Médicaments : « L’Europe est une alternative sérieuse aux sources asiatiques » (La Mesta Chimie Fine)

Nichée à Gilette, dans l’arrière-pays de Nice, La Mesta fait de la chimie fine de synthèse de haute volée. Fondée en 1971, positionnée sur des technologies de pointe, la PMI réalise à façon quelque 300 tonnes de molécules chimiques complexes par an, des principes actifs le plus souvent, pour le secteur des arômes et parfums et l’industrie pharmaceutique notamment. Parmi eux, celui du Propofol, produit anesthésique intraveineux qui figure dans la liste des 50 médicaments essentiels à relocaliser en France présentée mi-juin par le gouvernement. Avec ce premier produit catalogue, dont les 5 premières tonnes seront livrées cette année, l’entreprise ambitionne de devenir le n°2 mondial du sujet dès 2025. Entretien avec son directeur général, Pierre Giuliano, pour qui un renversement de tendance est bel et bien en cours…
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE : Vous n'avez pas attendu la publication de la liste des médicaments à relocaliser pour vous pencher sur le sujet du Propofol. Qu'est-ce qui vous a motivé et où en êtes-vous dans le processus de fabrication ?

PIERRE GIULIANO : Le Propofol est un produit anesthésique intraveineux parmi les plus utilisés dans le monde. Son principe actif est produit par 3 fabricants. Aucun n'est français. Or, en 2018, nous avons réalisé que nous détenions les clés technologiques nécessaires à sa fabrication, notamment la maîtrise de l'utilisation du Propène sous forte pression et le savoir-faire de distillation fine. Nous avons donc investi 3 millions d'euros, la moitié en équipement, l'autre en R&D, pour mettre au point un procédé efficace et obtenu l'autorisation début 2022 de fournir ce principe actif aux laboratoires français et européens. Les 5 premières tonnes seront livrées cette année. Aujourd'hui, nous travaillons sur l'homologation auprès de la FDA, que nous déposerons fin 2023 pour attaquer le marché nord-américain dès 2024.

Avec ce premier produit catalogue, vous dérogez à votre modèle économique qui est de fabriquer à façon...

Le Propofol est en effet une exception dans notre modèle. C'est pour cela que nous nous sommes associés avec un partenaire spécialiste de la commercialisation des principes actifs pharmaceutiques, l'Allemand Midas, une référence mondiale en la matière. Nous restons ainsi concentrés sur la production qui va monter en puissance pour dépasser le 25 tonnes en 2025. L'objectif étant, à terme, d'atteindre les 60 tonnes par an et de devenir le n°2 mondial du sujet.

Pensez-vous réitérer l'expérience catalogue sur d'autres produits, dont ceux présents sur la liste de médicaments à relocaliser ?

Notre présence sur cette liste est le fruit d'un heureux hasard. Par ailleurs, celle-ci attise les appétits, notamment des gros faiseurs qui ont un certain savoir-faire pour aller chercher les subventions. Nous sommes minuscules à côté, avec nos 90 salariés et 26 millions d'euros de chiffre d'affaires, c'est pourquoi nous visons les produits de niche et avançons pas à pas. Mais rien n'est exclu. Il suffit de trouver le bon alignement des planètes.

Les planètes, justement, sont-elles réellement alignées en matière de relocalisation industrielle des productions pharmaceutiques ? Les subventions et aides annoncées, dont 160 millions d'euros déjà actés pour soutenir 8 projets, vous semblent-elles efficaces ?

Ce sera efficace si l'appui des pouvoirs publics se maintient sur le long terme. Car nous partons de loin. Selon une étude commanditée par le Syndicat de la chimie organique, en 2000, 53% des fabricants de principes actifs étaient européens, en 2020, ils ne sont plus que 33%. Dans le même temps, en Asie, ils étaient 37% à fabriquer des principes actifs en 2000, ils sont passés à 59% en 2020. Nous voyons bien le basculement, presque point à point, de l'Europe vers l'Asie en 20 ans.

Cela dit, il est indéniable que nous assistons aujourd'hui à un renversement de tendance. La Covid a fait prendre conscience que nous étions très fragiles, tant au niveau gouvernemental qu'industriel. Les laboratoires pharmaceutiques se sont rendu compte que les risques d'effondrement complet de marché étaient réels parce qu'ils étaient mono-fournisseurs et que celui-ci - asiatique la plupart du temps - leur faisait défaut. Cette problématique était connue, mais mise sous le tapis. Il leur faut trouver désormais une alternative sérieuse aux sources asiatiques, et je crois pouvoir dire que l'Europe est une solution envisagée.

Qu'est-ce qui vous le fait dire ?

Au-delà du sujet de la sécurisation de l'approvisionnement, indispensable, se pose la question des considérations environnementales qui poussent elle aussi à une relocalisation européenne. Il y a une vraie réflexion des laboratoires sur ces aspects-là. Par exemple, La Mesta est en train de développer un produit intermédiaire pour un anti-HIV. Le client avait deux fournisseurs, un chinois et un coréen, tous deux présentant des méthodes de fabrication problématiques. Il est venu nous voir, non pas pour remplacer toute la production, nous n'en sommes pas capables, mais pour compléter son approvisionnement avec une technologie safe, miniaturisée, permettant de consommer moins d'eau, de solvants et d'énergie, et européenne.

La France est-elle bien placée dans cette recherche d'alternative ?

Il y a un vrai savoir-faire chimique en France. Il s'est certes petit à petit démantelé mais il existe encore et présente un potentiel important. Car ceux qui ont résisté à la période 2000-2020 sont ceux qui se sont spécialisés dans des technologies différenciantes et à haute valeur ajoutée. Nous avons fait le choix de la miniaturisation, du flux en continu et de l'intensification, c'est ce qui fait notre force. D'autres ont pris d'autres partis technologiques, chacun a sa niche et peut affronter la concurrence dans son domaine. C'est pourquoi je pense que regarder seulement au niveau de la France est une erreur. Nous devons avoir une vision européenne. Avec un enjeu clé : montrer que nous sommes capables de travailler de manière vertueuse sur tout ce qui compose le futur de l'industrie.

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Commentaires 2
à écrit le 23/06/2023 à 13:28
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Euh non, ça n'intéresse personne de revenir en france y subir les lois florarange dailymotion goodyear ecocide eckert et compagnie ça n'intéresse personne de subir les prises d'otages permanentes de la cgt, ça n'intéresse personne de subir les chan...

à écrit le 23/06/2023 à 12:35
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"L’Europe est une alternative" ouh là là, les gens veulent entendre "La France est une alternative" ! Comme si on pouvait tout faire et que les synergies ça n'est pas utile. UE = 2nde puissance économique mondiale, il me semble, et vu qu'on veut ne p...

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