Green Spot Technologies  : la fermentation pour réduire le gaspillage alimentaire

Installée en Haute-Garonne, cette entreprise se sert de la fermentation pour transformer des coproduits alimentaires destinés à la poubelle en de nouveaux ingrédients, à destination de l'agro-industrie. Ayant identifié pas moins de 200 coproduits ainsi valorisables, elle se concentre sur l'heure pour trois d'entre eux, dont ses fournisseurs se trouvent pour l'essentiel dans le Vaucluse. C'est pour s'en rapprocher qu'elle a choisi de planter sa première usine à Carpentras.
(Crédits : DR)

Légumes trop moches pour les étals des magasins. Yaourts jetés pour une date de péremption légèrement dépassée. Stocks invendus. Assiettes non terminées... Chaque année en France, ce sont 10 millions de tonnes de nourriture gaspillée qui s'amoncellent. Des matières premières, de l'eau, des efforts, des intrants, des émissions de gaz à effet de serre... pour rien.

Pour réduire la pile, on peut bien sûr agir à l'échelle des ménages - 33 % du gaspillage est dû aux consommateurs d'après l'Ademe. Faire preuve de davantage de frugalité. De responsabilité. Mais il est une part de notre tas de déchets alimentaires qui nécessite, pour être réduite, davantage de créativité; il s'agit des inévitables déchets générés par l'agriculture et l'industrie agroalimentaire.

Mystérieuse fermentation

Parmi ces déchets, bon nombre peuvent être réutilisés. On parle alors de coproduits. Un marché qui se développe de plus en plus, et qui a la vertu d'éviter d'extraire toujours plus de ressources. La plupart des entreprises de ce secteur se spécialisent, devenant expertes d'un ou d'une famille de coproduits. Mais Green Spsot Technologies adopte une posture plus transversale puisqu'elle a d'ores et déjà identifié environ 200 coproduits qu'elle serait capable de valoriser grâce à sa formule magique : la fermentation.

Pratiquée depuis des millénaires dans la fabrication de boissons et la conservation d'aliments, la fermentation est réellement comprise grâce aux travaux de Louis Pasteur au cours du XIXè siècle. Si des matières se transforment, cela est le fait, démontre-t-il, de micro-organismes qui s'y développent, sécrétant des enzymes.

Deux siècles plus tard, ces procédés n'ont pas encore révélé tous leurs secrets. Alors la recherche continue de s'y pencher. Et en Nouvelle-Zélande, la brésilienne Ninna Granucci consacre sa thèse sur ce sujet.

Des coproduits dans nos assiettes

Au fil de ses recherches, elle découvre le potentiel de la fermentation dans la valorisation des coproduits.

Transformés par les bons micro-organismes, ceux-ci peuvent devenir consommables et constituer des ingrédients susceptibles d'intéresser l'industrie agroalimentaire. Dans la foulée de sa thèse, elle crée une structure qui saura mettre en œuvre et industrialiser de tels procédés. Structure qui intéresse des investisseurs, français notamment.

« Ninna Granucci avait bien conscience que le rayonnement d'un tel projet aurait été limité en Nouvelle-Zélande », explique Benoît de Sarrau, directeur technologique de l'entreprise. « Elle a choisi la France certes un peu poussée par ses investisseurs, mais aussi parce que le pays a une culture alimentaire et de la fermentation qui lui semblaient porteuses. La France est aussi un point central dans les flux alimentaires, avec beaucoup de fruits et légumes, de grandes cultures ... ».

L'implantation française commence par Toulouse. La jeune entrepreneuse y trouve « un pôle de compétences très dynamique en biotechnologies ». Green Spot est incubée au sein de Toulouse White Biotechnology, une structure « reconnue au niveau international sur ces thématiques ».

S'ensuivent trois intensives années de recherche et développement. Il s'agit de trouver quels coproduits valoriser, à partir de quelles souches microbiennes et selon quelle méthode de fermentation. Ce, afin d'obtenir « des ingrédients attractifs pour le consommateur final », ce qui implique aussi de la recherche et développement autour de l'utilisation optimale de ces ingrédients.

Pommes, tomates et bière

L'entreprise identifie trois premiers coproduits à fort potentiel : résidus de pommes, de tomates, et drêche de brasserie.

