En finir avec le système rentier en Algérie

Entre le marteau de l'autrefois célébré Printemps arabe et l'enclume d'un contre-choc pétrolier qui dure depuis plus de deux ans, l'économie algérienne est attrapée dans un piège existentiel dont elle ne peut sortir que par le haut.

Le premier, effet cliquet oblige, a durablement déstabilisé les finances publiques du pays en gonflant inconsidérément les dépenses courantes ; le second a englouti plus de la moitié des revenus du pays, portant un coup fatal au système rentier qui régit l'Algérie depuis des décennies. Car  c'est bien l'inanité et l'insoutenabilité de ce système que ces deux chocs  presque  simultanés  ont  révélées. Même avec un prix moyen du baril de l'ordre de 100 $ en 2014, année du déclenchement du contre-choc, le déficit budgétaire algérien a dépassé les 7% du PIB. Par simple extrapolation comptable, le statu quo conduirait à plus que doubler ce déficit avec un baril à 45$. A ce rythme de déficit et en absence d'ajustement significatif des dépenses aux recettes de l'Etat, le pays irait à terme à la faillite    étant entendu que l'endettement extérieur ne peut être une solution viable. Les  affres du système rentier ne s'arrêtent malheureusement pas au cul-de-sac budgétaire, qui dans le  cas  de  l'Algérie  se trouve aggravé par une politique de subventions implicites (notamment de l'électricité et  de l'essence)  aux proportions invraisemblables. Il a, en sus,  conduit à la  folle envolée  des importations  (doublement  en % du PIB en 10 ans), soutenue par la surévaluation systématique du dinar algérien, et sans que cette dynamique des importations ne corresponde à une intégration significative dans le commerce international: les importations ont tout simplement remplacé la production nationale, allant de pair avec une désindustrialisation au rythme ahurissant, un profil d'exportations des plus étriqués au monde, et un changement structurel bancal sans gain de productivité. La croissance algérienne a donc plus que jamais reposé sur la dépense publique (notamment dans le BTP) ces dernières années, moteur qui ne peut que refroidir avec la chute durable de la rente pétrolière. L'incapacité notoire des investisseurs privés  à prendre le relais à court terme projette le pays dans une crise aigüe du mode de financement du développement, dans un double contexte de renversement de la transition démographique et  d'inopérance totale des systèmes bancaire et financier locaux.

 Besoin de changements

Héritant de cette conjoncture bien sombre, le gouvernement du Premier Ministre Sellal a d'abord pris une série de mesures de sauvegarde toutes nécessaires. Il a  commencé par rationner les importations, ce qui a conduit à des réductions significatives des importations d'essence, de voitures ou de matériaux de construction, sans pour autant enrayer la dynamique désastreuse de  la  balance  commerciale mais  sans non plus porter préjudice à la croissance ou aggraver l'inflation. Il a également entamé le processus  de substitution des importations par la production nationale, démarré-certes timidement- le démantèlement du système de subventions implicites et enfin mobilisé l'épargne  nationale  pour faire  face à l'effondrement des ressources pétrolières et l'épuisement du Fonds de Régulation des Recettes (Emprunt National d'avril 2016). Même si cette dernière initiative n'a pas eu l'effet rationalisant escompté sur le système bancaire décidément sclérosé, elle a été un succès du point de vue des finances publiques. Il reste que ces mesures nécessaires sont très loin d'être suffisantes pour enclencher une dynamique véritable vers l'émergence. Le gouvernement algérien le sait bien, qui croule  sous les  offres  de service et les plans suggérés pour diversifier l'économie, pour rentabiliser le potentiel unique en énergies renouvelables du pays, pour revitaliser l'agriculture...etc. Toutes ces initiatives plus ou moins velléitaires ne doivent pas faire oublier l'essentiel : il  n'y a pas d'émergence qui vaille si la gouvernance économique ne décolle pas des préceptes du système rentier encore en vigueur et si le design institutionnel de l'économie algérienne ne change pas radicalement. Il n'y aura pas d'émergence non plus si l'ajustement des dépenses aux revenus anticipés n'est pas significativement amorcé et si le financement de l'économie n'est pas profondément modernisé. L'Algérie est un grand pays de par ses richesses et son importance stratégique à bien des égards. Elle n'a pas besoin de solutions transitoires hasardeuses (planche à billet, surexploitation du sous-sol ou rabotage tous azimuts des dépenses d'équipement) mais de vraies réformes, notamment institutionnelles, pour sortir par le haut de la crise actuelle. Et ces changements en profondeur peuvent parfaitement se faire à la fois en préservant les plus nécessiteux et en enclenchant une vraie dynamique économique structurante basée sur des incitations fortes à l'initiative privée du plus grand nombre et non pas sur le capital peu ou prou spéculatif de quelques milliardaires.

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Raoul Boucekkine est directeur de l'Institut d'Etudes Avancées d'Aix-Marseille et membre senior de l'Institut Universitaire de France.

Ce sujet sera évoqué lors du prochain "Mardi de la Villa", le 22 novembre prochain à La Villa Méditerranée, à Marseille.

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Commentaire 1
à écrit le 18/11/2016 à 21:03
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Le problème est certes institutionnel, mais les institutions sont le reflet des mentalités. Elles ne sont pas exogènes. Je ne vois absolument de solution de court terme. On ne peut pas du jour au lendemain diversifier une économie (énergies renouvel...

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