« Nous voulons démontrer qu’il est possible, en France, d’avoir de l’industrie lourde décarbonée » (Pierre-Emmanuel Martin, Carbon)

Son projet de créer dans le Sud, à Fos-sur-mer, une gigafactory dédiée au photovoltaïque est à la fois une façon de répondre au besoin de réindustrialisation et de souveraineté énergétique. Née d’une alliance d’entrepreneurs venus du solaire, la société créée en 2022 en Auvergne-Rhône-Alpes porte une différenciation essentielle, celle de produire wafers, cellules et modules solaires – soit l’ensemble de la chaîne de valeur – là où la France ne sait pas, encore, faire. Si le momentum est un accélérateur évident, Carbon est aujourd’hui en phase de levée de fonds, attend aussi la phase de la concertation publique qui doit être menée. Et se projette dans un temps long, ainsi que l’exprime son co-fondateur et président.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Comment l'idée de Carbon a-t-elle émergé ?

PIERRE-EMMANUEL MARTIN - Carbon, c'est quatre personnes, industriels, consultants et un opérateur, impliqués dans le marché du photovoltaïque depuis plusieurs décennies. Nous avons une constance - une abnégation diront certains - à rester présents dans ce secteur, malgré les hauts et les bas. Nous nous sommes posés des questions il y a trois ans, à propos de l'industrie photovoltaïque en Auvergne-Rhône-Alpes, région dont nous sommes originaires, autour du sujet de l'avenir de Photowatt. Nous sommes arrivés au constat qu'il fallait une approche novatrice, sur deux axes : du volume - sans le volume on n'est rien - et être intégrés. Si on n'est pas intégré, on se trouve écrasés entre le marteau et l'enclume dans la chaîne de valeur, à la merci des humeurs du marché ou, si on est plus réalistes, des Chinois. Car la volonté hégémonique la Chine sur ce sujet a été affirmée dès 2008-2010 lorsqu'il a été annoncé la volonté de maîtriser cette technologie qui fait partie des 7 piliers stratégiques de l'industrie chinoise. Il faut donc faire du gros et de l'intégré. Partant de cela, nous avons déplacé la focale. Nous sommes les premiers en Europe à avoir annoncé cette volonté industrielle, ce projet de 5 GW à horizon 2030 à partir d'une gigafactory. Il faut s'affirmer comme acteur global.

Carbon répond aux enjeux de souveraineté aussi bien industrielle qu'énergétique. Ça aide à aller plus vite ?

Le covid a accéléré la prise de conscience sur la nécessité de rapatrier et relocaliser l'industrie en France. Puis la crise énergétique, à partir de l'été 2021, a fait comprendre que l'énergie était un sujet bien trop sérieux pour le laisser à vaux l'eau. Enfin, la guerre en l'Ukraine a montré que l'on ne pouvait pas passer d'une dépendance au gaz russe à une dépendance au panneau solaire chinois, le solaire étant devenu la brique majeure du système énergétique actuel. Le solaire est la source d'énergie principale d'un monde décarboné en 2050. Tout cela mène à la création de Carbon. Dont nous avons annoncé la naissance quasiment le jour de l'invasion de la guerre de l'Ukraine. Puis nous avons embauché, travaillé sérieusement. Aujourd'hui nous rencontrons une adhésion forte. Et maintenant tout commence...

Votre projet semble très ambitieux, notamment parce qu'il prévoit d'intégrer l'ensemble de la chaîne de valeur ce qui ne se fait pas en France. Comment le marché appréhende-t-il votre promesse ?

Nous sommes en train de faire un saut quantique. Nous avons les ingrédients. Et nous travaillons sur plusieurs axes. Le premier est la proposition industrielle. Si on regarde l'ensemble des procédés, il y a de la maîtrise en Europe mais surtout, il y a de l'industrie, des industriels qui sauront nous aider. Nous avons fait un important travail pour identifier les réseaux, les lieux de compétence, les centres de recherche. Le deuxième axe c'est que nous sommes des ingénieurs, nous sommes des entrepreneurs. Nous travaillons près de tous ceux qui nous achèteront les panneaux, sur tous les segments de marché, les opérateurs, les développeurs, les majors, les installateurs, les distributeurs... Cela nous a permis de mieux comprendre ce qui était attendu. Et notre projet, par l'intégration et l'économie d'échelle, le volume nous permettra d'atteindre un prix qui sera compétitif intégrant le transport et le fait que les Chinois ne fassent pas trop de dumping, ce qui est le cas en ce moment. Nous nous sommes aperçus que pour nos clients, le prix n'est pas que déterminant, à condition de rester raisonnable et d'apporter autre chose. Et c'est autre chose que nous apportons. C'est pour cela que nous proposons de fabriquer des cellules et des modules. Une partie de cellules ne seront pas assemblée en modules mais sera vendue à ces acteurs ainsi qu'à de nouveaux utilisateurs, comme les constructeurs automobiles, qui commencent à intégrer des cellules photovoltaïques dans les carrosseries des voitures, ou comme le bâtiment...

