ETI : transmission, Pacte Dutreil et comment faire encore mieux

Vénérées parce que trop rares en France, les entreprises de taille intermédiaire semblent retrouver grâce aux yeux des différents acteurs économiques, problématiques d’industrialisation et de souveraineté obligent. Des entreprises majoritairement familiales, dont la transmission est un enjeu essentiel, vue les problématiques citées ci-dessus et parce qu’il ne faudrait pas perdre des fleurons et des savoir-faire. C’est notamment à cela qu’à répondu, il y a vingt ans, le Pacte Dutreil. Un Pacte qui a facilité les opérations de passage de relais mais qui reste encore complexe. Comment faire mieux pour favoriser la pérennité de ces entreprises, pour faire grandir les PME ? Décryptage et pistes de réflexion avec Pierre-Laurent Soubra, directeur KPMG en charge des ETI dans le Sud.
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La transmission est un sujet qui éclos peu à peu comme éminemment stratégique pour l'économie française. Si cela est vrai pour le domaine artisanal du point de vue de la perte de savoir-faire, c'est aussi très vrai pour ce qui concerne les entreprises de taille intermédiaire. Car ces ETI, anciennes PME et possibles futurs grands groupes, sont des fleurons à préserver. Ne serait-ce que parce une ETI sur 3 est issue de l'industrie et que les volontés de retrouver un tissu industriel compétitif et souverain sont primordiaux dans un contexte post-crises (pas que sanitaire).

Surtout, les entreprises de taille intermédiaires se trouvent à un moment-clé de leur histoire : en France, une ETI sur deux s'apprête à être transmise dans les dix ans à venir. S'apprête : tout est - normalement - dans ce verbe : transmettre, c'est prévoir.

Prévoir est même la clé de toute transmission réussie. Et si c'est vrai pour toute taille d'entreprise, c'est encore plus vrai lorsque ladite entreprise est une locomotive dans son secteur et qu'elle draine avec elle tout un tissu de partenaires, sous-traitants, fournisseurs.

Et la France a longtemps souffert de la perte de ses ETI. Parce que le cadre fiscal et administratif était inadapté, dissuasif même, et c'est ainsi qu'une part de la désindustrialisation s'est opérée.

L'instauration du Pacte Dutreil, en 2003, va changer la donne. Notamment et principalement dans son volet d'exonération des droits de donation ou de succession. Un Pacte qui a permis et permet à ces entreprises, très fortement implantées dans les territoires, de ne pas perdre le fil familial, ni capitalistiquement, ni dans la vision du développement.

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Plus de 10.000 emplois créés dans le Sud

Aujourd'hui, la France compte 5.400 ETI qui emploient 3,4 millions de salariées pour un chiffre d'affaires de 1.000 milliards d'euros. Des entreprises majoritairement à actionnariat familial, avec des capitaux français, ainsi que le précise l'étude menée conjointement par KPMG et le METI, le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire. Des réussites tricolores venues de l'industrie, de la chimie, de l'immobilier, de la logistique... « Dont la particularité est de prendre toute leur place dans la relance. La clé, c'est de les faire émerger », indique Pierre-Laurent Soubra.

Le Sud qui a apporté sa pierre à l'édifice. Avec près de 250 ETI, Provence Alpes Côte d'Azur présente un tissu économique très diversifié, très industriel aussi.  Que confirme, avec des chiffres, le Directeur KPMG Région Sud-Est en charge des ETI.

« La dynamique de création nette d'emplois des entreprises de taille intermédiaire dans notre pays est particulièrement forte sur le bassin méditerranéen. Malgré les crises successives, entre 2009-2019, les ETI ont créé 4.730 emplois à Aix-en-Provence, 4.148 à Cannes, 3.978 à Marseille et plus de 1.085 à Nice. Ces bons chiffres témoignent concrètement de leur résilience, de la conjuguaison à la fois d'une vision de long terme et d'un esprit de conquête qui ne faiblit pas. Au cœur de cette dynamique, il y a clairement un actionnariat familial très attaché au territoire et à ses écosystèmes. C'est pourquoi nos ETI doivent pouvoir se transmettre et faire émerger la relève, comme l'ont fait Ragni, Proman, La Compagnie Fruitière ou bien Groupe Nicollin par exemple, qui sont des modèles en la matière ».

La transmission, un sujet humain

Des modèles certes mais qui ont toutes un point commun, c'est d'avoir anticipé, préparé la transmission. Car on ne transmet pas du jour au lendemain (sauf circonstances exceptionnelles) ni en deux ans. Une dizaine d'années est le temps considéré comme normal et nécessaire pour que le changement de rênes se fasse dans les conditions les plus optimales possibles. « La transmission est avant tout un sujet humain, avec des questionnements qui se posent : qui pour reprendre ? Est-on sûr d'avoir le bon profil ? Certains sont prédestinés à la reprise de la direction de l'entreprise depuis toujours, d'autres vont vivre des expériences ailleurs avant de revenir dans l'entreprise familiale », souligne encore Pierre-Laurent Soubra.

A distinguer aussi, la direction de l'entreprise et l'actionnariat de celle-ci. Certains peuvent être présent au second et pas au premier.

Pacte Dutreil : insuffisant ?

Si on a bien compris qu'il y a un avant/après Pace Dutreil, pour autant, celui-ci est-il suffisant ? Répond-t-il véritablement aux enjeux de transmission ?

Car il ne s'agirait pas de passer à côté de celle que l'étude KPMG/METI appelle « la relève ». Cette nouvelle génération qui arrive avec sa vision, sa perception, qui a intégré de nouveaux codes, notamment en termes de marketing ou de communication. Sauf que le Pacte Dutreil, s'il a assoupli le cadre, est encore considéré comme complexe. Trop. 20% des entrepreneurs interrogés dans le cadre de l'étude KPMG/METI soulignent la difficulté à le mettre en œuvre. A la question « l'environnement juridique et fiscal est-il favorable aux transmissions d'entreprises », 60% répondent par la négative.

La lourdeur, la place laissée à l'appréciation de l'administration, le coût considéré comme encore trop élevé sont pointés par les chefs d'entreprises et continuent d'être des freins, malgré tout. Et de fait, un regard ailleurs, vers l'Allemagne - tant citée en exemple - ou l'Italie permet de souligner les différenciations qui existent. « Ces pays sont meilleurs que nous. Si on benchmark, on compare les 5.500 ETI françaises aux 13.000 ETI allemandes. L'Allemagne a su davantage les considérer, mieux les faire émerger ». Pierre-Laurent Soubra de souligner que si bien sûr, la question de la transmission est le sujet des ETI, c'est aussi le sujet des grosses PME.

Laisser le tigre rugir

Pour faire bien et plus attractif, il faudrait ainsi adapter certaines dispositions du Pacte Dutreil, notamment « accorder un abattement supplémentaire qui s'inscrirait dans un temps plus long, à condition d'avoir, par exemple, anticipé la transmission encore plus tôt ». Autre piste d'amélioration, l'accès à un paiement différé sur les droits de transmission, qui serait sans coût pour l'Etat mais qui accorderait de la souplesse à l'entreprise. Et puis, sécuriser, sécuriser encore davantage. « Le dispositif est imprécis ce qui laisse une trop large place à l'appréciation de l'administration », regrette Pierre-Laurent Soubra. Souhaiter encore plus d'entreprises de taille intermédiaire en France ne doit donc pas être une simple incantation, ni un vœu pieux. « Les ETI sont le tigre dans le moteur de l'économie ». C'est donc un vrai sujet de stratégie économique. Avec tout ce que cela comprend.

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