Levées de fonds dans le Sud : accélération ou décélération ?

Classée 5ème région française pour ce qui concerne le nombre de levées de fonds réalisées en 2022 selon le baromètre In Extenso Innovation Croissance, Provence Alpes Côte d’Azur est cependant hors Top 5 lorsqu’il s’agit de considérer les montants obtenus, se faisant dépasser sur ce point par Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine si l’on regarde le prisme régional. Le Sud qui confirme ses filières primordiales telles que la santé, l’énergie et le logiciel. Qu’attendre, dans un contexte global de rationalisation, de 2023 : un Sud résilient ou un Sud qui décroche ?
(Crédits : DR)

Le baromètre, bilan de l'année écoulée, est toujours un indicateur extrêmement observé pour ce qu'il dit des grandes tendances, de la conjoncture globale, mais aussi des signaux faibles. Dans un contexte national de volonté gouvernementale de Startup Nation et alors que les French Tech se sont davantage structurées, mais aussi dans un environnement économique global plus tendu, où les valorisations démesurées qui ont souvent trusté l'attention sont aujourd'hui plus en accord avec une certaine réalité, l'analyse des opérations de levées de fonds est forcément source d'enseignements.

Le Sud, bon et mauvais élève à la fois

Le baromètre récapitulatif de 2022, publié conjointement par In Extenso Innovation Croissance et Essec Business School distille donc quelques éléments qui portent à réflexion.

En tenant compte déjà des résultats « bruts ». Où Provence Alpes Côte d'Azur occupe - si l'on tient compte du nombre de tours de table réalisés - la cinquième place des régions. Un Top 5 intégré grâce aux 39 deals conclus. En revanche, Provence Alpes Côte d'Azur est absente d'un autre Top 5, celui qui considère les montants obtenus et cela, même si en un an, le nombre de levées supérieures à 5 millions d'euros ont doublé.

Voilà donc pour le décor global. Où il faut aussi considérer que parmi les tours de tables conclus, celui finalisé par ImCheck Therapautics pour 96 millions d'euros fait forcément grimper le tout et porte la région. Voilà qui, quand on y regarde de plus près, constitue un signal faible.

Avec 275 millions d'euros obtenus en près de 40 tours de table et un ticket moyen qui s'élève à 7,4 millions d'euros, Provence Alpes Côte d'Azur ne flamboie pas. Se comporte bien, certes, mais demeure malgré tout dépassée par deux autres régions qui ont mis un coup sur l'accélérateur, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. Deux régions dynamiques, qui sont aussi sur d'autres sujets, des « concurrents » sérieux. Où se pose alors la question de quid de l'environnement du financement de l'innovation pour l'année entamée. Un sujet qui concerne l'ensemble du secteur.

Nouvelle matrice intellectuelle

« Nous aurions pu assister à un arrêt brutal », souligne Noémie Keller, associée et directrice de la région Provence Alpes Côte d'Azur chez In Extension Innovation Croissance. Or, le contexte général s'est révélé plus subtil que cela.

« Le premier semestre 2022 s'est inscrit sur la lancée de 2021, cela a été un trimestre record dans toutes ses dimensions, en termes de levées, de montants, de valorisation. Cependant, tout cela commence à se gripper à l'été, à la fois pour des raisons conjoncturelles et structurelles, avec un coup de frein assez important dès la deuxième partie de l'année, dû à la fois à l'écosystème du contexte spécifique de la levée de fonds mais aussi aux conditions de marché avec la remontée des taux, l'inflation... Tout cela est un mécanisme d'équilibre », précise Noémie Keller. « Et tout cela demande à réfléchir dans une autre matrice intellectuelle ». Une matrice dont les investisseurs n'avaient pas - plus - l'habitude. D'où une décélération. Visible, prioritairement, sur le late stage « là où il y avait toujours plus d'argent, toujours plus de valorisation ». Avec une décélération qui se produit malgré tout en douceur, en volume comme en valeur.

La France qui se comporte comme elle le fait habituellement, en présentant une forme de résistance ou de résilience. Noémie Keller fait remarquer l'effet tampon permis par certains investisseurs, dont Bpifrance, qui « permettent de boucler des tours qui, dans d'autres contextes, ne se feraient pas ». Et aussi le deal flow assez stable des deep tech, ce que confirme la levée de 96 millions d'euros réalisée par Im Check Therapeutics. « Beaucoup de paramètres changent dans un contexte où les acteurs économiques ont du mal à se projeter mais nous n'assistons pas à un effet de correction brutal ». Rien à voir par exemple à ce qu'ont connu les startups au moment de l'éclatement de la bulle internet, alors même que « depuis 2019, nous étions partis dans une dynamique de croissance hors-sol, qui n'avait rien à voir avec ce qui se passait dans l'économie réelle ».

