La stratégie de Gennisium pour pallier le manque de médicaments adaptés en néonatologie

Fraîchement installée à Vitrolles, cette entreprise née à Paris a pour mission de fournir des médicaments adaptés aux services hospitaliers prenant en charge les bébés prématurés. Un positionnement de niche pour lequel l’internationalisation est indispensable. De même que le repositionnement de molécules déjà existantes, pour éviter des essais cliniques trop coûteux et chronophages.
(Crédits : DR)

S'il naît moins de huit mois et demi après le début de la grossesse, on considère qu'un bébé est prématuré. La plupart du temps, ces bébés ont entre 6 et 8 mois, ne pesant, dans les cas les plus délicats, que 500 grammes. Leurs organes ne sont pas matures. Il faut donc les maintenir en vie grâce à une importante prise en charge de la part des services de néonatologie : couveuse, soins intensifs et médicaments pour traiter les nombreux dysfonctionnements liés à l'immaturité de l'organisme.

Sauf que sur une vingtaine de médicaments couramment utilisé pour ces bébés, trois seulement leur sont dédiés d'un point de vue réglementaire. Les autres sont conçus et enregistrés pour des enfants plus âgés, voire pour des adultes.

Afin de les leur administrer, les médecins sont donc obligés de ruser. De les diluer, de les broyer... Des actes chronophages, qui exposent aux risques de mauvais dosages voire de contamination. Avec des conséquences potentiellement graves tant les patients sont fragiles.

C'est contribuer à résoudre de problème qu'Émilie Garcin décide de fonder Gennisium. Après avoir travaillé pour Lucane Pharma à Paris, elle souhaite, avec son associé Franck Pigache, se lancer dans l'aventure entrepreneuriale. Ils ont envie d'une petite structure, agile, opérant sur un marché de niche. En l'occurrence la néonatologie.

Contourner les barrières du marché

Mais pour répondre au besoin de médicaments adaptés à ces services, il faut aller là où les autres entreprises pharmaceutiques n'ont pas voulu se rendre. Ce qui implique de trouver une parade aux deux principales barrières à l'entrée de ce marché : le très faible nombre de patients, considéré comme un frein à la rentabilité. De même que la difficulté - organisationnelle mais aussi éthique - à mener des essais cliniques sur des bébés prématurés.

Pour ce qui est du premier frein, Gennisium répond en un mot : l'international. « Il faut multiplier les territoires pour avoir un chiffre d'affairse suffisant et être rentable », pense Émilie Garcin, cofondatrice de l'entreprise et spécialiste des enjeux réglementaires dans l'industrie pharmaceutique. Rentable oui, mais pas question, dit-elle, « de prendre en otage le système financier des pays et des hôpitaux ». Admettant que sur ce type de marché, il faut accepter une marge un peu moindre.

De Paris à Vitrolles

Afin d'opérer à l'international, l'entreprise a besoin d'un emplacement stratégique. Mais pour des raisons familiales, la cheffe d'entreprise, originaire de Forcalquier, souhaite quitter Paris et retourner dans le sud de la France. Reste à trouver le bon site.

« Hormis l'Île de France, il y a finalement assez peu de berceaux d'emplois, très dynamiques, bien desservis ».

Proche de l'autoroute, dotée d'une gare TGV et d'un aéroport, Vitrolles coche toutes les cases. S'y ajoute la proximité à Marseille, où la santé est un pilier de la vie économique, à travers un écosystème dynamique comprenant centres hospitaliers et de recherche réputés, startups prometteuses, le tout structuré autour d'acteurs tels que le pôle de compétitivité Eurobiomed.

Dans son laboratoire/entrepôt labellisé établissement de santé de Vitrolles, l'entreprise, en plus de toute la partie réglementaire qui constitue son cœur de métier, réalise le conditionnement secondaire des produits, fabriqués par un prestataire industriel. « Nous vendons de petites quantités par pays. Ce qui implique d'envoyer de petits lots, ce que ne pourrait pas faire l'industrie ».

L'étape clinique allégée

Quant à l'autre barrière concernant les essais cliniques, là aussi, l'entreprise a une parade. « Nous ne proposons que des molécules qui existent déjà, qui sont déjà enregistrées, et que nous nous contentons de repositionner en retravaillant le dosage ou la forme ». Une galénique que la société a fait le choix de confier à un prestataire, gage d'une plus grande souplesse.

« Le redimensionnement des produits nécessite des investissements bien inférieurs à un développement classique ». Et permet de gagner un temps significatif puisqu'au lieu d'une dizaine d'années, le cycle de développement jusqu'à la mise sur le marché ne s'étale que sur deux à trois ans.

Des étapes cliniques sont néanmoins nécessaires, mais elles sont allégées. « Nous nous appuyons sur des revues bibliographiques. Et si nous voyons que les données de la littérature ne sont pas suffisantes, nous pouvons les compléter avec des données rétroactives en demandant à des centres clés de plusieurs pays d'accéder à leurs données concernant l'hospitalisation de bébés prématurés ».

Renouveler dix des médicaments les plus utilisés en néonatologie

Grâce à cette méthode, l'entreprise espère proposer une dizaine de médicaments adaptés aux bébés, sur la vingtaine couramment administrée.

Le premier produit, de la citrate de caféine visant à lutter contre les apnées, est d'ores et déjà commercialisé. « Il s'agit d'un des trois produits déjà enregistrés pour les prématurés. Mais les centres hospitaliers ne l'utilisent que très peu car il est cher. Nous en proposons une version plus accessible et moins concentrée. L'efficacité est la même mais les effets secondaires sont limités ».

Si le marché français est inaccessible avec ce produit - la France dispose d'une autre solution bon marché contre les apnées - ce produit est vendu dans plusieurs pays d'Europe : Irlande, Allemagne, Italie, Portugal, Belgique ainsi que dans les pays scandinaves. S'y ajoutent des pays d'Asie et d'Afrique. « Et depuis avril, nous avons un partenariat avec l'Unicef pour le distribuer, notamment en Sierra Leone ».

Un second médicament devrait être soumis aux autorités de santé fin 2023, pour une mise en vente fin 2024. Son développement doit être financé grâce aux recettes dégagées par le premier produit, et pourquoi pas par une levée de fonds. « Les portes sont ouvertes. Mais nous avons pris du retard dans nos plans à cause du covid-19 qui a beaucoup occupé les hôpitaux. Il faut que nous fassions nos preuves pour convaincre les investisseurs ».

D'ici cinq ans, Gennisium espère avoir constitué une équipe d'une dizaine de salariés sur son site de Vitrolles, et pouvoir proposer un catalogue de trois produits. Elle entend aussi se faire une place sur le marché des États-Unis, pas simple, mais où le potentiel est important. « Nous voulons aussi sécuriser nos partenariats actuels, en Amérique latine et en Asie, où les naissances et les prématurés sont nombreux ». L'entreprise tient en outre à entretenir sa relation avec l'Unicef. Ce qui exige des efforts financiers qu'elle espère pouvoir faire de manière plus aisée à l'avenir. Lorsqu'elle se sera solidifiée.

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