Lever des fonds dans les prochains 18 mois ?

Le propre d’une crise est souvent son imprévisibilité, celle-ci, d’une brutalité inouïe, n’échappe bien évidemment pas à la règle. Il est donc important pour celui qui se prête au jeu des projections de conserver une bonne dose d’humilité. Bien malin qui saura prédire l’impact entier de cette crise sur l’économie française, en particulier sur ses PME, et donc sur l’attitude des fonds d’investissement qui les financent.
(Crédits : iStock)

On peut toutefois, sous réserve de prendre un peu de hauteur, arriver à poser quelques hypothèses sur l'impact de cette crise à court et moyen terme. L'objectif ici étant d'arriver à proposer quelques conseils aux chefs d'entreprise qui envisageraient une opération capitalistique dans les 18 prochains mois pour profiter d'un avantage compétitif fort : en tant de crise plus que jamais, « cash is king ».

A court terme, c'est « tout le monde aux abris »

Comme tous les acteurs économiques, les gérants de fonds d'investissement ont été pris de court par la violence et la rapidité de la crise. Et comme tous les acteurs économiques, le manque de visibilité, ne serait-ce que sur le process de déconfinement, accentue leurs inquiétudes et les plonge dans un attentisme forcé. Si quelques opérations ont pu encore se dénouer, il s'agit souvent d'opérations lancées il y a plusieurs mois qui étaient en phase de closing.

A l'exception de quelques secteurs très restreints, les investisseurs ont donc mis en pause la plupart de leurs opérations jusqu'à la rentrée de septembre, préférant se concentrer sur l'accompagnement stratégique des sociétés formant leur portefeuille.

Cette situation logique peut toutefois être catastrophique notamment pour les jeunes sociétés technologiques dont la croissance consommatrice en cash est financée en grande partie par des levées de fonds successives. D'autant que ces sociétés n'ont pas accès, faute de rentabilité, aux prêts bancaires. Nous faisons le pari ici que la récente correction du gouvernement sur le PGE pour les entreprises innovantes indexé sur la masse salariale ne bénéficiera malheureusement qu'à peu d'élus, les banquiers préférant toujours « dépenser » leur enveloppe sur des sociétés matures et présentant peu de risques.

Autre type de sociétés particulièrement vulnérables, les sociétés sous LBO. Celles-ci se retrouvent confrontées à une baisse brutale de leur chiffre d'affaires et donc de leur capacité à honorer les remboursements de leur dette senior. Une situation qui les place dans une relation de dépendance accrue vis-à-vis de leur pool bancaire et les oblige à renégocier temporairement leurs échéances de remboursement. Gageons que les grandes banques françaises adopteront un comportement citoyen et accorderont à ces sociétés le répit financier nécessaire.

L'essentiel pour ces différents acteurs est donc de préserver, autant que faire se peut, leur trésorerie pour disposer du maximum de délai avant refinancement obligatoire.

De l'argent à investir

A moyen terme, on peut raisonnablement penser que le marché devrait repartir à un rythme soutenu.

D'une certaine façon cette crise a même renforcé les grandes tendances qui alimentent le marché du private equity. On peut citer notamment :

-La très forte volatilité des marchés financiers cotés qui fait apparaitre l'industrie du Private Equity dans son ensemble - avec un horizon de débouclage moyen à 5 ans et des taux de rendement interne supérieurs à 10% année après année - comme un havre de paix et de  prospérité.

-La prise de conscience sur les dangers d'une trop grande dépendance vis-à-vis de l'industrie chinoise qui renforce  la thèse d'investissement de nombreux acteurs du Private Equity autour du « circuit court » et d'une « relocalisation industrielle » au moins partielle en France.

-L'intérêt de la digitalisation des process de production et de communication au sein de l'entreprise qui a été mis au grand jour par le confinement. Ce sont tous les acteurs des services aux entreprises, du logiciel et des technologies déjà prisés par les fonds qui devraient voir leur demande client fortement augmenter.

Surtout, il faut penser que les fonds n'ont jamais disposé d'autant d'argent à investir[1]. Or, ces ressources financières importantes doivent être investies pour répondre aux attentes élevées de leurs propres investisseurs. En clair, les fonds qui n'auront pas été investis entre mars et août 2020, devront être investis si possible rapidement pour optimiser leur rendement.

Toutefois, ce rebond du marché du Private Equity pourrait ne pas profiter à tout le monde. Trois types de secteurs risquent d'être particulièrement touchés :

-Les secteurs frappés par les fermetures administratives et qui risquent de subir encore un déconfinement progressif : loisirs, sport, restauration, transport...

-Les secteurs soumis à une forte saisonnalité de l'activité et/ou dépendant du tourisme : hôtellerie, hébergement de plein air...

-Les secteurs très dépendants du pouvoir d'achat des ménages : commerce de détail - notamment habillement - industrie manufacturière, bâtiment...

Dans ces secteurs seules les entreprises les plus performantes mais aussi les plus agiles - capables dans un contexte difficile de gagner des parts de marché en s'adaptant aux besoins du consommateur - et innovantes pourront proposer une thèse d'investissement audible pour les fonds.

En conclusion, le marché du private equity aujourd'hui quasiment à l'arrêt devrait redémarrer très fort dès le mois de septembre et qu'il sera donc possible de lever des fonds.

Toutefois, tous les secteurs ne bénéficieront pas de la même attention des sociétés de gestion. Les secteurs à priori moins attractifs devront déployer des efforts supplémentaires pour prouver la force de leur modèle économique, isoler l'impact « covid 19 » sur les ventes et mettre en avant la qualité d'un management capable de saisir les opportunités. La maxime préférée des investisseurs avisés sera plus que jamais pertinente : "Il n'est de richesse que d'hommes".

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[1] Selon le dernier rapport de France Invest, les levées des fonds au premier semestre 2019 ont encore une fois battu un record avec plus de 8 Md€ levées. Activité des acteurs français du capital-investissement, France Invest, 8 octobre 2019.

*Co-fondateur et président Smart Entrepreneurs

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