Recrutement : le CV, frein à la rencontre entre offre et demande sur le marché du travail ?

EPISODE 1 - Expériences, formation, compétences, hobbies… Le CV s’est imposé comme l’indispensable carte de visite de qui recherche un emploi. Mais les parcours professionnels devenant de moins en moins linéaires, cet outil ne semble plus forcément à même de rendre compte du potentiel réel des candidats. En face, les entreprises des secteurs en tension ne parviennent plus toujours à recruter sur la base de ce seul outil. S’ouvrant indispensablement à de nouvelles méthodes de recrutement.
(Crédits : Creative Commons)

« Les dix commandements du CV », « 5 erreurs à ne pas commettre », « 10 conseils en or pour réaliser un bon CV »... Sur les moteurs de recherche comme sur les étals de libraires, les conseils pour réussir son curriculum vitae - littéralement « déroulement de la vie » - fourmillent tant cet outil s'est imposé comme un sésame de l'entrée en emploi.

Le premier à y avoir pensé serait Léonard de Vinci, en 1482. Dans une longue lettre manuscrite, il démontre point par point au Duc de Milan combien il aurait intérêt à l'embaucher. Construction de ponts, de canons et autres instruments d'assaut. Sculpture. Peinture ... Il décrit une à une ses compétences et la manière dont il pourrait les mettre au service du Duc. Proposant même d'être mis à l'essai.

Si cette lettre fait office de modèle sur certains sites spécialisés, le CV a évidemment bien changé depuis. Finie l'écriture manuelle, remplacée par celle à la machine à écrire puis à l'ordinateur. Désormais, le CV se décline même en format vidéo, en emballage de produit ou en réplique de journal papier. Les candidats devant sans cesse redoubler de créativité pour se démarquer. En particulier sur l'immense scène ouverte que constituent les réseaux sociaux.

Un outil linéaire et des parcours qui le sont de moins en moins

Mais s'il permet à certains de se révéler, le CV s'avère bien moins valorisant pour d'autres, moins à l'aise avec la mise en valeur de soi ou les outils numériques. Par ailleurs, les recruteurs ne passent que quelques secondes sur chaque CV qu'ils reçoivent. Ce qui ne leur permet pas d'évaluer réellement la personne qu'ils sont censés décrire.

Linéaire, le CV tolère par ailleurs mal les parcours qui zigzaguent. Qu'il s'agisse des redoutés « trous dans le CV », comme des changements de métier ou de domaine d'activité. Pourtant, ces changements sont de plus en plus fréquents. Si le CDI a longtemps été une finalité, il ne l'est plus vraiment. De plus en plus de personnes assurent être en quête de sens dans leur travail. Qu'il s'agisse de se sentir utile, d'avoir l'impression d'exprimer pleinement son potentiel, ou de chercher une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Et l'épidémie de covid-19 a accéléré ce phénomène, entraînant une vague de reconversions professionnelles.

Fondatrice de People In, une entreprise originaire d'Avignon à l'origine d'une plateforme de recrutement sans CV, Élodie Serfati confirme ce phénomène. « Avant le Covid-19, je pensais que les profils atypiques deviendraient la norme. Maintenant, j'estime qu'il n'y a plus de profils atypiques, car ceux-ci sont effectivement devenus la norme. Il y a une accélération dans la quête de sens. On parle aux États-Unis de Grande démission. C'est aussi un peu le cas en France, même si ce phénomène se produit de manière moins brusque ».

Face à cela, assure la cheffe d'entreprise, « les process de recrutement classiques sont devenus inadaptés ». En particulier dans les secteurs en tension. « Les entreprises de ces secteurs qui sont très attachées à l'expérience et au diplôme ont beaucoup de mal à recruter ».

En région : 43,7 % des projets de recrutement jugés difficiles en 2021

En Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, on trouve parmi ces secteurs en tension l'hôtellerie-restauration, le bâtiment, la santé, l'aide à la personne, le transport ou encore la logistique. Globalement, d'après l'enquête Besoins en main d'œuvre de Pôle Emploi, sur 256 000 projets de recrutement en 2021, 43,7 % sont qualifiés de difficiles. Un chiffre qui atteint 47,2 % dans le Var, où les besoins concernent alors 50,4 % des emplois saisonniers, notamment des serveurs, des commis de cuisine, ainsi que des viticulteurs et des arboriculteurs.

Pourtant, bien qu'il soit en baisse, le chômage demeure à un niveau non négligeable, s'élevant, selon l'Insee, à 8,3 % lors du dernier trimestre de 2021 en région, contre 7,4 % en France (hors Mayotte). Mais la présence de personnes sans emploi ne suffit évidemment pas à répondre aux besoins de recrutement des entreprises. Tout l'enjeu est de rendre compatibles offre et demande. En permettant aux demandeurs d'emploi d'être embauchés dans un domaine auquel leur parcours ne les prédestine a priori pas. Et en incitant les entreprises à dépasser certaines exigences en matière de qualification.

