A la tête de la dernière usine à fabriquer du pastis, Maristella Vasserot embouteille une tranche de l’Histoire de la Méditerranée

Cristal Limiñana est une, si ce n’est la, des dernières usines à fabriquer du pastis à Marseille. A sa tête depuis neuf ans, Maristella Vasserot a d’abord dirigé un institut linguistique avant de prendre la direction de l’entreprise familiale. Une entreprise qui raconte un morceau de l’Histoire de la Méditerranée, de la crise économique espagnole à l’Indépendance de l’Algérie.
(Crédits : DR)

Le centre de Marseille a longtemps été industriel. Huileries, savonneries, manufactures de tabac. Puis la plupart de ces entreprises ont fermé. Ou déménagé dans le Nord de la ville, au profit de terrains plus spacieux.

Il en est une, néanmoins, qui a tenu bon. Située à quelques centaines de mètres de l'hôpital de la Timone, accessible aussi bien en tramway qu'en métro - ce dont peut d'usines marseillaise peuvent se targuer - la distillerie Cristal Limiñana continue de tourner grâce à la dizaine de salariés qui, chaque jour, se lèvent pour faire vivre cet univers anisé de 2.300 mètres carrés.

A la tête de l'entreprise, une femme : Maristella Vasserot. « Ici, c'est l'espace de stockage », montre-t-elle, « il est plein comme un œuf. Là, ce sont les cuves. Elles contiennent 12 litres. Certaines sont réservées à l'anis car son goût et son odeur restent pour l'éternité ! ». A côté, la ligne d'embouteillage. « Elle n'est pas de la dernière génération. On n'achète que de l'occasion car le neuf est trop cher ».

Chaque année, un million de bouteilles sortent de l'usine. Un peu de rhum, de la liqueur de thym... Mais ce sont surtout les anisés qui font la renommée de l'entreprise. Le Cristal Limiñana, Le Cristal 100 - son pendant non alcoolisé - et le Pastis des Marseillais, « qui coche toutes les cases du pastis populaire, bon et pas cher ». Trois produits qui représentent 70 % du chiffre d'affaires de la société. Un chiffre d'affaires réalisé en grande distribution comme au sein d'un réseau traditionnel de cavistes et autres épiceries fines.

Long cheveux bruns ondulés, œil noir, Maristella Vasserot ne se prédestinait pas à reprendre l'entreprise familiale. Même si, dit-elle, « j'ai toujours baigné dans cet univers car mes parents avaient du mal à délimiter sphères privée et professionnelle. J'ai toujours entendu parler anisette ».

Distiller les cultures

A l'age des choix d'orientation, elle opte pour les langues. « Je parlais espagnol grâce à ma famille. Et je me suis vite rendu compte que quand je me trouvais en présence de personnes qui parlaient une autre langue, il suffisait que je prononce quelques mots de cette langue pour qu'ils m'ouvrent leurs portes ». Un bonheur qu'elle veut partager avec le plus grand nombre en ouvrant une école de langues. Ou plutôt, « un vrai centre linguistique mêlant cours, médiathèque, activités culturelles, cuisine, cinéclub, conférences... ». Un lieu où la langue n'est plus perçue à travers le strict prisme de la grammaire et de la conjugaison, mais comme une invitation à s'imprégner d'autres cultures. Une manière de mélanger des publics a priori éloignés, « du cadre d'entreprise au jeune décrocheur ».

« C'était mon entreprise modèle. L'entreprise rêvée ». Mais Maristella Vasserot a besoin d'action. Au bout de plusieurs années, elle a l'impression d'avoir fait le tour de son projet. Et craint de le voir « ronronner ».

Elle a quarante ans. Et se rend compte que « quand on a dans la famille une entreprise comme celle-là, elle fait partie de soi. Si j'ai pu manger et faire des études, c'est grâce à elle ». Ses parents sont âgés. Il est temps de prendre le relais. Ce qui est aussi une manière de se reconnecter à ses racines, intimement liées à celles de l'entreprise, et ancrées sur les deux rives de la Méditerranée.

