Eric Malbos, du virtuel pour guérir le réel

Plonger les patients dans un univers numérique pour leur permettre de se confronter à leurs angoisses et les aider à les surmonter. C’est ce que proposent les thérapies par réalité virtuelle, domaine de la psychiatrie dans lequel la France fait figure de championne. Une position acquise grâce à quelques figures, parmi lesquelles le docteur Eric Malbos, médecin psychiatre et chercheur au sein de l'AP-HM.
(Crédits : DR)

Ira-t-elle ? N'ira-t-elle pas ? Elle hésite.

À gauche le guichet d'accueil. À droite, un grand hall où des passagers flânent avant de rejoindre leur vol. Coup d'œil furtif à son billet. Allez, cette fois, elle se lance.

Imposant casque de réalité virtuelle sur la tête, Marjorie*, longue robe estivale rayée bleue et blanche, avance à petits pas dans une petite salle de l'hôpital psychiatrique La Conception à Marseille, veillant à ne pas trébucher sur les longs fils qui relient son casque à un ordinateur. Tout autour d'elle flotte la voix d'un homme : le docteur Eric Malbos, figure mondiale des thérapies par réalité virtuelle.

Chemise blanche, cravate et pantalon noir à bretelle, le médecin au style dandy lui parle comme on tend une main. Avec comme objectif de l'aider à accepter et mieux vivre une de ses craintes: celle de prendre l'avion. « Prenez votre temps. Ne cherchez pas à aller trop vite. C'est important que ce soit... » « Progressif », lui répond brièvement sa patiente. « Oui, c'est cela. Pro-gre-ssif », répète-il avant de lui demander à plusieurs reprises d'évaluer son niveau d'anxiété sur une échelle de un à cent.

« Quarante », estime-t-elle alors qu'elle atteint le pont transbordeur. Quarante, cela commence à être élevé. Alors il faut s'activer. Appliquer les méthodes apprises lors des cinq séances de préparation. « Laquelle voulez-vous faire ? » « J'aime bien celle du détective ». « Très bien. Donnez-moi vos pensées de catastrophe ». « Pour le moment je n'en ai pas ... Ah si, j'ai peur d'avoir une crise dans l'avion et de ne pas pouvoir la gérer. Une attaque de panique ». « Donnez moi les preuves contre ». « Un vol c'est temporaire. Après, je pourrai sortir » « Oui, et si vous voulez, vous pouvez pour lever et faire un tour entre les rangées ». « Je ne serai pas seule ». « Vous n'êtes pas démunie face à l'anxiété ».

De vieilles thérapies dans un écrin technologique

Ce type de méthodes n'a rien de neuf. « Ce sont les thérapies comportementales et cognitives que l'on applique depuis les années 1970 », explique Eric Malbos. L'idée : aider le patient à accepter l'angoisse et à la laisser filer, sans vouloir la contrôler. Sauf que pendant longtemps, l'application de ces méthodes nécessitait de se confronter à sa peur dans le monde réel. «C'était quasiment impossible à réaliser ». Pas facile en effet pour un thérapeute d'accompagner son patient en voiture, encore moins en avion. Et dans la réalité, la confrontation avec sa peur peut être trop violente. Pas assez progressive. Auquel cas les thérapies peuvent s'avérer contre-productives.

En appliquant ces techniques dans un univers virtuel, « on peut contrôler tous les paramètres ». Une personne a peur des araignées ? On l'exposera à une araignée lointaine que l'on fera avancer pas à pas. Une autre souhaite être davantage à l'aise dans les lieux publics ? On lui construira un univers qui se remplira peu à peu de nouvelles têtes, et dons les interactions s'enrichiront progressivement.

Le docteur marseillais voit aussi une autre vertu à ces méthodes : la motivation qu'elles génèrent chez des patients qui auraient peut-être hésité à franchir la porte d'un thérapeute pour faire face à leurs peurs, à leurs addictions et autres troubles auxquels s'adressent ces thérapies. « Pour des jeunes générations, se soigner avec un casque de réalité virtuel, c'est grave cool », s'amuse le médecin.

Jeunes, moins jeunes, ses patients viennent pour régler un nombre infini de maux que le docteur ne se lasse pas d'énumérer. « Pour 15 % des patients, c'est la peur de conduire. On a beaucoup de claustrophobie - la peur d'être coincé, dans le métro ou l'ascenseur. Peur des hauteurs ... ». Pour ces cas les plus courants, il s'appuie sur les environnements numériques créés par l'entreprise varoise C2Care. Et pour les cas les plus rares, il bricole ses propres univers sur-mesure. « Une fois, j'ai eu un patient qui avait peur des clowns. Alors j'ai créé des rues virtuelles avec plusieurs types de clowns. J'ai aussi crée un univers pour une dame qui avait peur des requins. J'ai également eu un patient claustrophobe qui état très angoissé à l'idée de passer deux mois en chambre d'isolement dans un institut de cancérologie. Alors il m'a donné les photos de la chambre et on l'a reproduite en 3D. Ça a marché ».