Priorité aux qualités humaines plus que professionnelles

C'est à cela que s'attellent, depuis les années 1990, les Groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (Gieq). Portés par des entreprises d'un même secteur d'activité, ces groupements disposent du statut d'association dont les membres sont uniquement des entreprises. Leur mission est de mettre en lien des sociétés ayant des besoins de recrutement avec des candidats éloignés de l'emploi qu'elles n'auraient pas rencontrés par les circuits classiques : jeunes sans qualification, réfugiés, bénéficiaires de minimas sociaux... « C'est une solution en ressources humaines gérée et pilotée par des entreprises pour recruter et former du personnel », résume Océane Lantez, déléguée régionale des Geiq en Provence Alpes Côte d'Azur.

Les Geiq portent le contrat de travail et organisent la formation du demandeur d'emploi, en alternance dans une entreprise susceptible de l'embaucher en CDI à la fin du processus. A noter que la région compte 16 Giec auxquels adhèrent 350 entreprises. En 2020, 743 personnes ont été accompagnées par ce biais, dont 68 % ont trouvé un emploi à l'issue de leur contrat.

Considérer que les compétences s'acquièrent. S'appuyer sur les savoir-être, c'est un peu la logique qui sous-tend ce dispositif. Et que partage également le Crédit Agricole Alpes-Provence.

Au Crédit Agricole Alpes-Provence, le CV n'est plus un passage obligé

« Depuis quelques années, la banque est un secteur en tension. Nos métiers ne sont pas spontanément des métiers de désir. Et nous sommes en situation de plein emploi. C'est donc à nous de séduire les candidats », assure Florence Bozec, directrice des ressources humaines au sein du Crédit Agricole Alpes-Provence. Ce qui implique de travailler sur « le marketing de recrutement. On soigne l'expérience collaborateur comme on le fait pour l'expérience client. Il faut que le parcours des candidats soit fluide, rapide ». Et si possible original grâce à toute une panoplie d'outils permettant de détecter les qualités humaines des candidats. Les compétences techniques pouvant  être acquises plus tard, dans le cadre de la formation interne.

Parmi eux, des tests prédictifs (AssessFirst) qui évaluent « la motivation, la capacité d'apprentissage ... Cela nous fournit une ébauche de la personnalité du candidat qui reçoit également les résultats du test et peut y réagir. Ce qui nourrit un véritable échange ». Particulièrement utilisé pour des postes de commerciaux, cet outil permet d'établir une présélection en amont de sessions collectives de recrutement, basées sur des mises en situation suivies d'entretiens plus classiques où le CV peut être dévoilé.

La banque mise aussi sur des rencontres plus atypiques. Notamment via des matchs de football. « Recruteurs et candidats s'affrontent sans savoir qui est qui. Cela permet de faire tomber les barrières et d'évaluer les savoir-être tels que la capacité à aller vers l'autre, à travailler en équipe ou à prendre des décisions ». Ce qui permet de recruter des candidats dont le seul CV n'aurait pas été en mesure de retenir l'attention. Apportant à l'équipe « une diversité très positive pour tous », assure la directrice des ressources humaines. « Nous travaillons notamment avec l'Apels [une association d'inclusion par le sport, ndlr] qui nous aide, à travers le sport, à recruter des profils au parcours scolaire et/ou familial parfois difficile, mais qui font preuve d'un sens du collectif, qui ont envie et sont pleinement engagés. Cela booste l'équipe et améliore l'ambiance de travail ».

Dépasser les préjugés portés par le CV pour se rencontrer

Recruter sans CV : un pari également gagnant pour la société agroalimentaire Agis, à Avignon, qui recourt régulièrement aux services de Gieq pour embaucher. Bien que la phase de formation et d'accompagnement prenne du temps, Christophe Drone, président de la société, se réjouit des bénéfices à moyen terme :« Quand on sort des personnes de la précarité, qu'on les forme à leur poste, qu'on leur donne un CDI, elles deviennent des salariés particulièrement motivés. Dans mon entreprise, la moitié des CDI viennent du Geiq. Il y a de superbes parcours. Je pense par exemple à jeune, ancien militaire, qui a dû arrêter son travail à cause d'une blessure et qui était un peu perdu. On l'a formé au métier de préparateur de commande l'an dernier et maintenant, il est chef d'équipe ».

Preuve qu'en dépassant le seul filtre du CV - du moins pour certains types de postes -, entreprises des secteurs en tension et candidats peuvent finalement parvenir à se rencontrer.

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