut pas tomber dans les mains du Rassemblement national. J'ai chassé Guérini et je ne veux plus du système Gaudin. C'est compliqué, mais je sais ce que je ne veux pas. Pour Marseille, il faut quelqu'un qui fasse la rupture.

Envisagez-vous un second mandat à la Région ?

Nous gérons les transports, l'économie, les lycées, la formation, le rayonnement international... Quand on gère de telles thématiques, il faut agir utile. Je ne veux pas casser tout cela. Au contraire.

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Commentaire 1
à écrit le 17/05/2019 à 8:37
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Ça fait plus d'un an que j'entends parler de ça mais prenez une décision et avancez enfin bon sang ! ALors là pour des "problèmes" de ce genre ils sont là nos politiciens hein... -_-

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