Comment Lemon Tri met la gestion des déchets au service de l'insertion... et du territoire

Née en Île-de-France, cette entreprise accompagne les entreprises dans la gestion de leur déchets, de la sensibilisation au tri en passant par la réduction de la production de ceux-ci. Un positionnement distinct des opérateurs classiques, qui lui a valu une croissance très rapide. A Paris mais aussi à Marseille, où l'entreprise dispose d'une antenne depuis 2018. Une antenne déjà bien intégrée à l'écosystème local.
(Crédits : DR)

Il ne lui a fallu que quelques mois pour apprivoiser la presse à balle horizontale, cette imposante machine qui permet de compacter les déchets au bon format avant de les envoyer au recyclage. Cheveux frisés décoloré sur le dessus, Sarodibi a 19 ans. Originaire de Madagascar, il est arrivé en France en 2020 et a rejoint Lemon Tri sur recommandation de Pôle Emploi. Pour se familiariser au monde du travail français. Pour apprendre des compétences. « Ce n'est qu'un passage avant de trouver un vrai emploi, un CDI », a-t-il compris. « Mais ça me plaît beaucoup. Ce travail m'a sauvé la vie ».

Lemon Tri est une entreprise d'insertion par l'activité économique, à distinguer d'un chantier d'insertion qui accueille des publics plus en difficultés. « Nous sommes un tremplin pour des personnes éloignées de l'emploi », explique Guillaume Pellegrin, directeur de la structure marseillaise. Des personnes qui pourraient légalement rester deux années ici, comme cela se passe dans la plupart des entreprises d'insertion. Mais ici, on choisit de se séparer au bout de huit mois. Pas plus, pas moins. « Il y a quatre mois de découverte puis quatre autres de démarches pour trouver un emploi ». Aller vite, accompagner efficacement pour permettre à un maximum de personnes d'entrer et sortir. Voilà l'idée.

A l'origine du projet, deux hommes : Augustin Jaclin et Emmanuel Bardin. Amis d'enfance, ils fondent Lemon Tri en 2011 après avoir achevé leurs études. Inspirés par des pays où la consigne reste présente, ils décident de donner du peps au recyclage en France et d'encourager la pratique du tri hors du domicile, les citoyens étant habitués à trier chez eux mais peu sur leur lieu de travail faute d'équipements pour le faire. Pour encourager ces nouvelles pratiques, ils mettent au point des machines qui donnent la part belle au jeu. Ils communiquent à grand renfort de jeux de mots, parodiant notamment des affiches de films -E.Tri, le Tritanic, le Loup de Wall Tri ...- pour rendre le tri plus attractif. Ce n'est qu'en 2016 que l'entreprise se lance dans l'insertion, portée par son succès commercial qui ne fera que se confirmer ensuite, y compris à Marseille où l'entreprise dispose depuis 2018 d'une antenne.

Pilotage de A à Z de la politique déchets de ses clients

Le succès de Lemon Tri repose sur plusieurs facteurs. Des facteurs externes : une prise de conscience croissante, accentuée au moment du covid-19 ; et, à Marseille, l'abandon par la Métropole de ses compétences de collecte des déchets des professionnels, ce qui ouvre une brèche pour les acteurs privés.

Mais si Lemon Tri enchaîne les contrats (CMA-CGM, Constructa, groupe Accord, Crous, des réseaux d'Ehpads ou encore divers festivals), c'est aussi parce que son offre se distingue de ce qui prévaut sur le marché. Son modèle économique est innovant. Ici, ce ne sont pas les volumes de déchets collectés chez les clients qui comptent. On n'achète pas de déchets. On facture un service de collecte, certes. Mais le modèle économique repose surtout sur l'accompagnement de ses clients. « On pilote toute leur politique de gestion des déchets », du bilan au tri en passant par la sensibilisation des équipes. Une approche qui, d'un point de vue environnemental, apparaît plus soutenable. « On aide nos clients à réduire la quantité de déchets qu'ils produisent ». D'autant plus utile lorsque le coût d'enfouissement des déchets ne cesse d'augmenter. « En 2022, le coût de l'enfouissement a augmenté de 15 %. Les pouvoirs publics sont en train de rendre cela prohibitif ». Au profit du tri sélectif pour le recyclage et le réemploi des déchets.

Recyclage et réemploi que Lemon Tri rend possibles grâce à un large réseau de partenaires : les Alchimistes, spécialistes des déchets alimentaires ; ou encore le chantier d'insertion AMR Eco Services qui récupère des cagettes usagées.

Créer des synergies autour de l'économie circulaire

Des partenaires avec qui - pour certains - l'entreprise d'insertion aimerait aller plus loin, avoir plus d'impact sur le territoire. « Avec des acteurs comme Les Alchimistes, La Varappe, Readificare, ou encore des collectifs d'artistes, nous travaillons depuis quelques temps sur un projet qui permettrait de créer des synergies dans l'économie circulaire et de mutualiser des espaces ». Des espaces qui pourraient être éparpillés sur le territoire marseillais pour atteindre une surface globale de 15.000 mètres carrés. « On pourrait mettre en commun des machines, des espaces, développer l'insertion par l'activité économique et s'ouvrir davantage aux quartiers ». Avec, pourquoi pas, un service de collecte à vélo qui permettrait de répondre aux besoins des entreprises se situant en zone à faibles émissions.

L'heure est à la recherche de foncier. « Nous sommes également accompagnés par le LICA pour la gouvernance du projet ». Projet qui dispose d'ores et déjà du soutien de la Ville de Marseille, de la Métropole et de l'État.

Car l'idée est bien d'utiliser l'économie circulaire comme moteur économique du territoire. Avec à la clé, la potentielle relocalisation de certaines activités. « Avant, nos machines pour la consigne étaient faites à l'étranger. Maintenant, c'est l'entreprise Pellenc [entreprise vauclusienne fabriquant des engins agricoles essentiellement, ndlr] qui s'en charge ». Et l'entrepreneur d'imaginer à terme la mise en place d'une filière de fabrication et de maintenance qui reposerait sur des salariés en insertion à Marseille.

Vers une entreprise d'insertion "libérée" ?

L'antenne marseillaise a en effet de quoi se projeter. Cinq ans après sa création, elle compte 35 salariés dans ses effectifs dont 13 en insertion, avec un taux de sorties positives (retour vers l'emploi ou la formation) oscillant entre 80 et 90 %. Pour ce qui est de son chiffre d'affaire, il s'élève à environ 2 millions d'euros annuels, soit un quart du chiffre réalisé à l'échelle nationale.

Une croissance rapide, qui conduit Guillaume Pellegrin à s'interroger sur le management à impulser dans les prochaines années. « Quand une entreprise de cette taille veut progresser, elle a tendance à tout vouloir structurer, hiérarchiser ... C'est un écueil que j'aimerais éviter ». A la place, il suggère le concept d'« entreprise libérée » fondée sur « des équipes pluridisciplinaires qui gèrent chacune tout un périmètre ». Une façon d'analyser avec plus de précision les problématiques de l'entreprise et d'y répondre de la façon la plus pragmatique possible ; tout en impliquant chacun dans la recherche d'emploi et de formation pour les salariés en insertion. Si le concept d'entreprise libérée est en vogue dans l'univers des startups, il l'est moins dans celui de l'insertion où une part significative de l'effectif n'est que de passage. L'occasion rêvée d'expérimenter.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.