Quelle évolution pour Innate Pharma après son accord avec AstraZeneca ?

La PME installée à Marseille a signé un accord avec le géant pharmaceutique britannique lui permettant de récupérer les droits commerciaux de l'anti-cancéreux Lumoxiti aux Etats-Unis. L'opération devrait faire changer de dimension la société au cours des prochaines années.
(Crédits : DarkoStojanovic/pixabay)

A l'ombre des pins de Luminy, à quelques pas des calanques, les chercheurs du laboratoire d'Innate Pharma travaillent pour trouver des solutions d'immunothérapie, une méthode visant à renforcer le système immunitaire pour lutter contre le cancer. Des recherches qui intéressent AstraZeneca, le géant pharmaceutique britannique (19,7Md€ de chiffre d'affaires) qui travaille avec la PME marseillaise depuis plusieurs années déjà, mais surtout qui vient d'y investir 210 millions d'euros, auxquels s'ajouteront d'autres sommes au fur et à mesure des échéances cliniques.

La somme, six fois supérieure au chiffre d'affaires d'Innate Pharma (32M€ en 2017), permet à la société britannique d'acquérir les droits de molécules développées à Luminy et d'entrer dans le capital de la société qui emploie 200 salariés. De son côté, Innate Pharma débourse 44 millions d'euros pour l'acquisition des droits de commercialisation aux Etats-Unis et en Europe de l'anti-cancéreux Lumoxiti développé AstraZeneca.

Un pied dans la commercialisation

Ce traitement, destiné à des cancers rares, lance Innate Pharma sur la voie d'un nouveau métier : la commercialisation. Lors des deux prochaines années, cette mission sera réalisée par AstraZeneca, la société marseillaise, qui empoche tout de même les revenus, prendra ensuite le relais et pourra vendre ses propres traitements. "C'est un tournant pour Innate Pharma qui entre en phase de transition pour passer d'une société de biotech et de recherche vers une entreprise de biopharma intégrée", estime Sacha Pouget, président du fond d'investissements Kalliste Finance, spécialisé dans les biotechs.

En plus de générer des revenus commerciaux, l'opération permet à la PME de monter en gamme. "Elle va pouvoir s'attaquer à de nouveaux cancers, de nouvelles lignes de traitement. Dans le domaine de l'oncologie, Innate Pharma était déjà regardée, mais avec cet accord elle devient une société de dimension internationale présente dans les esprits de tous les investisseurs et ceux qui mènent des études cliniques", commente l'analyste.

Une tendance nationale

La preuve par les chiffres avec le bond de 40% en deux jours du titre boursier d'Innate Pharma, il atteint aujourd'hui les 7,50 euros contre 4,79 avant l'annonce. Des chiffres à tout de même relativiser puisque le prix actuel reste loin des 15 euros atteints en 2015 et 2017. AstraZeneca semble en tout cas croire en une nouvelle hausse, sa montée au capital d'Innate Pharma à hauteur de 9,8% se fait par le biais d'actions à 10 euros. Un achat à la hausse signe "du savoir-faire d'Innate Pharma", juge Sacha Pouget.

Mais ce dernier souligne que cette opération s'inscrit dans une tendance générale : "En 2018, les partenariats représentent 40 % des montants levées auprès de biotechs françaises, cela représente 9 opérations d'un montant total de 309 millions d'euros. En 2017, il y a eu deux opérations seulement pour 38 millions d'euros. La tendance est favorable pour les biotechs françaises qui intéressent de plus en plus les grands groupes internationaux".

Un risque d'OPA ?

Malgré cette tendance, "l'opération a étonné le marché", selon Sacha Pouget. Ce type d'investissement était plutôt attendu pour 2019, au moment où les produits d'AstraZeneca entrent en phase III, l'étape d'évaluation du rapport entre les bénéfices et le risque global auprès de milliers de patients. D'autant que les deux entreprises travaillent régulièrement ensemble depuis plusieurs années.

Faut-il y voir les prémices d'une OPA ? "Ce n'est pas notre intérêt, ce n'est pas notre modèle", balaie Pascal Soriot, PDG d'AstraZeneca. Dans les bureaux d'Innate Pharma au pied du stade Vélodrome, Monder Mahjoubi se montre serein. "AstraZeneca n'a pas de siège au board et le contrat prévoit qu'ils ne puissent pas augmenter sa présence dans le capital et faire une OPA agressive", explique le président du directoire. Une opération de toute manière assez rare dans le domaine de la santé et de la pharmacie, Sacha Pouget soulignant que "généralement les OPA se font de manière "amicale".

Le moment opportun

Les relations entre les deux sociétés sont particulièrement saines. L'arrivée au poste de président du directoire d'Innate Pharma en 2017 de Mondher Mahjoubi venu... d'AstraZeneca a facilité cet accord. L'intéressé et Pascal Soriot disent volontiers "se connaître depuis 20 ans", mais chacun juge qu'il s'agissait surtout du moment opportun pour cette collaboration. Le dirigeant d'AstraZeneca explique qu'Innate Pharma "a plusieurs produits qui vont sortir de la recherche et qui sont potentiellement intéressants. C'est une opportunité d'avoir de nouveaux produits".

De son côté, Mondher Mahjoubi parle d'un "incroyablement alignement de planètes". D'abord avec la publication des résultats du Monalizumab, développée avec AstraZeneca qui en rachète les droits, puis les premières données cliniques sur une autre molécule d'Innate Pharma, l'IPH5201, qui intéresse la société britannique et enfin l'approbation du Lumoxiti par la FDA, l'organisme qui réglemente la commercialisation des médicaments aux Etats-Unis. Un alignement des planètes qui met Innate Pharma sous le feu des projecteurs. Et qui montre que Marseille à toute sa place dans l'éclosion des biotechs, quelques années après le rachat de Trophos par Roche, acquisition qui avait déjà fait grand bruit en 2015.

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