« Les chefs d’entreprises doivent comprendre qu’il faut arrêter d’attendre que l’Etat crée les ressources dont ils ont besoin », (Xavier Ouvrard, PDG Babilou)

Alors que le secteur a évolué au fil des ans, en fonction du contexte sociétal et de société, Babilou, acteur privé né il y près de 20 ans, illustre l’ampleur que recouvre le sujet, allant jusqu’à créer un premier congrès des neurosciences et de la petite enfance à Marseille fin septembre. Pour son PDG, la garde d’enfant c’est beaucoup de services, de l’implication y compris sur le territoire, une vue en 360° et un engagement qui dépasse les frontières de la filière. Sans engagementbashing.
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Babilou Family est née en 2003. En vingt ans, le secteur de la garde d'enfants a évolué. Selon Xerfi, en 2020, le chiffre d'affaires des crèches privées en France a atteint 1,7 milliard d'euros. Dans le contexte actuel, comment va Babilou ?

XAVIER OUVRARD - Babilou c'est 12.000 collaborateurs dans le monde, 1.100 crèches, 50.000 familles accompagnées et un chiffre d'affaires de 800 millions d'euros. Nous sommes leader sur notre métier. Nous sommes très forts en France, en Allemagne et sommes présents à l'international, notamment aux Etats-Unis, en Colombie, en Argentine, au Luxembourg, en Suisse, en Inde... Aujourd'hui, alors que certaines activités vivent des moments difficiles, nous n'avons aucun signal, dans nos différentes géographies, qui vont dans le mauvais sens. Nous avons des listes d'attentes significatives. Le point critique dans ce métier c'est que même lorsque l'on est perçu avec une bonne réputation et un très bon positionnement, il existe un sujet de fond sur le nombre de professionnels diplômés qui arrivent chaque année sur le marché. Ce nombre est inférieur au nombre de places créées, dans un marché où il y a beaucoup de départs à la retraite, en Europe en particulier. Il y a une vraie urgence stratégique sur ce sujet. C'est pour cela que nous avons acquis l'université Paul Strauss, il y a 5 ans. Nous sommes d'ailleurs en train de discuter avec les autorités pour ouvrir une seconde école en Provence, d'ici les deux prochaines années. Les chefs d'entreprises doivent comprendre - et je ne parle pas que pour notre secteur - qu'il faut arrêter d'attendre que l'Etat créent les ressources dont on a besoin, à travers ses universités, tout seul comme un grand. L'Etat français, en particulier, fait plutôt bien son boulot. Les chefs d'entreprises doivent accepter que le temps de l'Etat est un temps long, qui ne correspond pas à nos besoins à court terme. Notre rôle est de pousser l'Etat à travailler sur des sujets de fond. Dans le cas de nos métiers, c'est l'aider à revaloriser les subventions pour que l'on puisse avoir des métiers plus attractifs, mieux payer les professionnels. Ma responsabilité, c'est d'investir dans la création d'écoles de puériculture ou d'universités capables de diplômer des éducateurs de jeunes enfants. Si on arrive à faire les deux, c'est formidable, car la très bonne nouvelle de ce métier c'est que - et c'est maintenant prouvé scientifiquement - la période clé de la vie pour l'apprentissage et assurer l'avenir social et économique d'un pays c'est la petite enfance, de 0 à 6 ans.

Notre second défi est de prouver ce que l'on fait. A la fois sur la qualité de nos établissements, mais aussi sur le parcours éducatif des enfants. On doit avoir un curriculum éducatif pour prouver aux familles que ce que, eux, perçoivent comme des différences ou des inaptitudes peut se corriger par un parcours éducatif adapté.

Vous évoquez beaucoup la notion de services. Que cela signifie-t-il précisément ?

Servir est un mot magnifique. Servir c'est apporter aux familles un engagement qui est puissant en termes de capacité à développer harmonieusement leurs enfants. Pour cela, les familles doivent avoir accès à ce que l'on fait. Nous avons, pour cela, investit dans des solutions technologiques que nous développons en interne - nous possédons une équipe de 40 personnes dédiée au développement de solutions - comme par exemple avec cette application qui permet de suivre en temps réel ce qu'il se passe dans l'établissement, d'avoir des infos sur les ateliers qui se sont déroulés dans la journée... Aujourd'hui, nous sommes la seule entreprise au monde à permettre aux parents qui se connectent sur notre site internet de connaître en temps réel le nombre de places disponibles. Nous proposons aussi - et c'est ce qui a été le point de progression ces dernières années - des services additionnels, comme la garde d'enfants, le recours à une assistante sociale pour des problématiques familiales...

Cette notion de services sort du cadre de la garde d'enfant. Elle peut aller jusqu'au où ?

Ça peut aller jusqu'au soutien scolaire par exemple. Dans certains pays, nous proposons de l'after school. En Hollande, pays où l'école s'arrête à 13h, nous accueillons, par exemple, les enfants l'après-midi. Nous avons ouvert 90 centres en Hollande ainsi qu'au Luxembourg, que l'on développe sur les pédagogies mises en place pour le 0-6 ans. A Marseille, on développe un partenariat avec Synergy Family. Si Synergy Family estime qu'il y a un besoin de places de crèche dans des quartiers où Babilou ne peut pas aller parce qu'il n'y a pas ou peu d'entreprises, nous mettons à son service, nos compétences, nos technologies, notre université interne. A l'inverse, si nous avons besoin d'after school, nous pouvons demander à Synergy Family de pouvoir offrir ce service aux familles qui en ont besoin. Pour moi, nous arrivons à un point dans l'économie des services, où toutes les barrières, entre public, privé, associatif... doivent être revues. Le véritable sujet c'est de servir le client.

