Comment Mailoop fait « parler » les boîtes mails (qui disent tout du fonctionnement interne des entreprises)

Née en région parisienne, désormais installée dans le Sud, près d’Aix-en-Provence, la startup créée par Arthur Vinson, ancien ingénieur dans le bâtiment avant de passer par la case codage, a pour ambition d’aider les entreprises à mieux gérer leurs mails en interne. Considérant ceux-ci comme un levier de gestion des ressources humaines et non plus seulement comme un sujet technique. Une levée de fonds d’un million d’euros est en cours pour passer « à une autre dimension ».
(Crédits : DR)

Petit déjà, Arthur Vinson était un curieux. Du genre touche-à-tout, qui apprend en manipulant. En faisant du bricolage, de la mécanique, puis en pianotant sur les touches d'un ordinateur, explorant avec fascination les premiers sites internet.

Quelques années plus tard, ce sont des matériaux de construction qu'il ausculte.

Après une formation d'ingénieur, ce jeune parisien entre chez Lafarge. « C'était la période du Ductal, un béton hyper innovant que tous les architectes voulaient ». Nous sommes à la fin des années 2000 et le cimentier veut entamer sa transition vers une construction plus durable. Consacrant pour cela d'importants moyens à l'innovation. « On essayait d'inventer de nouveaux matériaux, y compris biosourcés. C'était grisant ». Mais lorsque sonne l'heure de la fusion avec le géant Holcim, l'enthousiasme d'Arthur Vinson retombe. « J'ai vu à quel point d'aussi grosses entités peuvent broyer les hommes. Je n'ai pas cru à cette fusion. Cela n'a pas de sens de vouloir être toujours plus gros ». Surtout, l'innovation est passée au second plan. L'ingénieur s'en va. Avec sous le bras une envie d'entreprendre qui l'accompagne depuis quelques temps déjà.

Après une année de voyages, il finit par s'y pencher sérieusement. Il triture les besoins du marché, décortique ses envies. Et griffonne sur un cahier les idées qui traversent son esprit, ses observations... Sans savoir que l'une d'entre elles germera et transformera sa vie.

Les mails : pierre angulaire de la vie en entreprise

« En entrant dans le monde du travail, je me suis rendu compte que les mails cristallisent toute la vie d'une entreprise. Tout tourne autour d'eux : les discussions devant la machine à café, les disputes, les incompréhensions... Dans les mails, on se dit parfois des choses très dures, qui laissent des marques ». Sans parler des enjeux liés à la déconnexion.

Pourtant, personne n'y est préparé. « Au cours de mon parcours scolaire, j'ai dû avoir au moins dix formations de prise de parole en public alors que cela ne représente qu'une part infime de ma vie professionnelle. A l'inverse, j'ai passé la moitié, voire deux tiers de ma vie professionnelle à consulter et rédiger des mails, et je n'ai jamais reçu aucune formation théorique sur cela ». L'apprentissage se fait alors par imitation, disséminant forcément quelques mauvaises habitudes.

Alors au manque de formation, Arthur Vinson répond par l'information. « Mon idée, c'était qu'en étudiant le flux des mails, on comprenne mieux le fonctionnement d'une organisation et qu'on invente des mesures du stress numérique, du risque d'épuisement professionnel. Qu'on observe l'organisation réelle de l'entreprise, qui ne coïncide pas forcément avec son organigramme. Les relations peuvent par exemple être horizontales dans les intentions, mais verticales en réalité ; et inversement ».

De la donnée à l'expertise

Après neuf semaines de formation au sein du Wagon, l'entrepreneur replonge avec entrain ses mains dans le cambouis informatique. Entamant en 2016 la traduction de son idée en codage.

En 2017, une première version de Mailoop est testée auprès d'une première PME. « Les retours étaient positifs. Et on a gagné notre premier concours de startup ». Malgré un tempérament plutôt averse au risque, Arthur Vinson croit désormais plus fermement au potentiel de son projet. Il se lance pleinement dans l'aventure entrepreneuriale.

2018 : les premières preuves de concept sont vendues ; Arthur Vinson rencontre ceux qui deviendront ses investisseurs et associés. 2019 : les premiers vrais produits sont mis sur le marché. La jeune pousse grandit. Avant de devoir marquer un arrêt en 2020 lorsque surgit l'épidémie de covid-19.

C'est l'occasion de prendre du recul. De se projeter. « Nous nous sommes rendu compte que nous pouvions capitaliser sur notre expertise », une expertise qui s'appuie sur la masse de données collectées et analysées jusqu'alors, ainsi que sur tous les ateliers mis en place pour aider les entreprises à mieux gérer les emails et leurs impacts.

Un programme de formation est alors enclenché. Et la startup tente d'avoir un impact sociétal en mettant sa donnée à profit d'une meilleure compréhension de certains enjeux de société.

