La valeur et le prix, ou comment valoriser son entreprise

« Pourriez-vous me dire combien vaut ma société ? ». Combien de fois avons-nous entendu cette question d’un dirigeant aussi inquiet que curieux de connaitre la valeur des titres de son entreprise. Une question tout à fait légitime quand on souhaite effectivement céder tout ou partie de son capital, souvent le fruit d’une vie de travail. Mais force est de constater qu’à cette question simple, nous avons – banquiers d’affaires, experts comptables, avocats, auditeurs, voire experts en valorisation d’entreprise – des réponses aussi complexes que variables. (*)Par Gaël Dubosq, président Smart Entrepreneurs Partners
(Crédits : DR)

Pourquoi cette difficulté ? Et bien peut être d'abord parce que derrière cette simple question se cachent deux concepts bien différents : la valeur et le prix. L'expert va proposer le calcul d'une valeur, alors que le dirigeant, lui, s'intéresse au prix, c'est-à-dire au montant qu'il percevra de la vente de ses titres.

Pour y voir plus clair, nous présenterons très succinctement les clefs pour comprendre comment est calculée la valeur théorique d'une société et comment on passe de cette valeur théorique à un prix, le plus élevé possible.

« Dis-moi ce que tu possèdes... »

Pour définir la valeur d'une entreprise, on utilise généralement trois grandes approches qui correspondent à trois façons bien différentes de considérer le sujet.

L'approche traditionnelle - dite patrimoniale - peut se résumer à la formule « dis moi ce que tu possèdes, je te dirai combien tu vaux ». C'est donc l'analyse du bilan qui va nous donner la réponse en partant d'une équation basique et universelle : les capitaux propres sont égaux à la valeur de l'actif moins les dettes. Cette méthode a priori simple, pose toutefois deux problèmes majeurs : la valeur de l'actif au bilan est souvent à la fois sous-évaluée et partielle. L'expert devra donc chercher à réévaluer la valeur de l'actif et réintégrer les actifs non comptabilisés car intangibles.

Seconde approche « classique », l'approche financière, ou approche par les flux de trésorerie. Celle-ci se résume par la formule « une entreprise vaut ce qu'elle va rapporter à ses actionnaires ». A la différence de la première méthode, on ne considère plus le bilan - une photographie de la situation de l'entreprise à la date de clôture - mais le business plan de l'entreprise dont on extraira la somme des flux de trésorerie prévisionnels générés par l'exploitation future. Cette fois encore, le rôle de l'expert consistera surtout à correctement évaluer les hypothèses sous-jacentes : notamment le taux d'amortissement utilisé pour actualiser les flux, les grandes hypothèses du business plan et le taux de croissance qui va déterminer la « valeur terminale », c'est-à-dire la somme des revenus qui viendront après les quelques années modélisées dans le business plan. La méthode est donc très sensible aux hypothèses prévisionnelles de croissance et de rentabilité.

Troisième méthode, la méthode des comparables. Une méthode qui est d'un point de vue théorique la plus fragile mais dans les faits la plus utilisée. Le principe ici est très simple, si une société en tout point comparable à la mienne s'est vendue une certaine somme alors je vaux la même chose. On passe d'une logique d'offre à une logique de demande. Ce sont les acheteurs qui fixent le prix. Cette approche se décline sous forme de multiple, le plus souvent du chiffre d'affaires ou de l'EBITDA (qui pour simplifier correspond à notre résultat d'exploitation augmenté des charges d'amortissement). Charge à l'expert d'identifier ces fameux multiples et de se retrouver confronter à deux écueils : la difficulté de trouver de l'information sur les transactions le plus souvent confidentielles, la difficulté de comparer des sociétés souvent très différentes (en taille, en modèle économique, en positionnement marketing...).

