Philippe Douste-Blazy : « Il n’y a pas de réseau de biotechs de très haut niveau en France »

Ancien ministre de la Santé – par deux fois -, l’auteur de « Maladie française » paru l’an dernier, invité du Forum Santé Innovation, organisé par La Tribune à l’Orange Vélodrome à Marseille, redit l’importance d’un soutien financier qui doit être bien plus fort pour la recherche française et du manque à combler pour les besoins en investissements en late stage, là où le bât blesse toujours trop. De dire aussi que les IHU sont essentiels pour développer les startups et que la santé attire désormais de secteurs divers, dont, sans grande surprise finalement, le numérique.

C'est l'un de ses sujets de prédilection et il est vrai que la problématique est entière, touchant pas forcément que la santé, mais la pandémie a clairement posé la question du financement de l'innovation en santé. De quoi changer les choses ?

  • « La place de la santé et la place de la recherche médicale a beaucoup évolué depuis un an. Beaucoup d'investisseurs se disent que c'est plutôt bien d'investir dans la santé et la recherche et que cela donne aussi un sens à qu'ils font. L'autre sujet, c'est celui de la souveraineté. Brutalement on s'est rendu compte que 85%, 90%, 95% de ce que nous consommons en termes de santé - mais dans la vie de tous les jours, ça va du curare pour endormir les personnes jusqu'au paracétamol - nous sommes dépendants de l'Asie et également des Etats-Unis. Il y a deux sortes de médecines qui vont évoluer de façon parallèle, mais complémentaires dans les prochaines années. Il y a d'un côté la médecine curative et individuelle - celle que l'on connaît, c'est un rapport un-un, c'est un face à face, c'est un rapport de confiance pour le malade, un rapport de conscience pour le médecin. Cette médecine va devenir de plus en plus individualisée, de plus en plus personnalisée et de plus en plus chère. Et après il y a la médecine totalement différente, pour laquelle, il faut bien le dire nous ne sommes pas très bons, c'est la médecine préventive et communautaire. La médecine curative, là, c'est l'innovation de rupture qui joue et là, depuis 20, 25 ans, les biotechs sont source d'innovation de rupture ».

L'Etat et le dernier kilomètre du financement

Et Philippe Douste-Blazy d'appuyer sur un paradoxe qui voit d'un côté la recherche fondamentale être d'un très bon niveau, avec des publications de la part d'organismes tels que l'Inserm ou le CNRS être reconnus et de l'autre une difficulté à valoriser correctement ces pépites prometteuses. « D'un côté nous avons une recherche fondamentale en France, qui est de très haut niveau. Et en même temps, il n'y a pas de réseau de biotechs de très haut niveau en France ». Rappelant au passage qu'en Belgique ou dans le Nord de l'Europe, c'est bien différent, les biotechs étant valorisées des milliards d'euros.

Forcément, se pose la question de pourquoi cette différence ? Tout vient, selon Philippe Douste-Blazy, du financement. Ou plutpot de l'absence de financement, certes pas en early stage mais dès les étapes atteintes, dès que la biotech a besoin de faire appel au venture capital ou au late stage, c'est morne plaine...

« Il n'y a plus d'investisseur en France qui prenne le moindre risque. Aux Etats-Unis, les investisseurs n'arrêtent pas de prendre des risques. Et sur dix investissements réalisés, même s'il n'y en a que deux ou trois qui réussissent, ils s'y retrouvent, il y a donc un network qui se fait, une effervescence qui se crée. Et ça je regrette que nous ne l'ayons pas en France. Peut-être que l'Etat devrait aussi faire le dernier kilomètre avec les investisseurs ».

Philippe Douste-Blazy pointe aussi des freins, dénoncés souvent, tels la bureaucratie et « la peur du risque ». Donne l'exemple de Valneva, pépite française dont le vaccin contre le Covid a été acheté par le Royaume-Uni. « La France n'a même pas regardé cette startup. L'innovation de rupture se paye, se paye cher et un Etat doit acheter les innovations de son propre pays. Le vrai sujet c'est que ce pays n'a pas la culture du risque ».

L'enjeu de l'écosytème... et de la recherche clinique

Les startups sont aussi confrontées à un manque de notoriété, ne savent pas se faire connaître. C'est là qu'intervient le rôle des structures qui incubent celles positionnées sur des sujets de rupture. A Marseille, même si on le connaît pour d'autres raisons, l'IHU Méditerranée incube de vraies startups prometteuses. Pour Philippe Douste-Blazy, ce qui compte c'est aussi l'excellence de la recherche clinique. Une recherche « qui était de très bon niveau, qui était au 5ème rang mondial et qui vient de dégringoler au 8ème rang mondial. Les responsables de l'institut national de la santé et de la recherche médicale qui étaient plutôt des fondamentalistes, ont donné la priorité au fondamental, un peu au détriment de la recherche clinique. Il faut des structures d'élite de recherche clinique, ce que l'on appelle des IHU. A Marseille l'IHU est de niveau mondial, mais au-delà, il faut regarder ce qu'il s'y passe avec des startups qui sont absolument remarquables car il y a de la recherche clinique de très haut niveau à côté. L'idée de mettre des Fondations dans les IHU permet de faire venir de l'argent privé. Et non l'argent privé n'est pas sale. Il sert aussi à la recherche ».

Numérique, maths et plus si affinités

Impossible de parler santé sans évoquer intelligence artificielle et numérique. Sur ce point, l'ancien ministre de la Santé demeure confiant, estime que la France n'est pas si mal placée et rappelle que nombreux sont les entrepreneurs venus d'autres filières, dont le numérique, qui regardent la médecine avec les yeux de Chimène.  « La médecine demain va avoir besoin des sciences dures et en particulier des mathématiques. On voit bien ce que l'intelligence artificielle est en train de faire dans d'autres domaines et en médecine ça va être une révolution totale ne serait qu'au niveau des big data ».

L'après crise, l'idée des SPAC

Si à toute crise, il faut savoir en tirer les leçons, en matière de financement, Philippe Douste-Blazy revient sur le sujet et estime que les SPAC pourrait servir la cause.

Après tout, « les banques d'affaires ont des clients qui n'osent pas investir dans les voyages, dans l'événementiel., dans les avions... Les SPAC ça permet de faire confiance à une équipe ». Ça demande aussi une évolution des mentalités... mais peut-être aussi de profiter du momentum...

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