"La Métropole c'est des territoires et des réseaux"

Métropole de territoires ou métropole de réseaux ? Les deux mon capitaine, sera-t-il répondu à cette question apparemment sans enjeu. Qui peut penser à des territoires sans réseaux, ou des réseaux sans territoires ? Et qui peut construire une métropole sans procéder en même temps à partir de ces deux formes concrètes de l’espace de la société ?

Le problème est que si l'on voit bien la capacité des territoires à prendre place dans la construction métropolitaine, à commencer par celles des acteurs politiques qui parlent en leur nom, on est moins au clair sur ce que désignent « les réseaux » et sur ceux qui les incarnent, dans cette même construction. Dans cette phase ô combien politiquement intense qu'a été la construction métropolitaine d'Aix-Marseille-Provence, de 2013 à 2016, tout s'est passé comme si les réseaux étaient le problème, (avant tout les réseaux de transport et de mobilité) et les territoires la solution, ces fameux territoires qui se sont imposés dans la loi comme un échelon intermédiaire entre les communes et la nouvelle métropole (idem pour le Grand Paris). Et si c'était précisément l'inverse ?

Nouveaux champs

En France, le territoire monopolise l'espace politique, il l'incarne à tous les étages, tandis que les réseaux forment un monde d'infrastructures et d'organisations qui relèvent d'une sphère technique, marchande, éventuellement sociétale (réseaux sociaux), mais jamais politique. Uber, Facebook, Google, Amazon, Vinci, Eiffage, Veolia, Suez, Transdev, Kéolis, Orange, Numéricable-SFR, Free, La Poste, Clear Chanel... nous vivons désormais dans un monde de réseaux d'une extrême puissance, globaux ou locaux, publics, privés ou mixtes, matériels et immatériels, qui font à la fois la vie quotidienne des services et les nouveaux champs du profit économique.

Or, depuis que ce capitalisme réticulaire se déploie, via notamment le démantèlement des anciens monopoles publics sur les transports, l'énergie et les télécommunications, commencé dans les années 1980, la représentation politique n'a cessé d'en rajouter sur la promesse territoriale : d'actes décentralisateurs en grandes réformes institutionnelles, c'est toujours par les territoires que la puissance publique prétend jouer son rôle dans la société et l'économie de réseaux et en réseaux que la France est devenue. Ainsi la métropole d'Aix-Marseille-Provence qui se veut une métropole de communes fédérées via leurs territoires que sont les anciennes intercommunalités. Une société de et en réseaux se gouverne-t-elle par des territoires ?

Malentendu

Si l'on en croit la crédibilité qu'accordent les citoyens à l'espace politique des territoires, la réponse est non : les taux d'abstention aux diverses élections ne cessent de s'effriter depuis la décentralisation, plus vite encore pour le local que pour le national. Des citoyens qui ont parfaitement compris par ailleurs que c'est sur les réseaux que se jouent leur inclusion sociale, leur confort, leur qualité de vie, leur capacité à peser dans les débats, leur utilité collective, leurs projets professionnels, sans parler de leur vie privée...

Le grand malentendu des dernières décennies est d'avoir laissé s'installer une fausse répartition : aux territoires l'expression des intérêts collectifs et citoyens, et aux réseaux les réponses aux besoins individuels et marchands. Alors que c'est souvent l'inverse qui est vrai : les territoires cristallisent de plus en plus des intérêts limités de copropriétaires de ressources locales, tandis que les réseaux portent des enjeux planétaires à haute valeur politique.

Il serait absurde d'en conclure que les sociétés n'ont plus besoin de territoires. Mais ceux-ci ne retrouveront leur efficacité et leur pertinence que s'ils acceptent de reconnaître leur dimension réticulaire, et par conséquent d'élargir l'espace politique à de nouveaux mandants et de nouveaux mandats. Toutes les collectivités territoriales sont des opérateurs de réseaux. D'autres opérateurs, privés cette fois, contribuent à produire les biens communs en réseaux que sont l'accès à l'énergie, à l'eau, aux soins, à l'information... Et d'autres encore, organisés en collectifs citoyens, en associations, en coopératives produisent également de plus en plus de solutions d'intérêt public, en s'organisant en réseaux autant qu'en territoires. C'est cet ensemble qui constitue, de fait, l'espace politique du capitalisme réticulaire. Encore faut-il le reconnaître, l'écouter, l'instituer, le faire vivre politiquement par des règles adaptées. A Aix-Marseille-Provence, métropole en construction, comme dans le reste de la France des territoires.

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Martin Vanier, professeur à l'École d'Urbanisme de Paris, intervient le mardi 17 janvier à la Villa Méditerranée dans le cadre des Mardis de la Villa sur la thématique des Métropoles et des réseaux. Dernier ouvrage paru : "Demain les territoires, capitalisme réticulaire et espace politique", Hermann, 2015.

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