Le banquier et la boîte à outils

Le plus souvent insatisfait de ces trois méthodes, l'expert proposera une moyenne de trois pour arriver à une proposition qui devra satisfaire son client, en usant (et abusant ?) des coefficients de pondération !Au final, on obtient une valeur. A-t-on obtenu un prix ? Bien évidemment que non. C'est là qu'entre en jeu le travail du banquier d'affaires et sa boite à outils.

Le premier outil à sa disposition est la création de ce qu'on appelle le « mémorandum d'information » ou « info-mémo ». Ce document de synthèse qui présente l'entreprise, son histoire, son marché, son environnement stratégique, son modèle économique, ses résultats historiques, son business plan et sa valorisation a vocation à donner une image à la fois transparente et positive de l'entreprise.

La transparence est essentielle. En effet l'acheteur sera d'autant plus prudent dans l'expression d'un prix que l'entreprise lui paraitra opaque et complexe. Avant même de penser à séduire, il faut rassurer les acheteurs en donnant une image sincère et fidèle. Bien évidemment, la transparence n'interdit pas de présenter intelligemment les données en mettant en avant tout ce qui peut contribuer à défendre la valeur de l'entreprise : la récurrence du chiffre d'affaires, la stabilité du modèle économique, la maitrise de la marge brute, l'indépendance de l'entreprise face à ses clients ou ses fournisseurs, des barrières à l'entrée, la qualité de l'équipe, etc... autant d'éléments qui n'apparaissent pas à la lecture d'un bilan et qui sont pourtant des éléments absolument essentiels dans une négociation. 

Une fois ce document préparé, il faut identifier les contreparties qui pourront être intéressées par la perspective d'une acquisition. Une étape clef, souvent problématique. Car on doit choisir entre un process court, limité à quelques acteurs, et donc plus exclusif et confidentiel et un process plus long, plus ouvert, permettant de solliciter un maximum d'acteurs - français ou étrangers.

Les deux approches ont leurs avantages et leurs inconvénients et le choix va dépendre de plusieurs facteurs comme la sensibilité au niveau de confidentialité, le degré de concentration du marché, le temps imparti prévu pour réaliser l'opération...

De manière générale il sera intéressant de faire cohabiter acheteurs industriels - souvent un concurrent, un fournisseur ou un client - et des fonds d'investissement qui trouveront un intérêt soit pour faciliter la stratégie de croissance externe d'une de leur participation, soit pour financer la reprise par un repreneur externe ou des managers.

Valeur et prix, l'équilibre à définir

Dernière étape - et dernier outil - essentiel à l'obtention d'un prix intéressant, le travail sur le montage de l'opération et la négociation d'un complément de prix. Le complément de prix peut permettre en effet d'aller chercher une rémunération additionnelle d'autant plus acceptable que son paiement sera conditionné à l'atteinte de certains résultats. Une façon de rassurer l'acquéreur et de motiver le vendeur dans sa période d'accompagnement.

La subtilité de l'exercice consistera à définir les objectifs qui doivent être à la fois réalistes donc atteignables et totalement maitrisés par le vendeur. Ainsi dans le cas d'une absorption par un autre groupe, la redéfinition des fonctions centrales peut largement modifier le calcul du résultat d'exploitation et ainsi dégrader artificiellement un agrégat comme le résultat d'exploitation.

En conclusion, on peut résumer le sujet d'une simple formule : « si la valeur se calcule, le prix se négocie ».

Valoriser est essentiel et il faut accorder toute l'attention et la précision nécessaire à ce travail ; c'est le socle rationnel qui va permettre de soutenir une ambition de prix. Mais pour faire accepter cette valorisation - qui n'a que les atours d'un calcul mathématique - le rôle d'un banquier d'affaires peut être primordial. C'est à lui qu'incombe de présenter une image à la fois transparente et valorisante de son client, de construire un process permettant d'intéresser les meilleures contreparties capables de valoriser au mieux les titres de l'entreprise et, le cas échéant, d'aller optimiser l'opération par un montage juridique astucieux ou un complément de prix.

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