Soumise à un contexte économique tendu, la Laiterie Marseillaise continue de militer pour une alimentation durable

Installée au cœur de Marseille, cette entreprise de quatre salariés produit ses propres produits laitiers qu’elle vend aux côtés de fromages issus de petits producteurs français. Après un démarrage marqué par le covid et une explosion de la demande, l’entreprise pâtit d’un contexte désormais moins propice à sa démarche. D’où l’enjeu de sensibiliser plus encore, par exemple à travers la mise en place d’ateliers de fabrication pour petits et grands.
(Crédits : DR)

Réception du lait. Caillage. Affinage. Découpage. Emballage... Voilà plus de deux ans et demi que ces tâches ponctuent le quotidien de la Laiterie Marseillaise, située entre le Vieux-Port et l'Abbaye Saint-Victor dans le centre de la Cité phocéenne.

Ici, on vend des fromages venus de petits producteurs des quatre coins de la France. Des tommes, du camembert, de l'Abondance... Mais aussi des productions maison, réalisées en toute transparence derrière la baie vitrée d'un atelier attenant à la boutique. De la mozzarella, une version locale du halloumi, du fromage persillé, du beurre... Ainsi que des yaourts aux saveurs toutes méditerranéennes : à la tagète - une plante locale dont le goût rappelle celui du fruit de la passion -, à la calamenthe ou encore à la verveine.

Une production qui s'appuie sur du lait sélectionné auprès de trois producteurs, selon un cahier des charges strict, et en contrepartie d'un prix bien supérieur à celui du marché.

Car dans un écosystème dominé par des géants de la transformation, les deux dirigeantes ne veulent pas se placer en donneuse d'ordres. « Ce serait inconcevable de participer à ce système de dingue qui impose à des gens de ne pas vivre de leur travail », pense Audrey Emery qui a cofondé la Laiterie après huit années dans la politique, notamment comme assistante parlementaire.

Une démarche qui a un coût, et qui implique des prix un peu plus élevés que ceux habituellement pratiqués sur le marché. D'où le choix de s'installer rue Sainte, dans un quartier où le pouvoir d'achat est relativement élevé. Avec la conviction que, évolutions sociétales obligent, les consommateurs seraient de plus en plus prêts à payer un peu plus pour manger mieux.

Pas manqué ! Deux mois après l'ouverture de la boutique, l'épidémie de covid-19 borne nos déplacements à un kilomètre à la ronde. On se recentre sur soi, sur sa famille, sur son logement. Mais aussi sur son assiette que l'on entend rendre plus savoureuse et plus responsable.

Le locavorisme pénètre de nouveaux foyers. Et on redécouvre les commerces de proximité.

C'est là que des files d'attente se forment au seuil de la Laiterie Marseillaise.

Une demande pandémique ...

« Les quinze premiers jours de confinement, les habitants sont restés plutôt calfeutrés. Puis la demande a explosé. On n'était pas rodées. Le matin, à l'ouverture, il y avait déjà trois ou quatre familles qui faisaient la queue ». Les deux entrepreneuses doivent même ruser pour trouver le temps de prendre leur pause déjeuner.

Heureusement, l'approvisionnement est suffisant. Reste à régler les aléas liés à la livraison mais elles y parviennent tant bien que mal, quitte à mobiliser l'entourage. « Je faisais une attestation de déplacement à mon père pour qu'il nous rapporte les sceaux de lait », se rappelle avec amusement Audrey Emery.

En 2020, la Laiterie réalise ainsi « un chiffre d'affaires inespéré ». Mais dès l'automne 2021, l'euphorie se tasse. L'inflation. La hausse des coûts de transport. La guerre en Ukraine. « Le cours du lait a augmenté. Nous n'avons pas répercuté ces hausses de prix sur nos productions maison mais nous avons été obligées de le faire sur nos activités de négoce », activités qui représentent environ 60 % du chiffre d'affaires. Nous travaillons avec plein de producteurs et un grossiste. Ils nous disent qu'ils n'ont jamais vu de telles hausses ! ».

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... Puis la décrue

Et malgré les efforts pour absorber ces dernières, malgré une notoriété accrue, la fréquentation de la Laiterie diminue. « Entre avril et juillet, notre chiffre d'affaires a diminué de 25 % », s'inquiète l'entrepreneuse. Inquiète pour elle et son équipe, mais plus largement pour tout ce courant d'entreprises s'inscrivant dans une démarche d'alimentation durable. Un courant très prégnant dans la Rue Sainte qu'elle occupe. « Les commerçants alentours retrouvent à peu près leur niveau de 2019, mais pas mieuxJe vois aussi beaucoup d'épiceries vrac qui souffrent, voire qui ferment ».

Passé de mode le mieux-manger ? « La vie a repris, les gens n'ont plus autant de temps à consacrer à leurs courses. Ici, on voit bien que ce ne sont plus les mêmes personnes qui viennent. La grande distribution fournit tout, décide tout, et a inculqué l'idée qu'il faut payer toujours moins cher, à tout prix ».

Pas question de se résigner pour autant. La Laiterie continue ainsi d'innover pour pallier la saisonnalité, forte sur son secteur et plus encore dans un quartier où la clientèle a tendance à partir en vacances pendant les beaux jours. « Cette année, nous avons lancé des yaourts glacés ». Elle multiplie aussi ses canaux de distribution ; auprès de ses voisins de la Rue Sainte, mais aussi au travers d'autres partenariats, par exemple avec le réseau de La Ruche qui dit oui à Marseille et Venelles. Elle répond aussi volontiers aux invitations d'événements célébrant la gastronomie ou l'artisanat local.

Des ateliers pratiques pour émerveiller

Une façon de continuer de sensibiliser. Ce qu'elle entend également faire à travers la mise en place d'ateliers pratiques dès cet automne. Ateliers mozzarella ou burrata pour les parents. Et fabrication de beurre pour les enfants. « C'est quelque chose que l'on aurait pu commencer plus tôt. Mais faire de la mozzarella avec un masque, ce n'est pas idéal. Nous avons voulu attendre de pouvoir faire cela dans de bonnes conditions ».

En fonction de la demande, La Laiterie pourrait en proposer jusqu'à cinq par semaine, en soirée. « C'est un complément de revenu mais c'est surtout une façon de parler de fromage, de sensibiliser ». Car c'est là tout l'enjeu de la création de la Laiterie. « Fabriquer en ville, avec toutes les difficultés que cela entraîne en matière de transports, c'est compliqué ». L'intérêt est surtout de permettre à des consommateurs urbains de se rapprocher des bassins de production dont ils sont géographiquement éloignés. D'en saisir tous les enjeux. De s'émerveiller de savoir-faire ancestraux. Et ce dès le plus jeune âge, pour que le mouvement en faveur du mieux-manger ne soit pas qu'une impasse. Mais bien le début d'un chemin qui conduirait à une transformation de nos systèmes d'alimentation.

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