Coronavirus : les artisans de bouche entre inquiétude et résilience

Ils sont boulanger, chocolatier, boucher ; à Marseille, Nice, Dignes-les-Bains ou Aix-en-Provence… Ils racontent comment ils vivent la crise et comment ils s’organisent pour continuer à égayer le quotidien de leurs clients confinés.
(Crédits : DR)

Frédéric Roy est boulanger à Nice. Boulangerie Le Capitole, au 78 rue de France. Au lendemain du discours d'Emmanuel Macron du 12 mars, il est stupéfait par la file d'attente devant sa boutique. "Le week-end, les Niçois sont venus faire des réserves. Le nombre de clients a doublé. Et puis la semaine suivante, c'était l'inverse. J'ai été choqué de voir comment les gens ont agi».

De la stupéfaction mais aussi des doutes, beaucoup de doutes. Voilà ce qu'ont ressenti bien des artisans de bouche au moment où le coronavirus est venu frapper la France. Au départ, lorsqu'il ne touchait que la Chine, cela leur paraissait lointain. Puis il est arrivé en Italie. Certains ont commencé à sentir le vent tourner "Nous avions des contacts là-bas", raconte Sylvain Basset, gérant de l'Art de la fromagerie à Marseille. "Avant même les annonces gouvernementales, on savait ce qu'on allait faire. Nous avions déjà franchi quelques étapes en coulisses, pas en frontal, les clients auraient été choqués si l'on était les seuls à le faire".

Puis lorsque le Président de la République annonce la fermeture des écoles et des crèches, il faut gérer l'absence des salariés qui ont besoin de se rendre disponibles pour leurs familles. "Là, ça commence à devenir compliqué, plusieurs de mes salariés sont concernés par cette restriction. Je fabrique artisanalement et vend dans mon propre réseau de magasins des chocolats et confiseries. Pour le télétravail, cela n'est donc pas possible pour 80% de mes effectifs", témoigne Solène Roelandts, directrice générale de la chocolaterie aixoise Puyricard.

Puis les nouvelles s'enchaînent. Finalement, seuls les commerces de première nécessité pourront ouvrir. Quid des chocolatiers à quelques semaines de Pâques ? Ils devront attendre le 16 mars pour être explicitement autorisés. Encore faut-il que les clients soient au rendez-vous. "Avec le confinement, ils sont plutôt tentés d'aller attraper un œuf en tête de gondole au supermarché où ils font l'ensemble de leurs courses", s'inquiète Mélissa Ingretolli, directrice de la chocolaterie l'Espérantine à Marseille qui compte douze salariés.

Des salariés qu'il faut protéger. Mais comment faire lorsque les masques et le gel hydroalcoolique sont hors de portée ?

Une trésorerie sur la corde raide

Finalement, d'après la Chambre régionale des métiers, 54,4 % des entreprises du secteur ont poursuivi leur activité malgré un chiffre d'affaire forcément amoindri. Moins 40 % pour Frédéric Roy, le boulanger niçois. Chez les chocolatiers, le bilan se fera après Pâques. "En temps normal, cette fête représente 30 % de notre chiffre d'affaire annuel", assure-t-on du côté de l'Espérantine. Pour Nicolas Aillaud, de la boucherie Chanzy à Dignes-les-Bains, "la baisse a été minime", les clients venant moins souvent mais achetant de plus grandes quantités à la fois.

Dans tous les cas, il faut continuer à payer les factures des mois précédents et les salariés pour ceux qui en ont, sans trop savoir si l'on sera dédommagé après la crise, d'autant que les règles d'éligibilité au chômage partiel sont floues. "Nombre de mes collègues ne savent pas comment ils vont payer leurs salariés", s'inquiète Frédéric Roy, "Un crédit bancaire ? Pas sûr que la banque accepte de leur prêter".

"J'ai assez peur de la durée de cet épisode et de l'après", confie Mélissa Ingretolli. "Cette situation nous fait cogiter", complète Frédéric Roy. "Il faut fabriquer tout en continuant à veiller à la rentabilité de nos activités. Et en même temps, nous avons aussi une famille avec parfois des personnes malades. Cela fait beaucoup à supporter". "Mais on tiendra le coup", promet-il. Pour cela, "il faudra être inventif pour trouver des solutions et continuer à travailler", estime Nicolas Aillaud.