Nous ferons beaucoup de R&D. Ce dont on souffre en Europe c'est que l'on possède des centres de recherche extrêmement talentueux, compétents, mais qui sont déconnectés de l'industrie. Nous allons recréer ce lien puisqu'une grosse partie de notre chiffre d'affaires - 3 % -  sera consacrée à la R&D, ce qui en période de croisière signifie une enveloppe de 250 millions d'euros.

Être installé dans l'enceinte du Grand Port Maritime de Marseille c'est essentiel du point de vue du flux de matières premières, pour l'export aussi ?

C'est surtout pour le verre et l'aluminium. Nous allons produire 12 millions de panneaux. Un panneau c'est une plaque de verre de 2 m2. A cela s'ajoute les cadres aluminium, plus les boîtes de jonction, plus tous les matériaux. Plus, aussi, dans un premier temps, tous les équipements. Nous espérons, si ça se passe bien et si le Port est heureux de notre activité de fret, s'il y a de la place... pourquoi pas une extension demain. D'autant qu'il existe un écosystème, avec notamment ArcelorMittal, GravitHy... Quand on décarbone, même si on est un petit pourcentage de l'équation mondiale, en étant un peu l'avant-garde de la décarbonation, on inspire et d'autres pays pourront dire en France c'est possible d'avoir des industries lourdes sans carbone. C'est ça qu'il faut viser, l'exemplarité.

Concernant le financement, vous avez annoncé un investissement global de 1,5 milliard d'euros. Mais comment ce financement va-t-il se structurer ? Et quelles sont les prochaines étapes ?

Nous avons financé la première phrase avec ECM. Maintenant, nous sommes accompagnés par des banques conseils pour structurer un tour de table un peu plus musclé sur des capitaux propres. La somme de 1,5 milliard d'euros s'étagera entre des aides, des subventions, de la dette bancaire - on espère avoir la garantie Grand Projet Stratégique - puis les fonds propres. Nous travaillons ardemment à réunir autour de la table les acteurs-clés qui nous aiderons à passer à l'étape suivante. Qui est celle de créer un grand groupe, en trois ans là où souvent cela se construit de façon séculaire. Nous avons des personnes talentueuses qui vont nous rejoindre et nous aider à équilibrer une vision. Tout est en structuration, il faut finaliser les études, préparer les appels d'offres pour les équipements, lancer le débat public sur la zone et lancer de la R&D à l'échelle 1. Pour cela il nous faut un lieu pour tester nos machines et certains process que nous allons mettre en place. Mi-2024 démarrer la construction de l'usine et dans 14 à 16 mois nous pourrons l'inaugurer, avant fin 2025.

Quel est le montant de la levée de fonds en cours ?

Elle est de 120 à 140 millions d'euros, pilotée par deux banques conseil.

Vous avez annoncé la création de 3.000 emplois. Quels sont les profils recherchés ?

D'abord des opérateurs, des techniciens, des ingénieurs et après un laboratoire de R&D. Sur les 3.000 emplois, 2.500 concernent les opérateurs et techniciens. Cela va entrer en résonnance avec une terre ouvrière forte.

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Commentaires 3
à écrit le 28/03/2023 à 20:20
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en terminant la delocalisation de l industrie.. et hop.. ka decarbonisation en Feance est daite. c est aussi simple que cela. 22%du Pib en 2004 ... 10% en 2022. soit une diminution de 60% des émissions carbones en France. hrace à qui? raffarin Sark...

à écrit le 28/03/2023 à 12:16
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Le carbone c'est aussi en masse 18% du corps humain soit 13kg pour un individu de 70kg.. Comment faire pour le décarboner..

le 28/03/2023 à 15:58
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En n'ayant pas d'enfants, non ? Combien de méthane dégage-t-on après notre décès ? Devenons éternels pour ne plus générer de méthane. :-) Décarboner les activités ne suffit pas, il faut aussi décarboner la planète ? Une façon de ridiculiser l'idée s...

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