Cela peut-il se produire en 2023 ? « Difficile à dire mais je n'en n'ai pas l'impression », dit Noémie Keller. Qui pointe une obligation certaine, « celle de revoir les logiciels d'analyses », avec un argent qui va être plus rare, plus cher et avec des KPI de suivi de gestion plus stricts. « Mais il y a toujours de l'argent pour financer le capital-risque ».

Où il est question de ces capitaux extra-communautaires - fonds nord-américain ou asiatiques - qui lorgnent sur les pépites tricolores. Et on sait que les temps de crise sont favorables à des opérations d'acquisition stratégiques...

 Deeptech et IA atouts du territoire, mais...

Dans ce contexte général, quid du financement de l'innovation dans le Sud ?  « Un certain effet décrochage s'est confirmé », indique Noémie Keller. Un effet entamé depuis quelques années et qui se voit autant en termes d'opérations que de fonds levés. Car rappelons-le, avec presque 100 millions d'euros obtenus, ImChek Therapeutics joue un peu le rôle de l'arbre qui cache la forêt. « De temps en temps, une grosse opération permet de sauver les meubles en termes d'affichages, mais clairement, la dynamique interroge ». Car les années pré-crise ont permis à d'autres régions de faire preuve de dynamisme et de montée en charge. C'est le cas, notamment, d'Auvergne-Rhône-Alpes et de Nouvelle-Aquitaine. Mais quid alors de 2023 ? Si le contexte global, se durcit, Provence Alpes Côte d'Azur va-t-elle continuer de décélérer ou au contraire, va-t-elle se distinguer comme souvent en repartant dans une dynamique haussière ? « Ce que veulent les fonds c'est davantage de taille critique, de rentabilité, de cash-flow ». Et dans le Sud, l'un des atouts réside dans les deeptech, tissu qui s'est structuré. On retiendra par exemple Hysilabs, qui travaille sur le transport d'hydrogène liquide, basée à Aix-en-Provence ou Mycophyto et ses champignons mycorhiziens capables de nourrir les plantes en nutriments et de revitaliser les sols, installée à Grasse. Le baromètre confirme aussi que la santé, l'énergie et le logiciel demeurent des valeurs sûres. Des filières structurantes du Sud qui ici confirment être des leviers participants au développement économique. Le logiciel, tant du côté d'Aix-Marseille que de Sophia-Antipolis, continue d'être un secteur en pointe, et on n'oublie pas le Var, notamment pour ce qui est cybersécurité avec Egerie, qui vient par ailleurs, de finaliser un tour de table de 30 millions d'euros. L'énergie est un secteur particulièrement présent du côté des Bouches-du-Rhône avec des startups telles que Nawa Technologies, ChargePoly ou Acwa Robotics.

L'intelligence artificielle - qui dispose de sa Maison à Sophia-Antipolis et d'un salon dédié à Cannes, le World AI Cannes Festival, en février - « dispose d'une légitimité internationale qui repose sur l'excellence académique. Le monde entier connaît Sophia-Antipolis pour l'intelligence artificielle. Mais les modèles économiques autour de l'intelligence artificielle et les solutions de startups à base d'IA n'arrivent pas à passer l'échelle de démonstrateur, de POC, de la manipulation d'un certain nombre de données. Il existe un vrai potentiel d'écosystème mais cela va encore mettre un peu de temps à maturer », estime Noémie Keller.

Un dynamisme a retrouver sous peine d'acquisitions possibles

Si les atouts sont là et bien là, sont-ils suffisants pour provoquer ce rebond, pour retourner le décrochage observé en une nouvelle dynamique ? « Il faut un rebond sur des niches techniques ou avec des engagements à impact », indique Noémie Keller. Auquel cas, si ce scénario ne se produisait pas, ce serait alors la porte ouverte à des acquisitions par des groupes étrangers de pépites deeptech qui « ont été soutenues, biberonnées par le financement public, souvent issues de transferts technologiques des meilleurs laboratoires ». Un mauvais momentum alors que ces mêmes pépites ont tout pour réussir. « Cela peut aussi faire du sens, certaines startups qui ont été rachetées ont eu des opportunités de croissance. Il n'y a pas une vérité pour tous. Les entrepreneurs doivent être agiles et prudents à la fois. Les négociations vont être encore plus dures, les valorisations être sous pression. Mais il existe encore beaucoup d'opportunités dans le cadre de France 2030, du Plan de relance européen ». Des soutiens financiers qui peuvent servir de paratonnerre dans un moment complexe.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.