En investissant 50 millions d’euros à Grasse, le fournisseur mondial d’arômes et d’ingrédients Symrise joue la carte de la réindustrialisation

En 2022, l’annonce de l’acquisitions de deux maisons de parfums implantées au cœur de la Cité des parfums était déjà le signal d’un retour du groupe mondial sur des terres grassoises qu’il a bien connu et qu’il avait quitté au début des années 2000. Un retour qui s’est depuis confirmé avec la création d’une première unité de production en attendant une seconde, plus conséquente, et alors même qu’entre temps, l’entreprise est devenue le principal exploitant du mimosa du domaine Croix des Gardes à Cannes. Un retour qui mobilise des investissements et qui participe aussi à la réindustrialisation comme au soutien à la filière locale de fourniture de matières premières.
(Crédits : Romain Bassenne)

L'industrie du parfum, d'origine si discrète pour ne pas dire secrète, semble s'ouvrir tout d'un coup autant aux nouvelles technologies qu'à une certaine communication. Il faut dire que le secteur - comme beaucoup d'autres - vit un effet de concentration qui oblige à rester alerte et vigilant sur les segments connexes. On en veut pour preuve de nombreuses maisons ancestrales de parfumerie qui se sont par exemple, tournées vers la nutraceutique. Un segment qui est certes lié au parfum, mais pas que. Une sorte donc de diversification naturelle ou incitée par l'évolution du marché qui oblige donc à sortir de sa zone de confort et qui pousse aussi à une certaine taille critique.

En 2022, l'annonce de l'acquisition de deux PME implantées à Grasse par le groupe Symrise n'est pas passée inaperçue. Car Symrise raisonne - ou plutôt raisonnait - d'une certaine façon aux oreilles de la Capitale des parfums puisque le groupe quitte Grasse en 2004 après avoir laissé sur place son usine, conséquence de moult opérations qui ont transféré les diverses activités peu à peu sous d'autres cieux. Revoir l'entreprise en terre grassoise était donc tout sauf anodin et le signe d'une réinstallation pour longtemps.

Faire émerger des filières nobles

C'est ainsi qu'elle ressuscite Lautier, entreprise familiale du 19ème siècle fournisseur de matières premières, sous le nom Maison Lautier 1795 en faisant ainsi sa marque de fournitures de matières premières naturelles en 2022. C'est elle qui, en avril dernier, obtient l'exploitation du mimosa pour un an renouvelable 4 ans, du domaine de la Croix des Gardes à Cannes. Soit 8 hectares, pour un objectif, créer un absolu mimosa. « Nous avons conscience de la beauté du site. Notre stratégie est de travailler de belles matières premières avec de bons sourcings », explique Camille Quitin, directeur supply chain. Un bon sourcing signifie un lien étroit avec les producteurs locaux, ceux qui font fructifier ces matières premières naturelles et avec lesquels il est parfois possible de concevoir de nouveaux ingrédients. A Grasse, le lien a été fait avec Fleurs d'Exception, l'association de producteurs créée en 2006 dont l'objectif était de revaloriser les cultures des plantes à parfums, alors menacées de disparition et fortement concurrencées par des productions étrangères. Un modèle que Symrise souhaite développer comme il l'a fait déjà à Madagascar, en aidant les producteurs locaux à faire partie de la chaîne de valeur, à être partie prenante de la stratégie de développement des ingrédients. « A l'instar de notre expérience malgache, nous voulons partager la valeur ajoutée, faire émerger des produits nobles. Il faut faire émerger des filières bien maîtrisées, avec des certifications durables ».

Diversifier le portefeuille

De fait, Maison Lautier 1795 s'est aussi dotée d'une usine à Saint-Cézaire, au-dessus de Grasse. Pour l'heure encore modeste - 400 m2 - en attendant le démarrage d'une unité de production plus conséquence, de 1.500 m2 qui sera opérationnelle en 2025, c'est ici que Symrise repose les bases de son empreinte industrielle.

Ce qui est aussi un bon signal pour la filière alors que le maire de Grasse, Jérôme Viaud vient précisément d'impulser la création d'un club européen des maires des villes de la parfumerie, le sujet de la réglementation européenne sur l'interdiction de la vente des produits naturels n'étant pas neutre pour les parfumeurs.

Symrise qui refait donc le choix de Grasse. Le groupe, qui a généré 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2022 et emploie plus de 14.000 personnes dans le monde, investit, ce qui vient en appui à sa stratégie de diversification que revendique Ricardo Omori, le vice-président Global Fine Fragrance, vers « la pet food et la nutraceutique », assurant que « tous nos concurrents ont copié notre stratégie ». Mais peu importe, « nous continuons à diversifier le portefeuille et à investir ».

A Grasse, l'usine prévue pour 2025 présentera une capacité de production 7 fois plus importante que l'actuelle. 20 millions d'euros seront ainsi injectés pour une première phase qui verra le jour en janvier 2023. « Nous commençons par un laboratoire et des bureaux, consacrés à une partie du développement des produits », explique Ricardo Omori, puis une seconde phase, assortie d'un investissement de 15 millions d'euros est prévue dans les prochains 18 mois. Symrise qui multiplie des acquisitions ou prise de participation un peu partout en Europe. « Nous investissons pour agrandir notre portefeuille », précise Ricardo Omori. Un appétit qui va avec la croissance, de l'ordre de 20% pour le groupe, quand le marché croît de seulement 5%. Il faut dire que le cœur de la stratégie est la maîtrise de la supply chain. Ce que démontre le modèle de Madagascar précisément, depuis la matière première jusqu'au produit fini.

Le sourcing agricole aussi

Symrise qui n'ignore pas les nouvelles technologies. Dont l'IA qui est le cœur de Philyra, son programme qui permet de créer des compositions olfactives. « Nous avons été les premiers en 2018 à intégrer l'intelligence artificielle dans la composition des parfums », revendique le VP Global Fine Fragrance. « Aujourd'hui, cela fait partie du processus de création ».

Un Ricardo Omori qui compte continuer à investir dans la Capitale des parfums, indiquant que Grasse sera le deuxième site de développement pour le groupe. Que les résultats de celui-ci donnent confiance pour poursuivre la stratégie impulsée. Alors que précisément, Grasse sert aussi de modèle pour « des projets, sans doute pas de la même taille mais similaires en Inde ou en Indonésie. Nous avons également des projets avec des agriculteurs dans le Nord pour fabriquer des huiles essentielles naturelles ». Symrise, qui a annoncé, il y a quelques jours la nomination de Julianne Pruett au poste de Ricardo Omori, promu Deputy Global President of Fragrance tandis que Maison Lautier 1795 sera dirigée par Véronique Ferval.

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