De l'Espagne à Marseille en passant par l'Algérie

L'aventure Cristal Limiñana commence en Espagne, à la fin du 19ème siècle. « Le pays a connu une grosse crise économique et beaucoup ont cherché à faire fortune ailleurs dans le monde ». Son grand-père est de ceux-là et c'est en Algérie, à l'époque française, qu'il trouve refuge. « Il a rejoint un cousin qui avait un bar. Pour les gens qui ont quitté leur pays, il y a deux façons de s'en rapprocher : la musique et la nourriture. Alors les gens leur réclamaient du Paloma, une boisson anisée de notre village espagnol ». C'est ainsi que naît Cristal Limiñana.

En 1962, lorsque l'Algérie retrouve son indépendance, son grand-père décide de partir. Il débarque à Marseille où il rachète la Distillerie de la Méditerranée, sur le site actuel de l'entreprise. Il reprend le portefeuille de marques auquel il ajoute son anisette. « Et il a tout de suite trouvé son public grâce à tous les pieds noirs qui sont arrivés à Marseille en même temps que lui ».

Résister face à des mastodontes

En 1971, il meurt d'un accident de voiture. « C'est ma grand-mère, qui avait 60 ans et n'avait jamais travaillé qui a repris l'entreprise, avec l'aide de son frère retraité de l'armée ». S'ensuit une gestion assurée par la mère de Maristella, professeure d'espagnole, et par son père, professeur d'économie. « Ils ont assuré la continuité pour que l'entreprise reste dans la famille ». Ce qui n'est pas simple face aux mastodontes qui dominent le marché. « On a résisté en cultivant nos différences : l'artisanat, l'authenticité, des recettes qui ne changent pas... Aujourd'hui, une bouteille de Cristal est presque un objet patrimonial ».

Un potentiel que la jeune patronne, lorsqu'elle arrive en 2013, entend bien valoriser. « J'ai tout de suite travaillé sur le numérique et la communication ». Réseaux sociaux, site de vente en ligne... Mais aussi organisation de visites de l'entreprise.

Des visites qu'elle assure elle-même. Et qui l'obligent à comprendre tous les aspects de la vie de l'entreprise. « Je pense que c'est cela le rôle d'une cheffe d'entreprise. On n'est pas obligé de tout savoir. Mais il faut tout comprendre et faire le lien entre tous ».

Ce, dans un esprit qu'elle qualifie de familial. « Tout le monde ici a à cœur de bien faire. Chacun prend des initiatives. Tout le monde comprend bien la complexité à garder une entreprise comme celle-là. Et ils sont heureux de ne pas subir la pression d'actionnaires qui les obligent à cravacher pour faire toujours plus de chiffre ».

Le pari des boissons sans alcool

Communication, management, la patronne s'intéresse aussi à l'innovation en matière de produits. « Gastronome qui adore cuisiner », elle a ainsi lancé un pastis aux plantes de la garrigue, un autre à la vanille et à la cannelle, ressuscité le rhum, et mis au point une liqueur de thym.

Ce qui l'intéresse aussi, c'est la gamme sans alcool de l'entreprise. « Le Cristal sans alcool est né dans les années 1980. Notre bassin de consommateurs pieds noirs, a commencé à vieillir et a dû réduire sa consommation d'alcool, à leur grand désespoir et au nôtre », sourit la cheffe d'entreprise. « C'est pour eux que l'entreprise a créé une version sans alcool mais aussi sans sucre, car certains avaient en plus des problèmes de diabète ».

Puis le spectre des consommateurs de boissons anisées sans alcool s'élargit. Il inclut de plus en plus de jeunes, moins buveurs d'alcool que leurs aînés. De même que des sportifs, « qui ont envie de profiter de la fraîcheur de l'anis sans calorie ».

Convaincue du potentiel de ce marché, Maristella Vasserot lance alors deux produits mêlant à l'anis la menthe et l'orgeat. Elle espère que les cavistes, « dont le métier est en perpétuel renouvellement, seront de plus en plus nombreux à proposer un rayon sans alcool ».

Autre défi : la réduction de l'impact environnemental. Que ce soit par le choix de transports moins polluants ou d'emballages moins nuisibles. « Pour nos bouteilles de petit format, nous utilisons du plastique à base de déchets de canne à sucre ». Mais faute de ligne dédiée, l'embouteillage se fait pour l'heure à la main.

Pour y remédier, il faudrait pousser les murs. Si Maristella Vasserot tient à conserver l'usine -« s'en séparer serait un crève-cœur », elle envisage  de se doter d'un second lieu pour le stockage ou les bureaux ». Un nouvel espace où continuer à écrire l'histoire de Cristal Liminana.

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