Les hydroliennes de VH Quatrevingtreize - inspirées par Victor Hugo - font le pari de la frugalité énergétique

Installée à Aix-en-Provence, cette entreprise conçoit et fabrique des hydroliennes à partir de matériaux biosourcés les plus locaux possible. Une activité qui ne pourra être rentable, selon son fondateur, qu’à condition que l’énergie soit vendue sur le marché à un prix reflétant réellement sa valeur… et son impact écologique.
(Crédits : DR)

On l'avait presque oublié, mais la production d'énergie n'a rien de magique. Malgré les signaux qui se sont allumés, nous nous sommes engagés à toute allure sur l'autoroute d'une société fondée sur la consommation abondante et à bas prix d'énergies fossiles.

Mais ces signaux sont devenus de plus en plus difficiles à éviter. Le réchauffement climatique est désormais de plus en plus palpable, et la science a démontré que l'humain en est le principal responsable. Les rapports du Giec s'enchaînent, et leurs conclusions sont sans cesse plus préoccupantes.

Puis le covid-19 et la guerre menée par la Russie en Ukraine ont affolé le marché. Hausse du prix de pétrole. Du gaz. De l'électricité. Mettant au goût du jour le terme de « sobriété » ; non seulement pour opérer une transition écologique devenue urgente, mais aussi pour simplement passer l'hiver sans pénuries d'énergies. « On assiste à une remise en question du modèle économique fondé sur une ressource hydrocarbure abondant et à bas prix », observe Stéphan Guignard.

Un rotor finlandais adapté aux milieux aqueux

Chercheur au sein d'Aix-Marseille Université, il veut contribuer à dessiner d'autres voies moins nocives pour l'environnement.

Il réfléchit pour cela à la manière de produire des énergies plus propres. Pendant sa thèse déjà, il s'est intéressé au déferlement des vagues. Et dans son esprit, résonne cette prophétie de Victor Hugo, issue de son roman Quatrevingt-treize : « Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous toutes les chutes d'eau. Réfléchissez au mouvement des vagues, au va-et-vient des marées ».

Utiliser la force de l'eau, les barrages le font déjà. Mais il y a en a déjà énormément. Et leur impact sur la biodiversité pose problème. C'est alors que Stéphan Guignard découvre un rotor conçu en 1924 par l'inventeur finlandais Savonius. Un rotor imaginé pour produire de l'énergie à partir du vent, mais que le chercheur adapte en hydrolienne à pales souples. Un repositionnement qui permet de doubler son rendement, tout en nuisant le moins possible aux écosystèmes naturels dans lesquels il s'invite.

Des matériaux locaux et beaucoup de récup'

Mais si produire une énergie à partir des ressources naturelles est la finalité, il ne faut pas pour autant négliger le chemin qui permet d'y parvenir.

La fabrication doit ainsi se faire à partir de matériaux locaux et biosourcés qu'il sera possible de reconditionner et de recycler. « Nous fabriquons nos hydroliennes avec un matériau composite qui contient du PLA - des déchets de maïs que l'on utilise en impression 3D-, du tissu de lin - que l'on aimerait bien remplacer par du chanvre si une filière locale se met en place - des déchets d'impression 3D mais aussi des masques chirurgicaux ». Masque dont on perçoit les traces à l'intérieur du matériau. Le tout, enrobé de résine époxy qui a la vertu d'être hydrophobe et donc de protéger la structure.

Une fois l'hydrolienne hors d'usage, les matériaux sont soit récupérés soit broyés, donnant corps à une sorte de poudre de résine que l'entreprise réutilise. « Au départ, notre choix de s'approvisionner de façon locale reposait surtout sur des motivations sociales et environnementales. Mais maintenant, il s'agit d'un enjeu de sécurisation de l'approvisionnement».

Une cinquantaine de demandes avant d'entamer la commercialisation

Après plusieurs années de peaufinage et des tests proposés gratuitement à des volontaires, VH Quatrevingtreize devrait être en mesure de commercialiser sa solution dès l'an prochain. « Nous avons déjà une cinquantaine de demandes ». Parmi ses clients potentiels, des gestionnaires de canaux et de grands comptes de l'eau. « Des stations d'assainissement et d'épuration sont intéressées car elles sont contraintes d'arrêter de fonctionner au moment des pics de consommation, et aimeraient quand même continuer de produire un minimum pendant ces périodes grâce à nos machines ».

Les hydroliennes sont aussi plébiscitées par des particuliers disposant d'un cours d'eau sur leur terrain. Un marché qui compte environ 100.000 personnes en France d'après les estimations de l'entreprise. « Ce qui intéresse les particuliers, c'est surtout d'avoir une électricité sécurisée, produite de façon autonome et durable ».

Mais sans dispositif de stockage de l'énergie produite - ce qui augmenterait considérablement le prix de celle-ci - ces clients doivent réapprendre à consommer de l'énergie en s'adaptant à ce que leur offre la nature et aux évolutions du débit des cours d'eau. « Le but est que les gens utilisent à 90 % l'énergie produite par les hydroliennes ». Ce qui peut nécessiter de reporter certaines activités pour une meilleure répartition de la consommation dans le temps.

C'est pour les y accompagner que l'entreprise a conçu une application leur permettant de connaître en temps réel la production de l'hydrolienne. Des données météorologiques pourraient à terme être ajoutées pour anticiper d'éventuelles évolutions du niveau des cours d'eau.

En outre, à travers la collecte de données qu'elle permet, l'application pourrait aussi ouvrir des perspectives sur un nouveau marché : celui de la surveillance de l'environnement, susceptible d'intéresser des collectivités locales. « Nous avons déjà des demandes en ce sens en Italie ».

Après les rivières, les vagues

Pour réussir son virage commercial, VH Quatrevingtreize prévoit une levée de fonds de 500.000 euros - et au moins autant de prêts et d'aides en plus - d'ici la fin d'année. Ce qui lui permettrait de doubler son effectif qui passerait alors de 5 à 10 en septembre 2023, mais aussi d'avancer sur ses autres projets, parmi lesquels le développement d'hydroliennes destinées à exploiter l'énergie des vagues, sur les côtes et au large de la mer.

« On aimerait mettre à l'eau un premier démonstrateur fin 2023 ». Avec l'ambition de lui donner de la visibilité au moment des Jeux Olympiques de 2024.

A plus long terme, l'entrepreneur envisage même une version de son hydrolienne intégrant une solution de désalinisation de l'eau de mer sur place, grâce à l'énergie des vagues. Une façon de répondre aux enjeux de moindre disponibilité de l'eau douce.

D'ici là, VH quatrevingtreize espère trouver son équilibre économique, Stéphan Guignard étant convaincu que « la rentabilité d'une entreprise comme la nôtre dépend du prix de l'énergie. Si celui-ci représente bien la réalité du marché et si en plus il prend en compte les conséquences environnementales, alors nous pouvons être rentables ». Et d'ajouter que le succès des énergies renouvelables repose sur un retour à une forme de frugalité. « Sans cela, on ré-ouvre les centrales à charbon comme on le fait aujourd'hui ! » Une frugalité qui passe par une meilleure compréhension de l'énergie que l'on consomme, de sa provenance, de son impact sur la nature. Et une redéfinition des besoins selon ce prisme.

Ce qui permettrait d'emprunter une autre voie, certes moins rapide, mais à la destination plus réjouissante. Une voie où l'on ne ferait plus de la nature une mine que l'on épuise jusqu'à la dernière miette. Mais plutôt cette « auxiliaire » dont parlait Hugo.

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