Quand les mails éclairent sur les inégalités de genre

« En nous appuyant sur 50 millions d'en-tête de mails, nous avons par exemple mis en place un lab sur l'égalité entre les femmes et les hommes ». Seize experts reconnus par leurs pairs sont mobilisés, réunis de façon hebdomadaire pendant quatre mois pour analyser les données recueillies par la startup. Avec plusieurs enseignements à la clé.

« Nous nous sommes par exemple rendu compte que les femmes managers envoient 66 % plus de mails que les hommes tard le soir ». Une façon de donner corps, par des chiffres précis, à la fameuse « double journée » des femmes, contraintes d'assumer la plus lourde part des tâches ménagères et éducatives en fin d'après-midi et début de soirée, et donc de reporter à tard le soir la clôture de leur journée de travail.

L'étude des mails a aussi permis de voir que durant leur congé de paternité, les hommes sont aussi sollicités qu'en temps normal. « Cela interroge : on leur donne 30 jours de congés, mais est-ce qu'on les permet vraiment d'exercer ce congé ? ». Côté femmes, celles-ci voient doubler la quantité de mails reçus en amont de leur congé maternité, signe d'une pression accrue qui peut poser là aussi question. « On remarque aussi qu'elles envoient à nouveau des mails trois semaines avant la fin de leur congé pour préparer leur retour ». Des informations précieuses pour les entreprises. De même que pour l'évaluation des politiques publiques.

Une accélération entamée

En mettant en avant son expertise et sa capacité à faire parler les boites mail des entreprises, la startup gagne en visibilité. En 2021, elle réajuste son modèle économique. Son offre se clarifie. Elle propose aux entreprises une étude annuelle nourrie de données récupérées en continu. Avec pour valeur ajoutée la possibilité de se situer par rapport à d'autres entreprises similaires.

Mailoop peut accélérer. Un quatrième recrutement est en cours. Et si l'autofinancement a été de mise jusqu'à maintenant, une levée de fonds d'un million d'euros doit être menée dans les prochains mois pour passer à une équipe de 9 personnes et « acquérir une autre dimension ».

Sa cible : les cabinets de conseil à qui il s'agit de donner des outils prêts à l'emploi dans leurs missions d'accompagnement des entreprises.

Déjà, la startup compte parmi ses clients des cabinets tels que Mazars, mais aussi Dalkia, le Ministère de la Transition écologique, la Région Normandie ou encore la Direction générale de la Gendarmerie Nationale. Des acteurs que Mailoop a su convaincre grâce à la promesse de sécurité vis-à-vis des données collectées, hébergées en France. Il a aussi fallu convaincre les salariés de l'intérêt de l'outil, dont la vocation est d'améliorer la qualité de vie au travail, et en aucun de faire « du flicage ».

Arthur Vinson

Arthur Vinson, du bâtiment au codage ou comment faire des boîtes mails des leviers de la gestion RH

En quête d'un enracinement provençal

Désormais, l'enjeu est de trouver de trouver ses marques dans une région nouvelle. C'est parce que son épouse y a trouvé une opportunité professionnelle qu'Arthur Vinson a emménagé à Saint-Marc-Jaumegarde. Et avec lui son entreprise. « Je me suis immédiatement inscrit au sein de l'Accélérateur M. Je suis aussi membre d'Aix-Marseille French Tech et de Medinsoft ». Ce qui lui a permis d'étoffer son réseau, mais pas sa clientèle locale. « Cela prend du temps. Notamment parce qu'ici, contrairement à Paris, les événements autour de l'entrepreneuriat sont assez généralistes. Il n'y en a pas vraiment qui soient consacrés aux ressources humaines ». Il persévère, convaincu que sur un marché à évangéliser, l'ancrage à un réseau local -à travers des clients ambassadeurs- est primordial.

A terme, un déploiement à l'international n'est pas exclu. Mais il est loin d'être une priorité. « Je suis adepte d'une croissance raisonnée et préfère ne pas brûler les étapes. Le marché français est déjà monstrueux. On peut y multiplier par dix notre chiffre d'affaires ». Arthur Vinson se montre par ailleurs prudent vis-à-vis de l'interprétation qui pourrait être faite de son outil dans d'autres contextes socio-culturels. « Une fois, un Américain a semblé très intéressé par Mailoop. Mais ce qu'il avait en tête, c'était de faire du flicage de salariés. Ce que nous ne voulons surtout pas ».

L'ingénieur entrepreneur compte bien garder la maîtrise de son ouvrage. Pour ériger une startup solide. Fidèle à l'idée qu'il s'en était faite.

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Commentaire 1
à écrit le 05/10/2022 à 4:14
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Il sort du moule le genie, il ignore que ces grands groupes sont pour la plupart prives, donc aux mains d'actionnaires. L'homme n'est qu'un outil.

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