« Pour ce qui est des coproduits de la tomate, ils ont un intérêt sur le marché des alternatives à la viande ». Des notes pourpres et une saveur umami - ce cinquième goût identifié par la gastrotomie japonaise et qui désigne un goût particulièrement savoureux, donnant l'eau à la bouche- qui rappellent la viande rouge. De même, ces résidus de tomates, une fois fermentés, ont des propriétés épaississantes. « On pourrait donc n'avoir qu'un seul ingrédient naturel pour remplir toutes ces fonctions, au lieu de trois ou quatre ». Or, les fabricants agroindustriels sont de plus en plus soucieux de « simplifier leurs listes d'ingrédients afin de répondre aux attentes des consommateurs ».

Des attentes appelées à évoluer encore dans les prochaines années. « Nous avons identifié plusieurs thématiques d'avenir comme par exemple la sous-consommation de fibres dans nos régimes alimentaires ». Beaucoup de produits transformés en sont ainsi dépourvus, les fibres se retrouvant fréquemment dans les coproduits que Green Spot se propose justement de transformer. La fermentation pourrait permettre de les réintégrer dans les recettes tout en les rendant plus digestes.

L'entreprise travaille également étroitement avec le monde de la recherche pour évaluer les bienfaits que la fermentation confère à ses ingrédients, notamment l'impact de ceux-ci sur le microbiote dont on comprend de plus en plus les mécanismes et l'importance. Prouver des impacts positifs sur ce microbiote permettrait ainsi à Green Spot Technologies de revendiquer de nouvelles vertus concernant ses produits, et donc de mieux les valoriser.

Soucieuse aux attentes du marché concernant l'alimentation, l'entreprise veille aussi à réduire l'impact de ces procédés de fabrication sur l'environnement. Une autre demande forte du marché. « Classiquement, la fermentation s'opère dans des milieux liquides, et il faut beaucoup d'énergie pour faire évaporer l'eau qui est utilisée. Pour éviter cela, nous avons fait le choix de travailler sur une fermentation en milieu solide. Ce qui nous permet de consommer 10 à 20 fois moins d'eau. Ce n'est pas la technologie la plus simple à maîtriser. Mais c'est un pilier très fort de notre innovation.»

Pour s'industrialiser, le choix du Vaucluse

Une fois ses trois premiers coproduits identifiés et ses process industriels définis, Green Spot Technologies est prête à franchir le cap de l'industrialisation et elle fait le choix d'implanter sa première usine au plus près de ceux qui lui fournissent ses coproduits, dans le Vaucluse.

C'est ainsi qu'elle débarque à Carpentras, chaleureusement accueillie par Vaucluse Provence Attractivité. « Notre usine est située sur le marché-gare, dans un bâtiment historique de 1000 mètres carrés fonctionnels, d'abord dans un mode démonstrateur pour répondre au cahier des charges d'industriels agroalimentaires ».

Pour l'heure, huit salariés y travaillent parmi les dix-huit que compte l'entreprise. « Notre ambition est de progressivement monter en capacité ». Avec l'intention de changer d'échelle d'ici dix-huit mois, au moyen, notamment, d'une levée de fonds de série A au cours de l'année 2023.

L'entreprise entend également s'appuyer sur l'écosystème vauclusien qui compte beaucoup d'agro-industries, donc de clients potentiels, ainsi que d'autres acteurs de la valorisation de coproduits avec qui elle discute régulièrement.

Circuits courts, ambitions internationales

Une fois bien établie en Provence, l'entreprise envisage de dupliquer ailleurs son modèle. Avec l'idée d'accoler chaque usine à un réseau de fournisseurs. « Notre stratégie n'est pas de réfléchir à une gigafactory mais plutôt à plusieurs unités de production ».

En France, diverses cultures présentent un potentiel selon l'entreprise. En volume, la betterave sucrière génère ainsi une production colossale de coproduits. De l'extraction du sucre résulte en effet une pulpe qui est souvent jetée, parfois utilisée pour l'alimentation animale ou la méthanisation. Peut-être la fermentation pourra-t-elle la réinjecter dans nos assiettes. « L'enjeu est de neutraliser son goût terreux très fort. Nous avons un projet sur ce sujet ».

Et la France n'est pas le seul pays où la fermentation appliquée aux coproduits trouve un intérêt. « S'il y a un intérêt à valoriser un coproduit dons les principaux fournisseurs se trouvent à l'étranger, comme les oranges au Brésil, nous pourrions y aller». Des circuits courts, pour une ambition internationale.

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