L'imagination comme seule limite

L'imagination pour seule limite, voilà qui pourrait être sa devise. Une imagination bercée très tôt par les films animés japonais qu'il dévore. Et qui l'inspirent jusqu'à ce jour comme en témoignent, de part des d'autres de son bureau, les imposantes affiches de films des studios Ghibli accrochées aux murs. Le vent se lève. Souvenirs de Marnie. « J'ai aussi une passion pour les jeux vidéos et pour la science fiction. Je me suis demandé comment mêler tout cela à la médecine. Puis j'ai découvert que des chercheurs travaillaient sur ces thérapies par réalité virtuelle aux États-Unis, en Italie, au Canada. Alors j'ai fait ma thèse sur ce sujet, dès 2003 ».

S'ensuivent des voyages en Chine, comme médecin d'ambassade, puis en Australie où il occupe un poste de post-doc. Sa technique se peaufine en même temps que les équipements dédiés à la réalité virtuelle s'améliore.

« Le terme de réalité virtuelle a beaucoup plus ancien qu'on l'imagine, il été créé par le metteur en scène Antonin Arthaud qui voulait plonger les spectateurs dans une pièce beaucoup plus interactive, beaucoup plus vivante ». Puis le terme évolue. Désignant une technologie permettant à une personne d'interagir au sein d'environnements virtuels créés par ordinateur. Ce, à l'aide de casque dont l'usage se popularise. « Les premiers casques pouvaient coûter jusqu'à 12.000 euros. Puis il y a eu un tournant en 2016 quand des géants comme Samsung, Sony, HP se sont lancés sur ce marché. Les casques sont devenus beaucoup plus accessibles. On en trouve maintenant pour seulement 400 ou 500 euros ». S'y ajoutent divers équipements permettant de rendre l'expérience la plus réaliste possible. « On a des stations de déplacement pour glisser, ramper. Des fauteuils vibrants. Des vélos. Et même des ventilateurs pour ceux qui ont peur du vide », énumère avec gourmandise le médecin chercheur. Un enthousiasme parfois à rebours de craintes que partagent avec lui ses patients.

80 % d'efficacité

Tout en pivotant avec son casque sur la tête, sa patiente du jour lui confie craindre l'addiction de ses enfants très consommateurs de jeux en réalité virtuelle. Et le médecin de relativiser : « Quand les premiers jeux vidéos sont arrivés, on disait que les jeunes n'allaient pas s'en sortir. Mais c'est grâce à ces jeux que je suis devant aujourd'hui ». Et de faire le parallèle avec les craintes qu'ont suscité des innovations aussi variées que l'imprimerie, le rock'n'roll ou encore les mangas. Une vision très optimiste de la technologie.

Il faut dire qu'en dix années d'exercice au sein de l'AP-HM, Eric Malbos a traité plus de 1000 patients. Et le taux de réussite des thérapies par réalité virtuelle est de l'ordre des 80 %. « C'est-à-dire que dans 8 cas sur 10, les patients sont moins anxieux, plus autonomes et indépendants ». Avec des thérapies comportementales et cognitives appliquées en milieu réel, ce taux oscille plutôt entre 50 et 60 %. Notamment, « parce qu'il y a davantage de patients qui abandonnent ».

Pour améliorer encore l'efficacité de ces thérapies, Eric Malbos travaille à améliorer encore l'impression de réel. Notamment dans le domaine de l'addictologie - car les phobies ne sont pas leur seule cible, on peut aussi prendre en charge des troubles du spectre autistique de même que certaines formes de schizophrénie.

« On essaie d'améliorer l'immersion des patients en stimulant plus de sens comme l'odorat ». Ce, au moyen de banques olfactives qui permettent de composer des ambiances olfactives à partir d'une base de 40 parfums primaires. « On peut reproduire l'odeur du tabac, de l'alcool, du cannabis ... Sur le tabac, nous venons de finir une étude portant sur cent patients. 68 % restent abstinents huit semaines après l'arrêt de la cigarette ».

Cybersécurité et immortalité

Et non content d'avoir contribué au rayonnement mondial de la France dans les domaine de ces thérapies par ses recherches et la formation de nombreux praticiens, Eric Malbos se passionne pour d'autres usages de la réalité virtuelle. Il a ainsi participé à la création d'une startup dans le domaine de la cybersécurité, Neurocyber. « On utilise la réalité virtuelle pour simuler une situation de cyber-attaque. Parfois, cela commence par un mail qui nous presse de confirmer un rendez-vous. Le téléphone sonne alors on clique, machinalement. Et en fait, on ouvre la porte à un malware. En recréant ces situations, on aide les utilisateurs à mieux gérer leurs réactions ».

Et il est un autre sujet qui occupe l'esprit et une partie de l'emploi du temps de ce féru de technologies futuristes : celui de la cryo-préservation qui doit permettre de conserver le corps de personnes défuntes à basse températures afin, peut-être un jour, de les ressusciter. L'imagination comme seule limite.

*le prénom a été modifié

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