S'adapter... dans la solidarité

Lui a instauré un système de drive dans son commerce, via "la fenêtre sur le côté". Il livre aussi ses produits à Dignes-les-Bains et aux alentours. Frédéric Roy a adapté son offre. "Je fabrique de plus grosses miches, d'un kilo contre 400 grammes habituellement, car certains clients préfèrent ne venir que tous les trois jours".

Chez les chocolatiers on privilégie les livraisons, mais le chocolat est un mets difficilement expédiable. "Les sujets creux ne s'envoient pas. Alors nous avons créé des produits exprès", explique Mélissa Ingretolli. "On travaille avec du biscuit et du praliné. On active tous les leviers". Y compris celui de la solidarité. "Deux commerçants distribuent gracieusement nos produits".

Une solidarité que veut incarner le projet Mars Artisans Solidaires. Lancé le 30 mars, cette plateforme propose des coffrets regroupant des produits de plusieurs artisans marseillais. Le premier, sur le thème de Pâques, a été un franc succès. "Nous avons vendus nos 200 paniers au bout de deux jours. Il a fallu relancer la production avec cent nouveaux paniers. On sent un regain d'intérêt pour les artisans locaux", se réjouit  Amélie Coulombe, co-instigatrice du projet.

Le retour aux choses simples

Un constat que partage Frédéric Roy : "Les clients nous disent merci tous les jours. Pour beaucoup, nous sommes les seules personnes avec qui ils peuvent discuter en ces temps de confinement".

Et c'est justement cette proximité qui au cœur de la réponse de l'Art de la fromagerie face à la crise. "Notre force est d'être en lien direct avec nos producteurs. Nous n'avons pas des tas d'intermédiaires avec les ruptures que cela implique", analyse Sylvain Basset, dirigeant de la fromagerie. L'entreprise a par ailleurs pu s'appuyer sur un réseau de nouveaux partenaires. "Nous nous rapprochons d'autres commerçants éthiques à Marseille et nous créons des alliances. Cela n'aurait pas été envisageable avant la crise".

Les produits des partenaires sont mis à disposition par le fromager sur sa boutique en ligne qui a pris une nouvelle ampleur ces dernières semaines. "Avant, on n'y trouvait que cinq ou six produits. Là, il fallait passer à la vitesse supérieure". Et l'opération a fonctionné. "Depuis la semaine dernière, on est passé à un chiffre d'affaire supérieur à la normale". Et Sylvain Basset d'expliquer ce phénomène par une prise de conscience de la part des consommateurs. "Les gens reviennent à des choses simples. Avant, la part dédiée à l'alimentation était réduite. Là, le curseur a été replacé. Ils ont arrêté d'acheter des conneries et se font plaisir avec d'autres choses. Ils s'intéressent aux personnes derrière ce qu'ils consomment".

Une tendance qui doit être portée par le numérique selon le président de la Chambre des Métiers, Jean-Pierre Galvez."Ce sera un enjeu fondamental à appréhender après la crise. Il faudra doter les artisans d'un « Amazon » de notre région. La crise exacerbe ce besoin". Un moyen de redonner une visibilité aux artisans qu'il considère comme des "héros du quotidien qui continuent à travailler car ils sont de première nécessité pour la population". Dans sa boulangerie, Frédéric Roy espère "que le gouvernement nous remerciera, qu'il ne nous oubliera pas, nous qui n'avons jamais été entendus". Il est amer. "Quel intérêt pour nous d'ouvrir sept jours sur sept ? On ne peut pas ! Un jour sur deux aurait suffi. L'ouverture le dimanche ne bénéficie qu'à la grande distribution".

Une grande distribution qui se présente comme la solution de facilité ; des petits artisans qui créent du lien au travers d'une alimentation plus goûteuse, à visage humain. Les deux tendances cohabitent. La crise sera peut-être l'occasion de rebattre les cartes.

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