Concernant le recrutement, comment rendre le métier attractif ?

Il faut correctement rémunérer les salariés. Nous avons signé un accord pouvoir d'achat qui anticipe l'inflation. Et les salariés ont été augmentés un peu au-delà de l'inflation, autour de 8% quand l'inflation est à 6%. Cela rogne un peu nos marges, mais ce coup d'avance renforce la confiance des collaborateurs. Il faut travailler sur des modèles de rémunération. Il faut aussi faire comprendre aux Etats qu'ils doivent flécher davantage de moyens sur l'activité de la petite enfance. Les modèles de subvention doivent prendre en compte les niveaux de rémunération. C'est le cas en Allemagne, où le niveau de subvention est extrêmement vigilant sur le type de niveaux qu'ont les salariés et le niveau de rémunération. Et cela est valable pas uniquement dans notre secteur.

L'autre levier, c'est la formation. La rémunération seule ne suffit pas. L'épanouissement au travail est important et cela passe par la culture managériale, écouter, proposer un horizon de carrière...

Un autre sujet est une problématique forte, celle de l'énergie. Comment on concilie hausse des coûts, sobriété et activité de service ?

Sur ce sujet, je me suis beaucoup remis en question. J'ai notamment passé un an à la Convention citoyenne pour le climat. Cela a changé ma perception du monde, j'ai découvert l'ampleur de la crise, de façon documentée, et des pistes d'amélioration. Nous travaillons sur l'empreinte de nos établissements - on chauffait déjà nos crèches à 19° - via du zéro carbone, du bâtiment neutre et du zéro artificialisation des sols. C'est du temps long. Nous travaillons également sur la transformation des déchets, c'est-à-dire les couches, en matériaux de construction. Cela deviendra des matériaux d'isolation pour les toitures. Ce que l'on gagnera en revendant ces déchets sera réinvesti dans des systèmes de chauffage plus responsables. Nous travaillons également sur le transport des collaborateurs entre leur domicile et le travail, avec un système qui envoie des pushs aux collaborateurs dès qu'un établissement ouvre près de chez eux, avec l'autorisation de changer de l'établissement. Concernant la facture de l'entreprise dans son compte d'exploitation, nous avions une bonne couverture énergie jusqu'à cette année. Nous nous faisons accompagner par un professionnel du sujet et nous allons nous engager sur des contrats de 3 ans encore. Et mon conseil aux entrepreneurs est de ne pas laisser la direction des achats gérer seule ce sujet. Le risque est trop grand d'y aller tout seul.

Babilou est également dotée d'une Fondation d'entreprise. Quel est son objectif ?

Je ne crois pas aux fondations gadgets. On parle du greenwashing mais on peut aussi faire de l'engagementwashing. La présidente est la directrice de l'éducation du groupe, celle qui gère le cœur du métier et cela représente 1/3 de son temps. Nous travaillons sur 4 axes dont la santé - via notamment un partenariat avec Gustave Roussy, centre spécialisé sur le cancer des enfants - la recherche, dans les neurosciences en particulier sur du financement de programme de recherche. Nous mettons nos crèches à disposition avec l'accord des familles pour que des programmes aient lieu dans nos établissements afin de prouver des choses. Le troisième est l'environnement, en partenariat avec l'OFA. Le quatrième axe est le social, sur ce point nous travaillons sur l'insertion des réfugiés et leurs enfants. Nous avons intégré des familles syriennes en Allemagne dans nos établissements et avons participé au programme de formation à la langue allemande pour les familles. Lors de l'arrivée des Ukrainiens en France nous avons participé avec Corsica Linea, à Marseille, à l'établissement d'une crèche dans le paquebot ukrainien. C'est la fondation qui finance tout cela. C'est notre participation à la cause. J'accueille moi-même une famille ukrainienne et je ne suis pas le seul. Nous sommes plusieurs à prolonger notre engagement dans notre vie personnelle. Les chefs d'entreprises ne peuvent pas avoir un discours dans leur vie professionnelle et une autre attitude dans leur vie privée. Nous allons être de plus en plus traqués sur cette cohérence et je le comprends.

Vous avez organisé un événement, dernièrement à Marseille, sur les neurosciences. Quel est votre objectif avec ce type d'événement ?

Je suis comme Obélix, je suis tombé dans la marmite Marseille et je ne m'en suis pas remis. Le Plan Marseille en Grand est une synthèse de toutes les problématiques majeures de société pour réussir dans l'éducation : de la grande pauvreté, de la violence... des sujets graves pour remettre l'égalité au centre du jeu. Mais il y également un boum économique et culturel unique en France. J'habite le territoire - je ne suis pas de Marseille - et j'avais envie que ce premier congrès ait lieu sur un territoire que je connais. Les neurosciences sont en train de bouleverser, l'éducation, en particulier dans la petite enfance. Il faut ouvrir plus de crèches pour que les enfants des familles éloignées de la culture, de l'apprentissage puissent entrer ensuite plus facilement dans l'apprentissage scolaire. Je n'ai pas dit que je voulais que ce soit des crèches Babilou, là n'est pas le sujet. Il faut investir sur l'éducation de nos enfants. Dans 20 ans, il sortira de Marseille, la jeunesse créative du pays.

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